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La Hongrie, incontournable en Europe

Par Anne portmann

Étant donné sa position stratégique, la Hongrie, qui s’est ouverte aux investisseurs depuis la chute du mur de Berlin, était une place d’investissement privilégiée. Mais depuis l’élection du nationaliste Viktor Orbán, les tensions avec l’Union européenne se sont davantage crispées, notamment à la suite du départ de la chancelière allemande Angela Merkel. François d’Ornano, associé fondateur du cabinet D’Ornano Partners, qui accompagne des investisseurs étrangers en Europe centrale et orientale depuis 25 ans, livre son analyse à la LJA.

Quelles sont les relations entre l’Union européenne et la Hongrie ?

Le mécanisme de conditionnalité a été activé pour la première fois en avril 2022 par l’Union européenne à l’encontre de la Hongrie, en raison d’irrégularités systématiques dans les passations de marchés publics, ainsi que de défaillances en matière de poursuites judiciaires et de lutte contre la corruption. Le 30 novembre 2022, la Commission européenne a publié une communication et une proposition au Conseil dans lesquelles elle recommandait de geler 5,8 Mds€ du plan de relance post-covid et 7,5 Mds€ de fonds de cohésion, tant que le gouvernement hongrois ne ferait pas le nécessaire pour améliorer l’État de droit.

Où en est la situation aujourd’hui ?

En décembre dernier, les États membres ont finalement décidé de valider le plan de relance post-covid de la Hongrie, soit 5,8 Mds€ de subventions. Grâce à cette décision, qui devait être prise avant la fin de l’année pour que la Hongrie ne perde pas ces fonds, les subventions en question restent gelées. D’autre part, les États membres ont décidé d’alléger la sanction que la Commission leur recommandait de prendre contre la Hongrie. Alors que la Commission préconisait, au nom du mécanisme de conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l’État de droit, de geler 7,5 Mds de fonds de cohésion, les États membres ont ramené cette somme à 6,3 Mds€ (soit 55 % des fonds européens destinés à la Hongrie). En contrepartie, la Hongrie a levé son veto sur le projet d’impôt minimum et son blocage de l’aide à l’Ukraine à hauteur de 18 Mds€ provenant du budget européen. La Hongrie ne pourra néanmoins bénéficier de ces 12 Mds€ de fonds européens que si la Commission se dit satisfaite de la tenue des engagements pris par le gouvernement hongrois, à savoir la réalisation de 27 « super jalons », comprenant les 17 mesures anticorruption ainsi que des réformes pour améliorer l’indépendance du système judiciaire. C’est un signal positif, car il témoigne de la volonté de l’Union européenne de conserver une voie de discussion. La Commission européenne était coincée, d’une part entre la position assez intransigeante d’une partie du Parlement européen et, de l’autre, la position de Viktor Orbán qui, il faut bien le dire, n’a rien fait pour arranger les choses. Elle a donc essayé de trouver un accord avec la mise en place, pour la première fois, de cette procédure qui conditionne le versement des fonds européens à l’entrée en vigueur de certaines réformes. Il faut comprendre que du temps d’Angela Merkel, la CDU demeurait assez proche du Fidesz, le parti au pouvoir en Hongrie. Depuis qu’en Allemagne, d’où viennent la grande majorité des investisseurs du pays, le SPD est majoritaire, la politique allemande est beaucoup moins complaisante et les relations se sont crispées. Mais sur l’aspect politique, beaucoup de choses fausses ont été dites, car, par exemple, la Hongrie a voté toutes les sanctions contre la Russie.

Quelles réformes ont été mises en place pour répondre aux exigences de l’Union européenne ?

Selon l’Agence européenne de lutte contre la fraude, la Hongrie est le pays de l’Union qui a commis le plus d’irrégularités dans l’utilisation de l’argent européen, ne respectant pas les règles de base dans l’accès aux marchés publics. Pour répondre aux préoccupations de la Commission européenne, le gouvernement hongrois a notamment mis en place une Autorité de l’intégrité, dont la composition est critiquée par les ONG, mais nous verrons à l’usage comment elle fonctionne. L’une des autres réformes importantes permettra aux citoyens de porter plainte, s’ils estiment que le parquet a arbitrairement mis fin à une enquête pour corruption. N’importe qui pourra ainsi déposer une requête en réexamen, alors que jusqu’à présent ce recours n’était pas ouvert aux parties tierces. Ces mesures relatives à l’État de droit devraient également contribuer à un climat plus favorable aux investissements et à un processus décisionnel de meilleure qualité et plus transparent. Il reste des difficultés non encore réglées à ce jour et nous attendons la mise en pratique. Nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour en juger.

Le protectionnisme mis en place par le gouvernement est-il un problème ?

