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Création des classes de parties affectées : bilan après une année de mise en oeuvre

Par Laurent Cotret, associé chez August Debouzy

La réforme du livre VI du code de commerce de septembre 2021 qui instaure des « classes de parties affectées » a, sans nul doute, apporté une grande marge de manoeuvre aux administrateurs judiciaires dans la construction des plans.

Les modalités de constitution des « classes de parties affectées » sont assez nébuleuses et sujettes à de nombreux contentieux. En utilisant le critère de « communauté d’intérêt économique »1, la tentation est grande de faire adopter des plans à l’unanimité sans recourir à l’adoption forcée interclasse (cross class cram down2) et l’utilisation, très contestable, des créanciers « dans la money ».

Le législateur a, semble-t-il, volontairement fait l’impasse sur une liste exhaustive des « communautés d’intérêt économique suffisante » afin de s’adapter au mieux à chaque situation. L’existence du terme « suffisante » est cependant regrettable : au mieux, elle illustre mal les contours de la notion, au pire, elle ouvre la porte à la reconnaissance d’intérêts économiques purement artificiels.

Rien n’interdit en effet de répartir les créanciers opposés à l’adoption du plan dans des classes de parties affectées différentes afin de conserver la majorité des votes au sein de chaque classe et ainsi de maintenir la faveur de l’adoption du plan. Dans la mesure où le nombre de classes n’est pas limité, l’administrateur judiciaire peut même envisager de constituer une classe composée d’un seul créancier, ce qui semble contrevenir à l’idée même de « classes ». Il est cependant important de préciser que des garde-fous existent quant à la constitution de ces classes. Tout d’abord, les créanciers titulaires de sûretés réelles portant sur les biens du débiteur ainsi que les détenteurs de capital, grande nouveauté de la réforme, doivent nécessairement former des classes distinctes. Ensuite, la notion de communauté d’intérêt économique doit être objectivement vérifiable. Cette objectivité doit toutefois être tempérée, la nature de la relation contractuelle entre le créancier et la société débitrice affectant directement l’intérêt économique. Un créancier qui s’inscrit dans une démarche de relations d’affaires à long terme n’aura pas le même intérêt économique qu’un autre créancier avec une créance semblable et n’ayant qu’un intérêt pécuniaire dans le recouvrement de sa créance. Cet intérêt économique transparaît d’ailleurs dans les vérifications légales opérées par le tribunal lors de l’adoption du plan : elles s’opèrent au niveau de la classe ou de la partie affectée. À cet égard, le test du best interest vise à s’assurer qu’aucune partie affectée dissidente ne se trouve dans une situation moins favorable en cas de liquidation de l’entreprise ou d’un plan de cession. Quoique l’objectif sous-jacent reste le même, protéger l’intérêt du créancier, ces vérifications exigent de procéder à une évaluation des droits liquidatifs en amont de l’établissement du plan, laquelle soulève de nombreuses difficultés comme envisager le coût de licenciement de l’ensemble des salariés.

Enfin, le législateur a tenu à préciser que « la répartition en classes respecte les accords de subordination conclus avant l’ouverture de la procédure ». La formulation laisse de nombreuses interrogations. Dans quelle mesure l’administrateur judiciaire peut-il être tenu par un contrat auquel il n’est pas partie ? Quid d’un accord de subordination prévoyant une modalité de répartition contraire aux dispositions légales de répartitions ? La jurisprudence permettra assurément de clarifier ces questions bien que le chemin soit encore long, peu de plans avec classes de parties affectées ayant été adoptés. Le contentieux qui permettrait de clarifier cette réforme est à ce jour inexistant : il prendra encore plusieurs années avant de livrer ses premiers enseignements.

Dans l’attente, si la réforme ne peut être considérée comme un franc succès, la crainte de l’utilisation de ce mécanisme aura néanmoins le mérite de pousser les créanciers à la recherche de solutions amiables ou concertées lorsque cela se révèle possible et que le nombre de créanciers, et leurs intérêts, ne sont pas diamétralement divergents.