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De l’enquête-miroir à l’enquête-chapeau

Par Camille Potier, avocat counsel, cabinet Mayer Brown

À la faveur de la montée en puissance des enquêtes préliminaires, toujours plus nombreuses, toujours plus longues malgré une augmentation des pouvoirs du parquet1, on assiste à une évolution des pratiques et du vocabulaire de l’enquête.

On va désormais passer moins de temps à « l’instru » et bien plus en enquête-miroir ou en enquête-chapeau, qui ont fait une entrée remarquée dans le lexique des pénalistes.

Ainsi, le parquet national financier (PNF) assume depuis quelques temps l’ouverture d’enquêtes dites miroirs en réponse à des signalements étrangers, ou demande de coopération internationale pénale visant des entreprises ou intérêts français. En termes marketing, une enquête-miroir est celle qui sollicite des collaborateurs de l’entreprise pour évaluer en interne la satisfaction des clients. Clairement, ce n’est pas la définition entendue par le PNF – quoique cela aurait pu être passionnant - mais davantage une façon de dire que les investigations menées à l’étranger seront reprises et analysées en parallèle en France pour limiter une éventuelle atteinte à la souveraineté judiciaire et économique. La garde des Sceaux évoque d’ailleurs en ces termes l’enquête-miroir du PNF dans sa dernière circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale2.

En ce début juin 20203, le parquet de Paris, dans son communiqué relatif à l’ouverture d’une procédure pour répondre au déluge de plaintes sur la gestion de la crise liée au Covid-19, annonce cette fois la naissance d’une enquête dite « chapeau » pour signifier que celle-ci – comme un saltimbanque réclamant la pièce – réunira l’ensemble des plaintes déposées en France. Ainsi cette enquête-chapeau regroupera 13 procédures consacrées à une soixantaine de plaintes et « aura pour objet d’établir les processus décisionnels mis en œuvre à l’occasion de la crise sanitaire afin de mettre au jour les éventuelles infractions pénales susceptibles d’avoir été commises ».

Cette réification de la dénomination de l’enquête – et sa masculinisation – (un miroir, un chapeau pour une enquête), feront peut-être mouliner quelques experts linguistes ou sociologues.

On aurait pu imaginer, voire préférer, d’autres termes peut-être moins signifiants mais tellement plus adéquats pour souligner cette liberté retrouvée du parquet. Je dis liberté, car d’indépendance il n’est pas encore vraiment question, comme l’ancienne procureur de la République financier l’a encore clairement rappelé lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur « les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire ».

C’est faire preuve d’une certaine liberté que de nommer ses petites enquêtes. Le parquet rejette l’appellation générique de l’enquête préliminaire pour baptiser des structures d’enquêtes qu’il estime singulières. Cet esthétisme de l’appellation interpelle car pour autant les règles et principes de l’enquête restent bien les mêmes ; que l’on s’observe dans le miroir ou que l’on niche au creux d’un chapeau, ce sont les mêmes articles du code de procédure pénale qu’il faudra respecter.

Pour plus de poésie, je me plais à imaginer une enquête-vérité pour un scandale médical ou une enquête-innocence pour la réhabilitation d’un condamné ou encore une enquête-sentiment pour répondre à la violence du crime. Ou bien une enquête-secrète, pour celle qui, enfin, respecterait la confidentialité et le secret des investigations ainsi que la présomption d’innocence des mis en cause.

Enfin, que dirait-on d’une enquête-contradictoire ? Celle qui permettrait à chacun – victime ou mis en cause – d’être assisté par son avocat, celle qui autoriserait ledit avocat à consulter les actes utiles de la procédure dès lors que son client y serait impliqué ?

Notes

1. Les réformes successives de la procédure pénale aboutissent à confier au parquet, parfois sous le contrôle du JLD, des pouvoirs auparavant dévolus au juge d’instruction et à permettre des atteintes à la liberté auparavant impossibles (interpellation de suspect, mandat de recherche, écoutes téléphoniques, techniques spéciales d’enquête, perquisitions de nuit…)

2. Circulaire de politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale - JUSD2007407 du 2 juin 2020 - 
http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2020/06/cir_44989.pdf

3. Communiqué du parquet de Paris du 9 juin 2020 repris dans les médias

Mayer Brown Camille Potier