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Teynier-Pic, vers l’avenir et au-delà

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Magazine N°55 - Septembre 2018
Reportage photographique : Mark Davies

La boutique d’arbitrage qui fêtera ses quinze ans l’année prochaine se tourne vers l’avenir avec l’arrivée récente de deux nouveaux associés et de collaborateurs. Comment ce cabinet singulier, qui rivalise avec les départements arbitrage des plus grandes structures internationales a-t-il trouvé sa place ? Portrait.

Éric Teynier et Pierre Pic s’étaient connus chez Shearman & Sterling, dans l’équipe d’Emmanuel Gaillard où ils exerçaient. Partis ensemble chez EY, ils y rencontrent Stéphanie Shafie, qui les suivra par la suite dans leurs aventures en tant qu’Office Manager du cabinet. Et c’est à cette époque que l’idée de monter leur propre boutique a germé, l’affaire Enron et ses conséquences en matière de conflits d’intérêts ne faisant que précipiter les choses. « C’est l’occasion qui a fait le larron, précise Éric Teynier. Je pensais, en arrivant chez EY, y avoir définitivement posé mes valises, car à l’époque les synergies du cabinet d’avocats avec l’audit étaient fructueuses et nous permettaient d’avoir également accès aux directeurs financiers des entreprises ». Estimant qu’il y avait une place à prendre, différenciante dans un marché de niche dominé par les grandes structures, les deux avocats se lancent. « À l’époque, les concurrents de notre taille étaient tous arbitres », raconte Éric Teynier, citant les cabinets Castaldi-Mourre ou encore Derains ou Lazareff. « Il n’existait pas de boutique consacrée à 100 % au conseil, et nous en avons fait notre marque de fabrique ». L’alternative séduit les clients. Il faut dire que les deux avocats avaient eu la chance de partir de chez EY avec de solides dossiers, en particulier celui lié à l’affaire Libancell, une affaire d’expropriation particulièrement retentissante. « Par ailleurs nous avions conservé d’excellents rapports avec les bureaux partenaires d’EY à l’étranger, dans plusieurs pays, notamment en Europe de l’Est ». Le cabinet prospère et décide, en 2007, de s’adjoindre les compétences de Laurence Kiffer, issue du cabinet Derains & Associés, l’une des rares figures féminines de l’arbitrage en France à l’époque, connue pour son profil « conseil ». Les trois associés, ensemble, constituent les fers de lance d’une nouvelle pratique de l’arbitrage international. « Les clients savaient d’où nous venions et cela a contribué à la renommée du cabinet », reconnaît Laurence Kiffer.

Durant ces premières années, le cabinet, sur la brèche, mène sa barque, évitant les deux écueils qu’il craint le plus : être considéré comme un vivier d’arbitres indépendants et, surtout, avoir l’image d’une boutique exclusivement franco-française. « Nous avons mis 7 à 8 ans à passer ce cap et trouver une certaine assise » dit Éric Teynier. Les associés ont d’ailleurs souvent été approchés par des cabinets anglo-saxons pour les absorber. « Ils voulaient faire de nous leur département d’arbitrage », se rappelle Laurence Kiffer. « Puis, les gens ont compris que nous tenions à notre indépendance », enchaîne Éric Teynier. Une fois construit sur des bases solides, le cabinet a pu entamer la réflexion sur son développement.

Le temps de l’expansion

C’est à l’université de Nanterre, où Éric Teynier et Pierre Pic enseignent l’arbitrage international en M2, qu’ils font la connaissance de Raphaël Kaminsky, également enseignant. Ce dernier, après 10 années passées chez Latham & Watkins, avait rejoint le cabinet Lazareff Le Bars juste après la disparition de Serge Lazareff. Après quelques années, assoiffé de liberté, Raphaël Kaminsky a décidé de se lancer à son tour. Préférant ne pas s’associer tout de suite, il a dans un premier temps rejoint l’équipe en coopérant avec les avocats du cabinet sur un certain nombre de dossiers.

