Action en nullité pour abus de majorité : des précisions bienvenues de la Cour de cassation
Par un arrêt du 9 juillet 2025 (n°23-23.484), la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une clarification bienvenue : la validité d’une action en nullité d’une délibération sociale pour abus de majorité n’est pas subordonnée à l’introduction d’une action en responsabilité contre les associés majoritaires. La haute juridiction confirme l’autonomie de ces deux mécanismes.
Dans une décision rendue en date du 9 juillet 2025, la Cour de cassation vient rappeler que l’action en nullité d’une délibération sociale pour abus de majorité ne nécessite pas d’engager simultanément la responsabilité des associés majoritaires. Elle affirme ainsi que « la recevabilité d’une action en nullité d’une délibération sociale pour abus de majorité n’est pas, en l’absence de demande indemnitaire dirigée contre les associés majoritaires, subordonnée à la mise en cause de ces derniers ».
En l’espèce, des associés minoritaires d’un groupement foncier rural sollicitaient l’annulation de plusieurs délibérations d’assemblée générale, au motif qu’elles satisfaisaient les seuls intérêts des associés majoritaires au détriment de l’intérêt social. Aucune demande de dommages et intérêts n’avait été formulée à l’encontre des associés majoritaires. La cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA d’Aix-en-Provence, 12 octobre 2023, n° 23/01973), estimant que l’action en abus de majorité impliquait nécessairement de rechercher la responsabilité des associés majoritaires – l’abus allégué résultant de l’exercice de leur droit de vote –, a déclaré l’action en nullité des associés minoritaires irrecevable.
La Cour de cassation a censuré la décision
de la cour d’appel.
Rappelant que l’abus de majorité est caractérisé lorsque la décision litigieuse est contraire à l’intérêt social et est prise dans l’unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires, la Cour de cassation - sur le fondement de l’article 1844-10 du code civil (relatif aux causes de nullité des actes ou délibérations de société) et de l’article 32 du code de procédure civile (relatif à la recevabilité des demandes) - souligne que l’objectif principal de l’action en abus de majorité demeure la protection de l’intérêt social. Cette protection est assurée en mettant fin, par l’annulation de la décision contestée, au trouble dont la société est victime – cette annulation constituant également la première réparation du préjudice subi par les associés minoritaires. Dès lors, la validité d’une action en nullité d’une décision sociale pour abus de majorité n’est pas conditionnée à l’engagement d’une action en responsabilité contre les associés majoritaires.
La décision de la Cour de cassation s’inscrit dans une jurisprudence constante déjà illustrée par un arrêt du 30 mai 2018 (n°16-21.022), qui distinguait clairement l’action en nullité d’une délibération sociale pour abus de majorité (soumise à la prescription triennale de l’article L. 235-9 al. 1 du code de commerce) et l’action en responsabilité civile contre les associés soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil). Ces deux arrêts complémentaires contribuent à mettre en lumière les mécanismes de contestation de l’abus de majorité. Tandis que l’un confirme les règles de prescription, l’autre rappelle les conditions de recevabilité de l’action en nullité.
En confirmant la déconnexion des deux actions, la Cour de cassation facilite la sanction de l’abus de majorité en dispensant les demandeurs d’avoir à établir à l’encontre des associés majoritaires les éléments constitutifs de la responsabilité délictuelle (à savoir l’existence d’un manquement de l’associé majoritaire, l’existence et la quantification d’un dommage et l’existence d’un lien de causalité entre manquement et dommage).
La réparation du préjudice personnel subi par les actionnaires minoritaires demeure légitime mais constitue un axe distinct, et non central, dans la répression de l’abus de majorité et le succès d’une telle action sera subordonné à la reconnaissance de l’abus de majorité.
Pour autant, si les deux actions (nullité et indemnisation) sont engagées simultanément, on voit difficilement comment l’une pourrait prospérer sans l’autre, au regard des éléments constitutifs de l’abus de majorité. Dès lors, il conviendra, avant toute procédure, d’évaluer les chances de succès d’une action en responsabilité dirigée contre les associés majoritaires ou, alternativement, d’attendre l’issue de l’action en nullité engagée à l’encontre de la société avant d’initier une action en responsabilité contre ses associés majoritaires, tirant ainsi profit du délai de prescription plus long s’appliquant à cette dernière action.