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Temime, aujourd’hui et demain

Par Ondine Delaunay

Un an après le décès de son fondateur, Hervé Temime, figure du barreau pénal, le cabinet Temime tient plus que jamais sa place parmi les leaders de la défense pénale et du contentieux grâce à une équipe d’associés volontaires.

Les locaux du cabinet Temime, situés rue de Rivoli, juste en face du Louvre, donnent le ton des rencontres qui vont suivre. L’entrée est discrète, pas de grand logo dans la rue, le visiteur pourrait presque passer à côté de la porte du rez-de-chaussée sans la voir. Mais dès l’immense escalier d’honneur, les œuvres d’art s’imposent. Sans grande logique d’ailleurs, l’ambition n’est pas là. C’est un véritable cocon artistique qui se découvre au fur et à mesure des pièces, dans lequel se mêlent des couleurs, des inspirations, des souvenirs hétéroclites avec une forme de majesté et de grâce, sous l’œil bienveillant et chaleureux d’Hervé Temime dont le portrait au large sourire trône devant la table de réunion.

S’y installent, tour à tour, les huit associés de la maison, dans une ambiance familiale, empreinte de respect, d’affection et de complicité. Ils se connaissent bien. Très bien, même. Ils parlent ensemble, sans jamais se couper la parole, dans une sorte de brouhaha sympathique et très organisé. Bien sûr, les idées de celui qui est devenu une figure paternelle émaillent leurs discours respectifs parsemés d’anecdotes sur des dossiers passés et de souvenirs chaleureux sur des réunions de travail.

La lumière est désormais sur eux, ces associés dont la moyenne d’âge dépasse à peine les 40 ans. Tous portent aujourd’hui le cabinet Temime, qui n’est plus un patronyme mais bien une marque, depuis déjà plusieurs années et grâce à l’intervention d’une agence de communication qui a astucieusement conseillé de retirer « & Associés » après le nom du fondateur. « C’était en 2015, se souvient Julia Minkowski. Hervé voulait que nous incarnions tous cette marque. D’une certaine façon, il nous donnait ainsi les moyens de continuer cette aventure collective sans lui ». À cette même époque, le cabinet prend d’ailleurs une autre dimension.

Une équipe unie

Martin Reynaud se lance dans les explications. Il parle en agitant ses mains aux doigts fins et longs, son discours est ponctué de nombreuses références littéraires. À ses côtés, Julia Minkowski l’écoute avec attention. Un sourire pudique ne lâche jamais son visage et son regard, droit, témoigne de son intelligence. Remarquable écrivain, celle qui a fondé le club des femmes pénalistes en 2013, est devenue un modèle d’inspiration pour la nouvelle génération d’avocates qui cherche à trouver sa place au Palais. « Le positionnement du cabinet a évolué autour de l’année 2015, car l’équipe était jusqu’alors exclusivement composée de pénalistes qui avaient fait leurs débuts auprès d’Hervé, raconte Martin Reynaud qui y a débuté au sortir de la fac, tout comme Julia Minkowski, Harold Teboul, Chirine Heydari-Malayeri et bien sûr Corinne Dreyfus-Schmidt qui a participé, depuis 30 ans, au développement de la structure. Nous ont ensuite rejoint des associés en provenance de firmes internationales, qui ont apporté leur expérience du monde des affaires et nous ont permis de diversifier nos activités ». La pétillante Olinka Malaterre tout d’abord, issue de Weil Gotshal & Manges. Puis le robuste et rassurant Léon del Forno, formé chez Skadden Arps, suivi rapidement de Quentin de Margerie, qualifié de grand technicien par ses pairs. Avec eux et sous l’œil bienveillant du fondateur, le cabinet Temime prend un nouveau tournant : celui de la modernité et de la diversification.

