Connexion

Maroc : un hub vers l’Afrique subsaharienne

Par Ondine Delauynay

Depuis 2017, le Maroc s’est positionné comme une porte d’entrée des investisseurs vers l’Afrique subsaharienne. Sous l’impulsion du roi Mohamed VI, le pays a considérablement modernisé son droit pour lui faire atteindre les standards internationaux. Explications par Ali Bougrine, managing partner du réseau UGGC Africa

Quelle a été l’évolution du droit marocain depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed VI en 1999 ?

Depuis le nouveau millénaire, le droit marocain s’est sensiblement modernisé. D’abord sur le plan sociétal et civil. Dès les premières années de règne de Mohamed VI, a été promulguée une réforme du droit de la famille marocain portant principalement sur les droits matrimonial et successoral. Quant au droit des affaires, il a connu une évolution constante afin de porter le Royaume du Maroc aux meilleurs standards internationaux, faisant évoluer sa réglementation pour attirer les investisseurs étrangers qui, eux, permettent aux groupes marocains de s’exporter. L’Afrique subsaharienne a notamment été visée, avec le retour du Maroc au sein de l’Union Africaine, en 2017, qui a donné un souffle nouveau et renforcé les investissement sudsud. Cette dernière décennie s’est accompagnée de grands mouvements du Maroc vers les pays subsahariens, encouragée par une mise à jour de notre réglementation nationale.

Quelles matières du droit ont été particulièrement réformées ?

L’approche du contentieux, tout d’abord. Je ne vise pas ici le contentieux de droit commun, mais les modes alternatifs de règlement des différends. Le 14 juin 2022 a été promulguée la loi 95-17 qui a créé un code de la médiation visant à porter la médiation et l’arbitrage au niveau des standards internationaux. Les principes généraux de l’arbitrage sont désormais modernisés et codifiés dans le code de procédure civile : les définitions de l’arbitrage interne et de l’arbitrage international sont consacrées, ainsi que des dispositions permettant de promouvoir la validation des conventions d’arbitrage et des clauses compromissoires, notamment le principe de compétence-compétence. Les échanges électroniques de mémoires et de pièces avec le tribunal arbitral sont autorisés. Cette réforme a également permis une ouverture et une normalisation de la désignation des arbitres. De même un véritable corpus encadre et reconnaît la médiation comme mode alternatif de règlement des différends. La réglementation des changes a également été modernisée. Elle encadre toute la régulation des entrées et sorties de flux de capitaux du Maroc. Elle est fondamentale pour les investisseurs étrangers qui doivent pouvoir rapatrier le produit de leur investissement dans le Royaume. L’instruction générale des opérations de change marocain a été revue à plusieurs reprises, pour permettre aux entreprises marocaines d’effectuer davantage d’opérations transfrontalières. La dernière réforme date de début 2022 et apporte de nouvelles mesures de libéralisation et d’assouplissement, aussi bien en matière d’opérations courantes que sur les opérations en capital.

Le droit de la concurrence a également été réformé…

Absolument. Cette réforme s’inscrit dans la dynamique de modernisation du droit marocain. Avant la réforme législative du droit de la concurrence, il n’existait pas d’autorité indépendante régulant la matière. Elle relevait donc de la compétence du ministre chargé de l’Économie. En 2009 a été créé le Conseil de la concurrence, inspiré de l’Autorité de la concurrence française. Mais durant longtemps, il a été totalement inactif faute d’avoir procédé à la nomination de ses membres. Lorsqu’il a enfin été composé, le Maroc a connu une réelle accélération du traitement de la matière avec un niveau d’analyse qui est aujourd’hui assez proche de ce qui existe en Europe. Tout n’a pas été parfait dès le début, mais depuis que Driss Guerraoui a été nommé président en 2018, la dynamique est très positive. Le contrôle des concentrations relève du même niveau d’analyse que celui effectué par les autorités de concurrence européennes. Il s’inspire d’ailleurs des guidelines publiées par la Commission européenne. Le Conseil de la concurrence marocain a lui-même eu pour ambition de publier des communiqués de procédure sur différents points techniques, notamment sur la non-contestation des griefs.

