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« Les Allemands sont habitués à être plus rigoureux que l’Union européenne »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Nicola Kömpf, associée en charge du German desk au sein du cabinet Alerion avocats, décrypte pour la LJA le climat des affaires Outre-Rhin, à l’aube de la nouvelle année, alors que la coalition européenne au pouvoir vient de revoir sa copie à la suite de l’intervention de la Cour constitutionnelle allemande. Quels secteurs d’activité sont prometteurs dans un cadre contraint, mais qui reste solide ?

Quel est le climat général du droit
des affaires en Allemagne ?

Il n’est pas très bon. La Cour constitutionnelle allemande a retoqué le budget préparé par le gouvernement pour 2024. Le gouvernement pensait que le fonds de 64 Mds€ prévu pour le Covid pouvait être transformé en fonds de transition, mais la Cour a jugé qu’il n’était pas possible de réaffecter ces sommes. Il est curieux que le gouvernement n’ait pas anticipé ce problème, car ces sommes représentent tout de même une partie non négligeable du budget annuel du pays qui tourne autour de 450 Mds€. Il faut donc voir où seront prises les sommes manquantes, mais le problème est qu’au niveau politique l’équilibre est compliqué, car à la tête du pays se trouve une coalition composée de sociaux-démocrates, de Verts et de libéraux qui a du mal à trouver un accord. Un plan d’économies a été publié à la mi-décembre et le fonds de transition prévu initialement par le gouvernement a été réduit, mais pas supprimé, grâce à des mesures de rigueur qui ont jeté un froid.

Quelles sont ces mesures ?

Tout d’abord, la subvention qui avait été promise à la Deutsche Bahn pour reconstruire le système ferroviaire devenu vétuste a été supprimée. La DB va devoir vendre ses filiales de transport, notamment la DB Schenker et les investisseurs vont se positionner sur le marché. Par ailleurs, le développement du réseau ferroviaire, qui était envisagé, va être freiné par des règles liées à la protection de la nature. C’est un vrai problème, car en raison du fédéralisme, dans le secteur des transports, il existe un grand axe Nord/Sud qui fonctionne bien, mais le reste du pays est essentiellement desservi par le transport routier.

Quels autres secteurs sont touchés ?

Le plan d’économies du gouvernement a également supprimé la subvention accordée aux industriels allemands qui servait à payer la taxe sur les emballages plastiques due à l’Union européenne. Cette taxe, introduite en 2021, était auparavant prise en charge par le gouvernement, mais ce ne sera plus le cas et le secteur risque d’être en souffrance, sans caompter les répercussions sur les prix des aliments. Les subventions sur le diesel agricole ont également été réduites et cette annonce brutale a provoqué des manifestations, dans un secteur agricole déjà passablement obéré. De même, du jour au lendemain, les aides à l’achat des voitures électriques ont été supprimées. La décision était étonnante, eu égard à l’importance du secteur automobile en Allemagne et cela a suscité beaucoup d’incompréhension. Cette suppression entraînera des conséquences à moyen terme, mais ne va pas avoir d’effets immédiats sur l’économie. C’est cependant un problème dans un pays où tout passe par la route.

La transition énergétique est-elle en marche ?

Le plan du gouvernement prévoit l’augmentation de la taxe sur le CO2 de 30 à 45 %. Cela pénalise les énergies fossiles et peut être considéré comme une bonne chose, mais l’industrie allemande a besoin de beaucoup d’énergie et en l’absence de nucléaire, il est probable que la hausse soit importante sur l’ensemble des produits manufacturés. Le kérosène sera davantage taxé, lui aussi. L’Allemagne vient de conclure un contrat avec un opérateur de gaz norvégien, car l’industrie est dépendante du gaz. Cette dépendance avait été construite sous Merkel, en attendant d’avoir recours à davantage d’énergies renouvelables. La part des énergies renouvelables s’élève à environ 50 % ce qui n’est pas encore suffisant et les industries principales à savoir le secteur de la chimie, de la métallurgie, la cokerie et l’automobile doivent utiliser du gaz.

Comment cette situation peut mettre en péril l’économie allemande ?

