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Brevet français : une nouvelle arme stratégique ?

Par Thierry Lautier, associé, cabinet Reed Smith

En réformant le système des brevets français, la loi PACTE a non seulement permis l’avènement d’un brevet français plus fort, mais a également élargi la palette stratégique des déposants.

La loi PACTE a apporté d’indéniables nouveautés au système des brevets français, avec : (1) au stade du dépôt, des alternatives aux brevets (demandes provisoires et certificats d’utilité), (2) au stade de l’examen, le durcissement des conditions de délivrance (l’activité inventive étant examinée par l’INPI) et (3) après la délivrance, l’instauration d’une procédure d’opposition par des tiers (analogue à celle de l’Office européen des brevets, ou « OEB »).

Tout d’abord, la loi PACTE a renforcé l’examen des demandes de brevets, en autorisant l’INPI à rejeter une demande pour défaut de nouveauté ou d’activité inventive, là où seul un défaut « manifeste » de nouveauté pouvait être retenu. L’objectif de ces dispositions est de donner plus de valeur aux brevets français, autrefois considérés comme fragiles (car peu examinés). Les entreprises peuvent ainsi mieux valoriser leurs brevets auprès d’investisseurs lors d’une due diligence, ou devant les tribunaux lors d’une action en contrefaçon, sans l’impact péjoratif du brevet « français » (même si cette difficulté pouvait être en partie contournée en limitant la portée du brevet devant l’INPI peu après la délivrance). Pour autant, cette quête vers un brevet plus fort implique un examen plus long et coûteux devant l’INPI. Cela pourrait remettre en question l’intérêt du dépôt français puisque, d’une part, son examen pourrait faire doublon avec celui de l’OEB et, d’autre part, une opposition pourrait être formée contre le brevet délivré afin de retarder son utilisation devant les tribunaux français.

Ensuite, la loi PACTE a diversifié les types de dépôts. En plus des demandes de brevets « classiques », des demandes « provisoires » ont été instaurées, sur le schéma de la « provisional application », bien connue aux États-Unis pour conférer une protection provisoire d’un an avant régularisation en demande de brevet. Néanmoins, les avantages de cette demande aux États-Unis (protection potentielle de 21 ans et dépôt différé des revendications) étant déjà offerts par une demande « classique » en France, son intérêt paraît limité à des cas exceptionnels. Au contraire, elle pourrait laisser penser – à tort – à des déposants audacieux qu’ils peuvent faire un premier dépôt eux-mêmes (à l’image d’une enveloppe Soleau), au risque de perdre le bénéfice de leur date de dépôt si l’invention y est mal formulée. Autre nouveauté, le certificat d’utilité, qui existait déjà mais de façon anecdotique, voit sa durée de vie allongée (de 6 à 10 ans) et peut être converti en demande de brevet. Il se rapproche ainsi du modèle d’utilité allemand, même si le décret n° 2020-15 du 8 janvier 2020 a précisé que sa conversion en demande de brevet doit intervenir rapidement (au plus tard 18 mois après le dépôt). Malgré cette diversification, la demande de brevet « classique » devrait toujours être privilégiée, car elle permet d’obtenir un rapport de recherche préliminaire (émettant un avis sur la brevetabilité de l’invention) avant de décider d’étendre ou non le dépôt français à l’étranger (moment où les coûts deviennent importants).

Sur cette base, une entreprise ayant un marché européen pourrait, par exemple, déposer une première demande de brevet français (afin d’obtenir un rapport de recherche préliminaire), puis une succession de demandes provisoires (afin de couvrir des perfectionnements au fil de l’eau), avant de déposer une demande de brevet européen revendiquant la priorité de tous ces dépôts. Elle pourrait, enfin, convertir son premier dépôt français en certificat d’utilité, afin de le laisser « dormir » plusieurs années. L’intérêt de ce « nouveau » système des brevets français pourrait donc résider dans sa flexibilité. 

 

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