Quel est le niveau de sophistication du droit marocain en matière d’anticorruption ?

L’activité de compliance est très développée au Maroc, portée bien sûr par l’environnement international, puisque le Bribery Act et le Foreign Corrupt Practices Act sont des textes à vocation extraterritoriale. Dès lors les groupes internationaux, dotés d’une filière au Maroc, doivent les respecter et mettre en place des procédures en matière d’anticorruption qui sont aux mêmex standards de celles en place au niveau de leur siège. Les fonds d’investissement participent également à la mise en oeuvre de cette conformité car, avant d’investir dans une société locale, ils exigent un certain nombre de déclarations et de garanties en la matière. En définitive, l’émergence du droit de la compliance marocain est plus portée par la pratique de place que par un véritable cadre normatif interne. Du point de vue des textes, seul le code pénal marocain traite de ces sujets. Il n’existe pas d’agence anticorruption. La soft law est limitée à certaines recommandations des autorités de marché, notamment l’autorité boursière, mais elle n’est pas comparable à celle que l’on connaît en Europe. Les pratiques de cartographie des risques et d’enquêtes internes sont l’apanage des grands groupes. Les PME et ETI n’ont pas encore ces réflexes. Ce sujet est néanmoins clairement identifié comme porteur d’enjeux politique, économique et juridique. Il est clé dans l’attractivité du Royaume et de nombreux colloques sont organisés sur ce thème.

La réglementation sur les données personnelles a aussi été totalement modifiée…

Le développement du traitement juridique des données personnelles a été exceptionnel ces dernières années. Une Commission des données personnelles très moderne a été mise en place, à l’instar du mouvement opéré par le Conseil de la concurrence. La loi sur des données personnelles est en train d’être révisée, à l’image du RGPD que l’on connaît en Europe.

Quel a été le rôle de ces autorités indépendantes dans la modernisation du droit des affaires ?

Ces organes et autorités indépendantes sont moteurs dans les réformes des textes. Cette modernisation du droit a vocation à permettre au Maroc d’être la porte d’entrée des investisseurs vers l’Afrique. Rappelons d’ailleurs qu’en 2010, a été fondée la Casablanca Finance City (CFC), une place financière engagée pour l’avenir du continent. Elle vise à faire de Casablanca un écosystème régional de l’industrie financière en Afrique, et attire les plus grandes entreprises et investisseurs internationaux désireux de piloter leurs opérations africaines depuis cette place. Les sociétés membres du CFC bénéficient d’avantages fiscaux et sociaux pour faciliter leur implantation et leur rayonnement en Afrique. Dans ce cadre, a même été institué un centre d’arbitrage CFC pour que les investisseurs disposent d’un écosystème complet. Une initiative qui a connu un vrai succès.

Quels sont les points d’attention auxquels doivent veiller les groupes étrangers avant de s’implanter dans le Royaume ?

Ils doivent être attentifs à quatre points essentiels. D’abord, à la structuration de leur investissement qui doit permettre de faire entrer et sortir les flux de manière sécurisée et en conformité avec la réglementation des changes. Il convient également de bien appréhender la réglementation fiscale, car les contrôles fiscaux locaux sont monnaie courante. La fiscalité est assez similaire à celle qui existe en France, en revanche l’interprétation qui est faite de la réglementation par l’administration fiscale est spécifique. Les groupes étrangers peuvent par exemple être surpris par des questions de prix de transfert. Il convient également de faire preuve de grande précaution s’agissant de l’interprétation des conventions fiscales. La réglementation du droit social est un autre sujet d’alerte, car elle est très protectrice des intérêts des salariés. Les conditions de licenciement sont encadrées strictement et il n’existe ni plafonnement, ni barème, pour le montant des dommages et intérêts. Les niveaux d’indemnisations de certains salariés peuvent parfois être supérieurs à ce que l’on connaît devant les prud’hommes français. Enfin, il convient d’anticiper au maximum les contentieux commerciaux avec des partenaires marocains. J’encourage vivement l’introduction de clauses compromissoires dans les contrats, permettant de privilégier l’arbitrage plutôt que la voie judiciaire, quitte à préférer, pour les petits enjeux, des arbitrages ad hoc.