À la chute du mur de Berlin, la Hongrie a été l’un des pays de l’ancien bloc communiste qui s’est ouvert le plus franchement à l’investissement étranger. Quelque 70 % du secteur bancaire étaient contrôlés par les entités étrangères. Tel était également le cas dans nombre d’autres secteurs d’activité stratégiques. Lorsqu’il a été élu en 2010, Orbán a souhaité renationaliser et a progressivement réduit les investissements étrangers à 40 % dans le secteur bancaire. C’est allé un peu plus loin dans d’autres secteurs. Se sont ajoutés certains freins à la liberté de la concurrence qui ont verrouillé certains pans de l’économie, ainsi que des atteintes à la liberté de la presse. En dépit de ces problèmes, les investisseurs sont restés et on a même vu croître la part de l’investissement asiatique (Chine, Corée et Japon). L’Allemagne demeure le premier investisseur, suivi par les États-Unis. Certains secteurs spécifiques comme le bancaire, les télécoms, les assurances, l’agricole et les médias se sont un peu refermés, mais d’autres présentent encore des opportunités avec la présence notamment de grands groupes français, tels que Sanofi et Servier dans le secteur pharmaceutique, Valeo et Michelin dans le secteur des équipementiers automobiles, Auchan pour la grande distribution ou encore Groupama, qui a développé un partenariat avec la grande banque hongroise OTP.

Quelles réformes récentes importantes ont été prises ?

Pour pallier le problème démographique, le gouvernement hongrois a pris un certain nombre de mesures dans le domaine familial, notamment via la fiscalité (par ex. l’exemption de l’impôt sur le revenu pour les mères de moins de 30 ans et les jeunes de moins de 25 ans), l’accès facilité aux logements (prêt à taux zéro sous la condition d’une naissance dans les cinq ans, aides non remboursables pour l’acquisition d’un bien immobilier sous certaines conditions) ou encore l’aide financière conséquente pour l’achat d’un véhicule sept places dès trois enfants. Cette politique nataliste semble porter ses fruits puisque la Hongrie est l’un des rares pays au monde à avoir une courbe ascendante sur les dix dernières années. Autre réforme majeure adoptée récemment et mentionnée précédemment : la création d’une Autorité de l’intégrité et d’un groupe de travail anticorruption, sous la pression de Bruxelles, pour mieux contrôler l’utilisation des fonds de l’UE. La Hongrie prévoit également un vaste ensemble de mesures dans le domaine de l’énergie, comportant d’importantes réformes et des investissements promouvant les énergies renouvelables.

La crise sanitaire a-t-elle changé les choses ?

Le pays a été très affecté par la crise sanitaire, il a connu le deuxième plus haut taux de décès liés au covid en Europe, juste après la Bulgarie. Le système de santé a été très dégradé. D’un point de vue économique, comme ailleurs, les entreprises des différents secteurs ont été confrontées à des perturbations telles que les problèmes d’approvisionnement, de rupture des stocks, de liquidité, de pénurie de main-d’oeuvre, etc. Comme évoqué, les États membres ont validé en décembre dernier le plan de relance post-covid de la Hongrie d’un montant de 5,8 Mds€ et nous ne pouvons qu’espérer que cet argent sera débloqué car le plan hongrois comprend un vaste ensemble de réformes et d’investissements qui contribueraient à relever efficacement les défis économiques et sociaux décrits dans les recommandations adressées à la Hongrie par le Conseil européen. Ces défis concernent notamment les domaines de la transition écologique et numérique, de l’éducation, de la politique sociale, du marché du travail, des soins de santé, de la lutte contre la corruption, de l’indépendance du pouvoir judiciaire, de la qualité du processus décisionnel, des marchés publics, de la fiscalité et du système de retraite.

Quels freins voyez-vous à l’investissement ?

J’en identifie deux. Bien que les taux d’imposition restent avantageux, il existe une forme d’incertitude fiscale, le gouvernement faisant récemment passer des réformes en procédure accélérée ou par voie de décret aux motifs de l’état d’urgence (en vigueur depuis deux ans et demi). C’est ainsi qu’il a introduit par décret, l’année dernière, une taxe sur les revenus exceptionnels dans plusieurs secteurs, touchant essentiellement les entreprises étrangères. Le deuxième frein est le manque de main-d’oeuvre. Le pays connaît, comme de nombreux autres pays d’Europe centrale, un problème démographique qui n’est pas compensé par l’immigration et l’on constate le départ de personnes qualifiées. Ceci étant dit, la Hongrie reste un acteur majeur de la région, aussi bien d’un point de vue économique que géographique. Il continue d’attirer des investisseurs étrangers, d’autant que la plupart de ceux installés sont satisfaits de leur développement, reconnaissant, malgré les difficultés évoquées, un cadre fiscal et d’investissement qui reste très intéressant par rapport à d’autres pays de la zone. La Hongrie dispose d’un système juridique et légal particulièrement proche de celui que l’on connaît en France, ce qui assure aux investisseurs une certaine sécurité juridique, notamment grâce à des tribunaux globalement compétents et diligents et une intégration du pays dans l’UE qui permet un certain nombre de garde-fous.