L’Allemagne est le plus grand pays exportateur d’Europe, à la hauteur de la Chine et des USA et continuera à garder cette force tant qu’en termes de transports tout va bien. Par ailleurs, les Allemands sont habitués à la rigueur et font en général toujours mieux que les exigences européennes en matière de frein à l’endettement. Ce sont là des éléments de nature à rassurer les investisseurs. Pour les points négatifs, l’un des plus importants problèmes outre-Rhin est le manque de main-d’œuvre, dans absolument tous les secteurs. Une politique incitative à l’immigration est mise en place, mais il faut voir à faciliter l’intégration. L’un des problèmes majeurs est celui du vieillissement de la population et de l’absence de structures de soins pour les personnes âgées, mais aussi pour les jeunes enfants et les enfants en âge scolaire. Cela ne fait que 15 ou 20 ans que l’école à plein temps existe, et encore pas partout. Les mères sont souvent contraintes de rester s’occuper de leurs enfants.

Qu’en est-il concernant le logement des particuliers ?

Dans ce domaine, la transition énergétique est bien avancée. Il n’y a pratiquement plus de chauffage qui utilise de l’énergie fossile. Le photovoltaïque, l’éolien et les pompes à chaleur sont utilisés par tous, même si elles sont 30 % plus chères en Allemagne et des obligations draconiennes ont été instaurées pour les maisons. Les propriétaires qui proposent des biens immobiliers à la vente ont aussi des obligations en matière d’isolation. Le marché de la rénovation fonctionne bien, mais comme en France, le secteur de l’immobilier est bloqué en raison de problèmes de financement. Beaucoup de surfaces restent vides.

Quels secteurs peuvent être investis ?

Le secteur santé/pharma a bénéficié des succès de la recherche en matière de cancérologie et se porte très bien. Dans l’alimentaire, le secteur de l’alimentation végétale bénéficie d’importants investissements et en recherche d’autres, car la R&D se développe beaucoup en la matière. Il y a même un campus franco-allemand dédié à ces questions. Quelque 50 % d’Allemands déclarent être végétariens et en conséquence, le secteur de la viande est en difficulté. Tout ce qui est IT et digitalisation accuse un certain retard par rapport à la France et là encore, des investisseurs sont recherchés.

Qu’en est-il du projet franco-allemand
de code européen des affaires ?

Ce projet, qui est effectivement issu d’une initiative franco-allemande, a eu du mal à émerger au niveau européen. Beaucoup d’entreprises européennes restent toujours centrées sur leur marché intérieur et les grands groupes internationaux opèrent souvent hors d’Europe. On peut remarquer à cet égard que les règles de la Convention de Vienne, relatives à la vente internationale de marchandises demeurent encore méconnues et sont peu utilisées pour les ventes transfrontières. Il est pourtant certain que des règles uniformes concernant le droit du travail seraient de nature à faciliter la mobilité des salariés. Mais même dans ce domaine, il existe encore beaucoup trop de différences entre les pays de l’Union, ce qui constitue des freins juridiques. Le traité d’Aix-la-Chapelle du 22 janvier 2019, sur la coopération franco-allemande, prévoit d’« instituer une zone économique franco-allemande dotée de règles communes ». L’association Henri Capitant, sous l’égide de laquelle se sont réunis les groupes de travail qui ont participé à ce projet de code des affaires, a publié le 22 septembre 2023 la première mouture de ce code. Mais c’est, à mon avis, un projet très ambitieux, peut-être trop, qui ne connaîtra pas d’application avant 10 ou 20 ans. L’initiative est bonne, mais il serait bon de viser dans un premier temps que quelques mesures simples pourraient facilement contribuer aux échanges et lancer le processus

Les directives européennes relatives
au devoir de vigilance vont-elles changer
la donne en Allemagne ?

L’Allemagne a commencé à mettre en œuvre ses propres règles en 2017 et, comme c’est souvent le cas, les règles de droit interne sont beaucoup plus strictes que celles posées par les directives. Il est vrai que cela peut inquiéter les investisseurs car cela crée une insécurité juridique en Europe. En Allemagne, les seuils d’application des règles de droit interne sont très bas, et s’appliquent dès que l’on atteint l’effectif de 250 employés. Les entreprises allemandes s’en plaignent d’ailleurs beaucoup car l’application de ces dispositions coûte cher et cela génère un surcoût important dans un paysage économique où l’on trouve beaucoup d’entreprises familiales.