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Île Maurice, un droit hybride attractif

Par LA REDACTION

Attirées par ses avantages fiscaux, son infrastructure développée ainsi que sa main-d’oeuvre, aussi à l’aise en français qu’en anglais, de nombreuses entreprises choisissent de s’installer à l’Île Maurice. Pascale Lagesse, associée du cabinet Bredin Prat et Jason Harel, co-founding partner de BLC Roberts & Associates détaillent les atouts de l’île et les points d’attention à ne pas négliger avant de faire ses valises.

Au-delà d’être un petit paradis de sable blanc et d’eau turquoise, l’Île Maurice est aussi un État fiscalement attractif pour les entreprises. Expliquez.

PASCALE LAGESSE : Il y a plusieurs éléments qui rendent l’Île Maurice fiscalement avantageuse, parmi lesquels un impôt sur les revenus à la hauteur de 15 %, l’absence d’impôt sur les plus-values (c’est-à-dire, pas de « capital gains tax » ), l’absence de retenue à la source sur les paiements de dividendes par les sociétés mauriciennes aux associés (résidents et non-résidents). Il n’y a pas non plus de contrôle des changes, ni de restriction sur le rapatriement des capitaux. L’Île Maurice a en outre organisé un vaste réseau de traités visant à éviter la double imposition.

Pourquoi l’île est-elle considérée comme une porte d’entrée vers l’Afrique ?

JASON HAREL : L’Île Maurice a conclu plusieurs traités visant à éviter la double imposition d’impôts avec plusieurs pays africains (Afrique du Sud, Zimbabwe, Ghana, entre autres). Ces traités s’avèrent avantageux pour les investisseurs étrangers qui mettent en place des véhicules d’investissement à l’Île Maurice en vue d’investir dans ces pays africains. À titre d’exemple, la majorité des pays africains imposent une retenue à la source sur les dividendes versés aux non-résidents. Ces traités limitent les retenues à la source sur les dividendes avec des taux généralement entre 0 à 10 %. Cela permet aux investisseurs de réaliser des économies d’impôt en fonction du pays d’investissement. Des avantages similaires s’étendraient également aux versements d’intérêts, de « royalties » ou de plus-values par ces pays africains. L’Île Maurice a également conclu des Investment Promotion and Protection Agreements (« IPPA ») avec divers pays Africains (Sénégal, Madagascar, Égypte, Tanzanie, entre autres). Un IPPA prévoit notamment un traitement juste et équitable pour les investisseurs, une compensation pour les pertes résultant de conflits, le libre transfert des investissements et des bénéfices, et le règlement des différends en matière d’investissement selon des règles internationales.

Quels sont les points d’attention auxquels doivent veiller les groupes étrangers avant de s’implanter ? Quelles sont les conditions d’implantation ?

JASON HAREL : Il est très simple de créer une entreprise à l’Île Maurice. Il n’y a pas d’investissement minimum et une participation étrangère de 100 % est autorisée. Selon le type d’activité de l’entreprise, celle-ci peut être tenue de demander des licences auprès de la Financial services Commission ou d’autres autorités. Il existe divers types d’entités notamment les fonds, les fiducies, les sociétés domestiques, les sociétés dites « Global Business Company » ou les sociétés dites « Authorised Company » qui peuvent être créées pour répondre à l’objectif de l’investissement.

Le droit social local est-il également attractif pour les entreprises ?

PASCALE LAGESSE : La relation employeur/ salarié est régie par le Workers’ Rights Act du 24 octobre 2019. Ce texte définit l’ensemble des règles à respecter par l’employeur et le salarié dans le cadre de la relation de travail en matière de contrat de travail, salaire, temps de travail, congés payés, assurance maladie, licenciement, retraite… En matière de droits collectifs, la loi mauricienne offre une protection aux salariés qui souhaitent adhérer aux syndicats reconnus par le système mauricien. En ce sens, tout responsable ou négociateur d’un syndicat reconnu a le droit de participer aux négociations collectives, traiter des questions relatives à la santé et la sécurité des salariés, contrôler le respect d’une convention collective. Les grèves collectives sont, de manière générale, le dernier recours des salariés et ne sont pas courantes à Maurice. Les employeurs arrivent en général à régler avec les organisations syndicales les questions liées à l’emploi. Dans la plupart des cas, un accord est trouvé entre les parties. S’agissant de la protection sociale, l’employeur est seulement tenu de verser une cotisation de 15 % (Pay-As-You-Earn) sur les salaires versés aux salariés chaque mois, mais également la CSG (contribution sociale généralisée) pouvant aller jusqu’à 9 % du salaire, ainsi que la NSF (national savings fund) qui est une contribution à hauteur de 2.5 % du salaire mensuel de base.

