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Directive sur la responsabilité civile du fait des produits défectueux : la fin des recours entre professionnels ?

Par Bernard Cazeneuve et Benjamin van Gaver, associés, et Charles Hugo, cabinet August Debouzy

La directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux précisait dans son préambule que « la protection du consommateur exige la réparation des dommages causés par la mort et par les lésions corporelles ainsi que la réparation des dommages aux biens ; que cette dernière doit cependant être limitée aux choses d’usage privé ou de consommation privée ».

L’article 9 de cette même directive précisait également que le « dommage » désignait les dommages causés à une chose « normalement destinée à l’usage ou à la consommation privés et ait été utilisée par la victime principalement pour son usage ou sa consommation privés ».

De cet ensemble, il devait être considéré que l’action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux n’était ouverte qu’aux victimes agissant en qualité de consommateur à l’encontre du fabricant. En revanche, l’action d’un professionnel contre un fabricant du fait d’un produit à usage professionnel ne pouvait pas se fonder sur cette directive. 

Dans sa loi n°98-389 du 19 mai 1998 de transposition de la directive, le législateur français avait retiré cette condition de l’usage du bien, de sorte qu’en définitive le recours entre professionnels fondé sur ce texte devenait possible et jusqu’alors, fort utilisé par lesdits professionnels.

Dans son arrêt du 4 juin 2009, la Cour de justice de l’Union Européenne avait précisé que « La directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985 [] doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à l’interprétation d’un droit national ou à l’application d’une jurisprudence interne établie selon lesquelles la victime peut demander réparation du dommage causé à une chose destinée à l’usage professionnel et utilisée pour cet usage, dès lors que cette victime rapporte seulement la preuve du dommage, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage».

 

Cet arrêt confirmait ainsi que les dommages aux biens à usage professionnel faisaient partie d’une « zone grise » de dommages non compris dans le champ d’application de la directive mais dont le code civil soumettait actuellement la réparation aux règles prescrites par celle-ci. 

Pour qu’il en soit autrement, il aurait fallu qu’un texte constituant « une limitation du droit national » à l’application des articles 1245 et suivants du code civil, vienne cantonner ceux-ci à la réparation des seuls dommages à la personne et des dommages aux biens à usage privé.

La nouvelle directive 2024/2853 du 23 octobre 2024 sur la responsabilité du fait des produits défectueux qui abroge la directive de 1985 semble s’inscrire dans cette volonté. 

En effet, aux termes de l’article 1er de cette nouvelle directive « Objet et objectifs », seules les personnes physiques peuvent demander réparation des dommages causés par un produit défectueux.

Contrairement à la transposition de la directive de 1985, le législateur français ne pourra plus oublier un terme dans sa loi de transposition, de sorte que se pose à lui un dilemme :

transposer l’intégralité de la directive – dont l’article 1er – mais modifier en conséquence les habitudes des entreprises à user de ce régime indemnitaire pour voir leurs préjudices réparés ; 

transposer partiellement la directive en écartant notamment cet article 1er afin de laisser aux professionnels leurs habitudes.

La solution retenue par le législateur français ne manquera pas de faire couler de l’encre mais dans cette attente, il est nécessaire pour les entreprises d’anticiper la perte de cette action.

Un axe d’anticipation pour les entreprises pourrait être la stipulation d’une clause de responsabilité qui s’apparenterait peu ou prou à une responsabilité similaire à celle édictée par la directive. 

Affaire à suivre…