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A-t-on sauvé l’action de groupe à la française ?

Par Hortense de Roux, associée, et Juliette Mirikelam, cabinet Ashurst

Propulsée par la loi Hamon du 17 mars 2014, l’action de groupe devait offrir aux victimes d’un même préjudice un recours collectif efficace afin de rééquilibrer les relations entre les individus et les entreprises. Pourtant, une décennie plus tard, le dispositif n’a pas tenu ses promesses. Moins de quarante actions de groupe ont été engagées, la majorité en matière de consommation, avec des résultats souvent décevants puisque seulement deux actions ont donné lieu à un jugement de responsabilité. Ce constat a nourri un consensus sur la nécessité d’une réforme profonde.

La loi du 30 avril 2025, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, dite « loi DDADUE », a été publiée le 2 mai dernier et entend, par son article 16, opérer une refonte du régime français de l’action de groupe.

D’un point de vue structurel, l’action de groupe change profondément de logique. La réforme met fin à la mosaïque des régimes sectoriels pour instaurer une procédure unique, plus lisible et accessible, à l’exception du domaine de la santé publique, qui conserve un régime spécifique. Désormais, au-delà de la seule réparation du préjudice, l’action de groupe a également pour finalité de faire cesser les manquements. Elle devient ainsi un outil à la fois réparateur et préventif, élargissant par là même son champ d’application.

D’un point de vue substantiel, la réforme confirme le maintien du système de « l’opt-in » instauré par la loi Hamon, confirmant ainsi la spécificité française par rapport aux class actions américaines, où l’adhésion est automatique (« opt out »).

Cette réforme marque l’émergence d’une action de groupe « 2.0 » à bien d’autres égards.

En premier lieu, la loi élargit significativement le panel des acteurs habilités à engager une action de groupe. Désormais, en plus des associations agréées, les associations non agréées mais actives depuis plus de deux ans peuvent agir pour faire cesser un manquement, tout comme certaines organisations syndicales. Par ailleurs, le ministère public peut intervenir en tant que partie principale ou jointe, et les entités européennes qualifiées sont autorisées à mener des actions transfrontalières. Cette ouverture offre un nouvel élan à la société civile dans la défense des intérêts collectifs.

Ensuite, contrairement à la position défendue par les sénateurs lors des débats sur la proposition de loi relative à l’action de groupe, la loi DDADUE supprime l’obligation de mise en demeure préalable, à l›exception du droit du travail pour lequel cette exigence demeure. Ce choix permet de saisir directement le juge dès la constatation du manquement, accélérant ainsi le traitement de l’affaire.

Enfin, la loi DDADUE introduit une sanction civile en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels. Validé «par défaut» par le Conseil constitutionnel, ce dispositif permettra au juge de condamner un professionnel à une amende pouvant atteindre le double du profit réalisé pour une personne physique, et jusqu’au quintuple pour une personne morale. Non assurable, cette amende ne peut être demandée que par le ministère public ou le gouvernement, et alimentera un fonds dédié au financement des actions de groupe, renforçant ainsi l’idée de justice collective, ce qui la distingue des dommages punitifs tels qu’ils existent aux États-Unis. À noter que cette sanction, qui constitue la seule disposition de la loi à être intégrée au code civil (article 1254), s’applique uniquement aux actions dont le fait générateur de responsabilité est postérieur au 2 mai 2025, tandis que le nouveau régime de l’action de groupe concerne toutes les procédures engagées à partir de cette date

La loi du 30 avril 2025 ouvre, également, la voie au financement des actions de groupe par des tiers, sous réserve de strictes conditions d’indépendance et de transparence et assorti d’une obligation de publicité destinée à garantir l’intégrité du dispositif. Ce mécanisme supprime un obstacle majeur offrant aux associations les moyens de dépasser les contraintes financières qui pouvaient les freiner à recourir à l’action de groupe.

Grâce à cette réforme, l’action de groupe nouvelle génération, plus accessible, réactive et dissuasive, dote la France d’un cadre moderne et ambitieux pour la défense des intérêts collectifs.