CJIP Paprec : quels enseignements sur le traitement des pratiques anticoncurrentielles par le PNF ?
La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) signée le 10 février 2025 entre le PNF et la société Paprec Group mérite une lecture attentive, tant elle est riche d’enseignements, mais aussi de questionnements pour les praticiens comme pour les entreprises et leurs dirigeants.
Au titre des enseignements, on retiendra en premier lieu que quatre ans après la loi du 24 décembre 2020 qui lui a donné compétence en matière de pratiques anticoncurrentielles, le PNF signe ici sa première CJIP en ce domaine. À cet égard, on rappellera que les infractions concernées, visées à l’article L. 420-6 c.com, ne figurent pas dans la liste des infractions susceptibles de donner lieu à une CJIP. Toutefois, il demeure toujours possible de les intégrer à une CJIP en tant qu’infractions connexes. C’est bien ce qui s’est produit en l’espèce, la CJIP Paprec étant conclue à titre principal pour les infractions de blanchiment de fraude fiscale et de corruption et intégrant à titre connexe d’autres infractions, dont l’entente. Ce faisant, la CJIP Paprec illustre de manière éclatante deux phénomènes à l’œuvre depuis plusieurs années, à savoir, d’une part, le mouvement de re-pénalisation de la vie des affaires, qui s’est amplifié avec l’avènement fin 2016 de la CJIP (quand bien même, techniquement, celle-ci n’est pas une condamnation pénale) et, d’autre part, le fait que la multiplication des régulateurs et l’entrecroisement de leurs compétences respectives aboutissent à placer entreprises et dirigeants sous la surveillance concomitante d’autorités multiples, qui peuvent choisir de travailler de manière coordonnée … ou pas. De fait, au travers de cette 24ème CJIP, le PNF affirme sa pleine compétence en matière de répression des pratiques anticoncurrentielles, en particulier à l’égard des personnes morales. À la faveur de récentes décisions de l’Autorité de la Concurrence et des incertitudes doctrinales récurrentes sur l’(in-)applicabilité de l’article L. 420-6 c.com aux personnes morales, on avait pu penser que, suivant une sorte de gentlemen’s agreement, l’Autorité garderait la main sur les entreprises, tandis que les personnes physiques relèveraient du PNF. Toutefois, cette analyse s’accommodait mal du fait que le PNF revendiquait, y compris dans son dernier rapport d’activité pour l’année 2024, l’extension aux pratiques anticoncurrentielles du champ d’application de la CJIP, laquelle ne peut être conclue qu’avec une personne morale. À cet égard, au travers de la CJIP Paprec, le PNF affirme haut et fort sa volonté d’étendre aux entreprises son action répressive en matière d’ententes anticoncurrentielles, en particulier dans les dossiers où plusieurs infractions relevant de son champ de compétence naturel coexistent. Il n’est pas forcément anodin qu’il ait pris soin de faire valider par le juge son interprétation de l’article L. 420-6 c.com dans le cadre d’une procédure au demeurant insusceptible de recours.
Il sera intéressant de voir si, à l’avenir, le PNF choisit de s’appuyer sur ce précédent transactionnel pour exercer des poursuites contre une personne morale sur le fondement de l’article L. 420-6 c.com. Par ailleurs, en ce qui concerne la sanction elle-même, on retiendra également que la CJIP Paprec est l’occasion d’une première application de la disposition, introduite par la loi du 24 juin 2024, permettant d’imposer à la personne morale de se dessaisir au profit de l’État des biens saisis dans le cours de l’enquête pénale. Sur ce point, la CJIP Paprec confirme que la valeur des biens saisis vient en déduction du montant de l’amende d’intérêt public.
Quant aux questionnements, et en lien avec ce qui précède, on peut en particulier s’interroger sur la coordination des actions du parquet et de l’Autorité de la concurrence. Il est remarquable que la CJIP Paprec ne mentionne pas cette dernière, alors que les pratiques anticoncurrentielles qu’elle sanctionne concernent par hypothèse plusieurs acteurs du secteur du traitement des déchets, par ailleurs nommément désignés. La CJIP livre peu de détails sur les faits comme sur les investigations, peut-être à dessein si celles-ci sont toujours en cours à l’égard d’autres que Paprec. Toujours est-il que la coexistence de compétences concurrentes entre l’autorité judiciaire et le régulateur administratif pose la question de la coordination de leurs actions respectives, avec en creux le respect du principe non bis in idem. Le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé à plusieurs reprises sur ce sujet depuis 2015 et sa jurisprudence encourage à une forme de concertation entre autorités. Celle-ci serait d’autant plus bienvenue que les entreprises et leurs dirigeants doivent être parfaitement éclairés sur les risques procéduraux auxquels ils s’exposent, y compris au regard de l’impact de la coexistence d’enquêtes pénales et administratives sur la possibilité de bénéficier de la clémence et des exemptions de peines qui y sont associées.