Le droit mauricien est hybride, c’est-à-dire qu’il combine des éléments de common law et de droit romano-germanique. Quelles conséquences en pratique ?

PASCALE LAGESSE : Le système juridique de l’Île Maurice combine en effet à la fois les pratiques du droit civil (du code Napoléon français) et de la common law britannique. Certains domaines du droit sont purement régis par le droit français, par exemple le droit des contrats et du commerce (général), tandis que le droit de la preuve (c’est-à-dire la « law of evidence ») est inspiré du droit anglais. La « company law », quant à elle, s’inspire principalement des pratiques néo-zélandaises. Le droit mauricien s’est métamorphosé au fil des décennies en un droit autonome et a ainsi développé sa propre jurisprudence résultant des décisions judiciaires basées sur la common law mais aussi du droit codifié. Les différentes décisions provenant de ce système hybride ont servi à créer de nouveaux précédents mieux adaptés à l’île. Ce système unique lui offre une flexibilité incomparable à d’autres juridictions et lui permet de bénéficier des meilleures caractéristiques et avantages des deux systèmes juridiques.

Quelles matières du droit ont été particulièrement réformées ?

JASON HAREL : Il y a eu l’introduction des lois et amendements afférents aux fins de promouvoir la bonne gouvernance et la transparence financière à l’Île Maurice. Le droit du travail s’est aussi revêtu par le biais du Workers’ Rights Act 2019. Il faut également noter l’existence du Data Protection Act 2017 (auparavant, ce droit fut régi par un texte de loi datant de 2004) qui vise à assurer le respect des principes de protection de données personnelles. Il suit les principes du RGPD européen. À noter que chaque année, après l’annonce du budget par le ministre des Finances, le Finance Act est adopté pour amender toutes les législations pertinentes afin de donner effet aux nouvelles mesures.

Maurice a promulgué de nombreuses lois visant à prévenir et à combattre la corruption. Quel est le niveau de sophistication de ce droit ?

PASCALE LAGESSE ET JASON HAREL : De nombreuses initiatives ont été mises en oeuvre à la suite de l’inscription de l’Île Maurice sur la liste noire européenne en octobre 2020. Ces initiatives ont porté leurs fruits puisque le pays a été retiré de la liste le 7 janvier 2022. Les lois mauriciennes sont très souvent inspirées de standards internationaux ou de règles étrangères. Elles permettent, de manière générale, de sanctionner ceux qui s’adonnent aux pratiques illicites liées au blanchiment d’argent et à la corruption. La lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme a été un objectif sérieux du pays au fil des années. L’Île Maurice s’est notamment engagée à adhérer aux normes internationales de AML/CFT définies par les FATF 40 Recommendations et le ESAAMLG Mutual Evaluation Process. À cet effet, plusieurs textes ont été adoptés, notamment la loi de 2002 dite la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002 (FIAMLA), les Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Regulations 2018 (FIAMLR), l’Asset Recovery Act 2011 et l’United Nations (Financial Prohibitions, Arms Embargo and Travel Ban) Sanctions Act 2019 (UN Sanctions Act). La Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002 (FIAMLA 2002) a pour objectif de prévoir la création et la gestion d’une cellule de renseignement financier et d’un comité de surveillance chargé de superviser ses activités, les délits de blanchiment d’argent, la déclaration des transactions suspectes…. La FIAMLA 2002 a été renforcée au fil des années afin d’aligner le cadre national de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (AML & CFT) sur les recommandations du FATF. Le FATF a recommandé que des sanctions, y compris administratives, soient prises à l’encontre des personnes physiques ou morales qui ne respectent pas les exigences en matière de AML/CFT. En conséquence, la FIAMLA 2002 a habilité des organismes tels que la Financial Services Commission, la Bank of Mauritius, la Financial Intelligence Unit (en sa qualité de régulateur), la Gambling Regulatory Authority, l’Attorney-General’s Office, le Financial Reporting Council, à agir en tant que régulateurs, en ce qui concerne l’application du cadre AML/CFT, pour ses licensees.