C’est également à cette époque que le cabinet se rapproche de Peter Griffin, ancien de Shearman & Sterling lui aussi, qui a monté à Londres un cabinet de niche, spécialisé dans la négociation avec les États souverains pour l’exécution des sentences arbitrales. « Ce positionnement correspondait parfaitement à notre pratique et à nos besoins, en la matière. Or, la question de l’exécution était un vrai serpent de mer », lance Éric Teynier. Le cabinet parisien et le cabinet londonien concluent un partenariat début 2016. Et c’est quelque temps après qu’ils réussissent ensemble une belle opération : récupérer une partie des sommes dues par la Guinée équatoriale à un créancier français, en vertu d’une sentence arbitrale inexécutée depuis plusieurs années. L’équipe se souvient de cette folle journée. « C’était un vendredi. On nous a appelés le matin, pour nous informer qu’un avion appartenant à la Guinée équatoriale était sur le tarmac de l’aéroport de Lyon. C’était l’occasion ou jamais. Il fallait aller soutenir la requête avant 16 heures ce jour-là », se rappelle Éric Teynier. Laurence Kiffer attendait de son côté, le feu vert du conseil d’administration de l’entreprise, tandis que Raphaël Kaminsky rédigeait la requête de saisie d’aéronef et que Pierre Pic gérait les contacts locaux et les négociations avec la Guinée équatoriale. « Nous avons récupéré 45 millions d’euros, soit à peu près le tiers de la dette », se souviennent-ils. Le cabinet avait déjà géré un dossier similaire dans une affaire contre le Niger. De tels procédés ne sont possibles que grâce à la souplesse et à la réactivité de l’équipe et de ses partenaires. « Nous fonctionnons de manière atypique et nous avons plusieurs clients en commun, nous travaillons de manière interactive », explique Laurence Kiffer. Si l’un des associés est l’interlocuteur au quotidien du client, un autre peut l’assister en cas de besoin et appréhender le dossier avec plus de recul. « Nous avons réussi à faire valoir notre spécificité. Contrairement à ce qui se passe dans les départements arbitrage des grandes firmes, nous ne sommes pas surspécialisés et surtout, nous restons positionnés sur le contentieux qui représente un tiers de notre chiffre d’affaires », précisent les associés. Éric Teynier ajoute d’ailleurs qu’il incite tous ses collaborateurs à faire du contentieux classique. « C’est une excellente formation à la pratique de l’arbitrage ; c’est là que s’acquièrent les techniques de plaidoirie et les capacités de repartie », estime-t-il.

La jeune garde

Raphaël Kaminsky a fini par s’associer pour de bon à l’équipe début 2017. Il a quelque peu modifié la routine des trois associés en termes de répartition des parts et des bénéfices. « Avant, il y avait un fonctionnement un peu communautaire, c’était le kibboutz ! », plaisante-t-il. « Nous avons dû moduler notre fonctionnement pour l’ouvrir à des plus jeunes et nous avons aussi introduit davantage de performance individuelle » explique Éric Teynier. Le cabinet s’est aussi structuré, des process ayant été mis en place, notamment pour les collaborateurs, venus de cabinets internationaux très charpentés et habitués à travailler avec des cadres. « Ils veulent reproduire ce qu’ils ont connu dans leurs anciens cabinets », constate Raphaël Kaminsky, soulignant que ces règles sont appliquées en harmonie avec les fortes valeurs qui sont celles du cabinet depuis la création. « En 14 années d’existence, il n’y a eu aucune mésentente entre les associés, ce qui est assez rare pour être souligné », observe-t-il, et confesse qu’il a aussi été séduit par l’important « capital sympathie » qui auréole le cabinet et ses associés. « Dans ce milieu où les ego sont pourtant très forts, les associés ont gardé une grande simplicité et une grande humilité », relève-t-il.

C’est aussi cet aspect qui a plu à Shaparak Saleh. « Rising star » de l’arbitrage, elle a fait la connaissance d’Éric Teynier à l’occasion d’une simulation de procès qu’elle a organisée pour un client. Éric Teynier jouait le rôle du juge et elle plaidait pour le client. « Ce qui m’avait frappé, c’est la bienveillance de ses commentaires ». La jeune avocate, qui a fait ses armes chez Freshfields Bruckhaus Deringer, d’abord en contentieux, puis en arbitrage avec Elie Kleiman, cherche à développer une clientèle. « Je cherchais un environnement qui me correspondait, quelque chose de différent, je voulais aussi savoir ce que je valais par moi-même et pas en tant que simple membre du réseau d’un cabinet ». C’est dans ces circonstances qu’elle décide de rejoindre l’équipe. Décidés à assurer la pérennité du cabinet, les associés n’excluent pas d’autres arrivées prochaines. Ce renouvellement des générations suit aussi ce qui se passe chez leurs clients. « C’est au tour des gens de notre génération d’arriver aux responsabilités », note Raphaël Kaminsky. « Les dispositions sur la parité ont transformé la gouvernance des sociétés du CAC 40, qui se sont féminisées et rajeunies », ajoute Laurence Kiffer, qui avec Shaparak Saleh, souligne l’importance, pour le cabinet de compter en son sein deux femmes sur cinq associés.

Vers de nouveaux horizons

L’expertise de Shaparak Saleh dans les dossiers d’Afrique du Nord, alliée à la connaissance du continent africain que possèdent les autres avocats du cabinet, sont autant d’opportunités. « Il y a un fort appel du continent africain, en plein développement et pour lequel nous avons beaucoup de sollicitations », précisent les associés. La nationalité iranienne de Shaparak Saleh et sa maîtrise du persan constituent un atout supplémentaire pour les dossiers du Moyen-Orient. Parallèlement, le cabinet s’adjoint des collaborateurs ouverts sur l’international. Ils sont tous anglophones et ont des liens forts avec d’autres pays, comme Asha Rajan, avocate en Inde. Le cabinet envisage également de faire évoluer le partenariat existant avec son homologue britannique et les liens noués avec des cabinets étrangers, notamment les cabinets libanais côtoyés à l’occasion de nombreux dossiers traités dans la région. « Nous créons un maillage avec tous les cabinets avec lesquels nous avons travaillé, avec ceux que les clients nous font rencontrer », constate Laurence Kiffer. « Mais nous ne pouvons pas vous dire précisément ce que l’on fera dans cinq ans, c’est encore un impensé qui prend néanmoins forme petit à petit », reconnaît Éric Teynier.

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