Connexion

« New York est la ville privilégiée pour l’implantation des fonds d’investissement »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

New York demeure la ville d’excellence pour l’implantation des fonds d’investissement américains et étrangers, ainsi que des entreprises, désireux d’investir aux États-Unis. Pourtant, le nombre des transactions de private equity réalisées au premier semestre 2023 a diminué de moitié par rapport à l’année précédente en Amérique du Nord. De la même manière, en raison du contexte incertain, les entreprises, qui ont moins de contraintes de financement, hésitent néanmoins à utiliser leurs capacités de trésorerie. Alexandra Lauvaux, of counsel du cabinet DLA Piper à New York, qui travaille de concert avec le bureau parisien, livre son analyse du marché à la LJA.

Quelle est la caractéristique du private equity et du M&A à New York ?

Alexandra Lauvaux : New York demeure la ville privilégiée pour l’implantation des fonds d’investissement américains et étrangers. Environ 1 800 sociétés de capital-investissement y sont établies, même si d’autres villes sont très dynamiques comme Atlanta et Chicago. Les fonds d’investissement la choisissent naturellement comme base pour y effectuer leurs opérations locales, ainsi que pour l’ensemble des autres États américains. Les fonds étrangers sont toujours marqués par la profondeur géographique et par la taille des deals du marché entrepreneurial aux États-Unis.

Si la côte ouest des USA est connue pour l’industrie des technologies, il n’en existe pas d’autre dominante à l’est du pays. Le marché est sophistiqué, très compétitif, multisectoriel et multitaille.

Les fonds de private equity américains investissent avant tout aux États-Unis (75 % du nombre de transactions). Cela illustre à nouveau la profondeur du marché domestique. En 2023, en termes d’investissement à l’étranger et de valeur, les investissements de private equity américains sont réalisés d’abord au Royaume-Uni, très loin devant l’Allemagne, l’Inde, l’Australie et la France.

Comment se porte actuellement ce marché aux États-Unis ?

A. L. : Le nombre des transactions de private equity réalisées au premier semestre 2023 a diminué de moitié par rapport à l’année précédente en Amérique du Nord. Cette baisse concerne davantage les deals large cap (- 60 %), que les deals small et mid cap (- 40 %). Cette diminution s’explique de plusieurs manières : les grosses acquisitions rencontrent plus de difficultés à se financer en raison de la hausse des taux d’intérêt et des critères plus stricts des prêts bancaires. La Federal Reserve a en effet augmenté son taux directeur 11 fois en 17 mois. À cela, s’ajoute une grande portion de deals avortés, notamment en raison de due diligence financières insatisfaisantes. Enfin, il y a moins d’offres du côté des vendeurs, les sponsors attendant de meilleures circonstances avant de mettre leurs sociétés de portefeuille sur le marché.

Dans ce contexte, les entreprises qui peuvent tirer sur leurs lignes de crédit existantes pour financer leurs acquisitions ont sans doute moins de contraintes de financement, mais hésitent néanmoins à utiliser leurs capacités de trésorerie en ces temps incertains.

La période électorale qui va bientôt débuter risque-t-elle de ralentir le marché ?

A. L. : La période électorale entraîne généralement une forme de ralentissement sur le marché M&A. De plus, la situation géopolitique actuelle a des répercussions sur les coûts des matières premières et donc sur l’inflation. Le travail à distance qui est très répandu depuis la fin du Covid-19 a un effet négatif sur le marché immobilier de bureaux. Néanmoins, les États-Unis demeurent traditionnellement une juridiction présentant de très belles opportunités en tant que pays refuge en cas de crise. Un investissement en Amérique du Nord s’effectue dans un pays dont la demande domestique représente 68 % du PIB et les recettes fiscales des ménages comptent pour 50 % des recettes du gouvernement fédéral, soit la première source des revenus, évaluée à 2,6 trillions $ en 2022. On peut en conclure que les États-Unis ne sont pas un paradis fiscal, mais aussi que les revenus des ménages sont élevés, générant une recette fiscale de plus de 2 trillions $ en une seule année.

Quelles récentes réglementations ont eu un impact sur le marché des fusions-acquisitions ?

A. L. et Paolo Morante, associé antitrust de DLA Piper : Le paysage du contrôle des concentrations a beaucoup évolué aux États-Unis ces deux dernières années sous l’administration Biden.

Historiquement, ces agences se référaient à des lignes directrices publiées il y a une cinquantaine d’années, décrivant la manière dont les opérations de fusion devaient être évaluées. Révisées graduellement et périodiquement, dont dernièrement en 2010, celles-ci viennent d’être abrogées. De nouvelles guidelines ont été proposées par ces agences, modifiant radicalement leur approche des fusions. L’un des changements les plus importants serait l’instauration d’une présomption d’illicéité concernant toute fusion conduisant à une concentration de plus de 30 % de parts de marché.

Concernant le contrôle des concentrations, il est prévu que la procédure réglementaire du dépôt des demandes d’informations devienne beaucoup plus longue et coûteuse, en raison de nouveaux critères plus stricts et de la quantité d’informations et de documents exigés par le régulateur. La préparation d’un dossier de notification, si cette dernière est requise, nécessitera désormais plus d’une centaine d’heures de travail. La date d’entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation n’a pas encore été confirmée.

A. L. et Nicholas Klein, associé international trade de DLA Piper : En ce qui concerne les réglementations applicables aux investissements étrangers aux USA, le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) requiert davantage de conditions afin d’approuver les opérations d’acquéreurs étrangers. Les transactions d’investisseurs chinois sont particulièrement étudiées par le CIFIUS. Il s’agit en revanche d’une revue qui n’entraîne pas une interdiction d’investir dans l’immense majorité des cas. Il est essentiel d’être très bien conseillé afin de pouvoir mener à bien ces opérations, surtout dans les domaines de la technologie, de l’infrastructure et des données personnelles sensibles.

On sait que les management packages sont généreux en France. Comment réagissent les fonds américains ?

A. L. : La pratique américaine est également généreuse en matière de management packages, avec une allocation de 10 % à 15 % de la valeur de l’exit aux managers. Aussi, les management packages sont appelés « incentive compensation » aux États-Unis, ce qui illustre bien le désir d’aligner les intérêts des managers avec les sponsors dans la réussite de la société du portefeuille et sa bonne valorisation au moment de la sortie. Peut-être réconcilient-ils à leur façon les notions de capital et de travail.

Quels sont les impacts des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle sur le private equity à New York ?

A. L. : Effectivement, les fonds de private equity s’intéressent de près à l’intelligence artificielle. Quelque 300 fonds américains placent l’IA dans leurs domaines d’investissements privilégiés.

Les fonds recrutent également des experts d’analyse de données, tant pour intégrer l’IA à leurs analyses d’investissement, que pour conseiller leurs sociétés de portefeuille en analyse de données.

Le président Biden a d’ailleurs demandé au Trésor américain d’édicter des règles concernant les restrictions et demandes de notifications applicables aux sociétés américaines souhaitant investir dans certains domaines technologiques, y compris l’IA, afin de protéger la sécurité nationale des États-Unis.