Si le dénominateur commun reste assurément le droit pénal des affaires, la boutique se déploie peu à peu sur des dossiers de contentieux des affaires, devant les juridictions civiles, commerciales et les autorités administratives indépendantes. « Notre ADN, c’est la plaidoirie », assure Léon del Forno, qui a développé une pratique de contentieux civils et commerciaux, en parallèle de ses dossiers de pénal des affaires pour lesquels il a forgé un savoir-faire remarqué. Quentin de Margerie se charge quant à lui des sujets réglementaires, notamment devant l’AMF. L’activité contentieuse se concentre surtout sur des litiges entre actionnaires, ou post-M&A. Leurs clients sont généralement des fonds d’investissement, des fondateurs, des groupes familiaux, et des industriels. « Il n’est pas toujours utile de lancer un projet d’assignation. Une mise en demeure bien détaillée peut suffire, surtout si la partie adverse sait qu’elle est rédigée par un avocat de Temime qui peut, assez facilement, dégainer la carte pénale », poursuit ce dernier. Cette double compétence est différenciante et intéresse les entreprises. Elle permet ainsi à l’équipe de revendiquer son positionnement auprès des personnes morales. Jusqu’alors, à quelques exceptions près, notamment celle des laboratoires Servier, les associés étaient surtout reconnus pour accompagner des personnes physiques. Aujourd’hui, la clientèle se compose autant d’individus que de groupes, français et internationaux. Des grands noms comme Apple, LVMH, Pernod Ricard, Accor ou encore Legrand leur font confiance. Léon del Forno a d’ailleurs été remarqué par les directeurs juridiques du CAC 40 parmi les dix « rising stars » de la place.

Cette stratégie ne tarde pas à attirer l’œil des firmes internationales, qui n’hésitent pas à envoyer à la boutique des dossiers sur lesquels ils sont eux-mêmes conflictés. Car Temime c’est l’assurance d’un travail mené avec sérieux et engagement, nous dit-on. Grégoire Bertrou, associé du cabinet Willkie Farr, le reconnaît : « Ce qui distingue le cabinet Temime c’est sa capacité à donner une appréciation très fine du risque, des explications claires et accessibles et une réactivité totale. Et tout ceci, dans le respect de l’ADN du fondateur, à savoir une profonde humanité ». Éric Lasry, associé de Baker McKenzie, témoigne à son tour : « Pour Delphine Horvilleur, même quand une personne n›est plus là, il est possible de poursuivre une conversation. Depuis qu’Hervé Temime nous a quittés, bien trop tôt, la conversation se poursuit au sein du cabinet éponyme, remarquable exemple de transmission réussie - ses associés, tout comme lui, ont la défense dans la peau ».

S’ADAPTER, TOUJOURS

Clearstream, Bygmalion, UBS, Bernard Tapie au Crédit Lyonnais, Bettencourt, le Mediator… Par-delà les dossiers médiatiques qui s’enchaînent les uns après les autres depuis des années au sein du cabinet, la nouvelle génération a tenu à continuer à faire évoluer sa pratique au gré des « tendances » de marché. Les grandes enquêtes de compliance ont d’ailleurs été l’objet de longues conversations entre eux. Le pénaliste doit-il être un avocat enquêteur ? « Il peut l’être », nous répond-on tout en mentionnant le recrutement, en juin 2022, du collaborateur Charles Merveilleux du Vigneau, formé chez Clifford Chance, où il a notamment travaillé sur l’enquête puis la CJIP signée par Airbus. « La nouveauté ne nous effraie pas. Notre expertise doit s’adapter aux évolutions du droit et de la pratique », insiste Chirine Heydari-Malayeri qui réalise d’ailleurs des enquêtes en droit social et assiste des personnes mises en cause dans de telles procédures. Là encore, le positionnement de l’équipe n’est pas seulement auprès des personnes physiques. Si des CRPC ont été signées grâce au renfort des avocats, plusieurs CJIP pour le compte de personnes morales sont également à mettre à leur actif. Et d’autres sont encore à venir.

Le cabinet a également su évoluer pour se départir d’une image très parisienne. En 2016, Olinka Malaterre convainc ses associés de l’envoyer ouvrir un bureau secondaire… à Marseille. « J’avais fait le constat qu’il existait très peu de cabinets spécialisés en pénal des affaires dans la cité phocéenne. J’ai fait mes valises pour m’y installer, avec la bénédiction de l’équipe », se souvient celle qui revendiquait vouloir offrir à Marseille les mêmes services qu’à Paris. Mais les débuts ne sont pas faciles, d’abord parce que peu de dirigeants d’entreprises locales ont déjà entendu parler du cabinet Temime. « Il a fallu que je fasse connaître la marque et, surtout, que j’apprenne à m’en sortir sans Hervé. J’ai rédigé et imprimé des plaquettes pour présenter notre activité. Pour la première fois de l’histoire du cabinet, j’ai fait du business développement ! », explique-t-elle avec un entrain contagieux. Les résultats positifs sont indéniables. Huit ans après, le bureau a aujourd’hui trouvé sa place à Marseille et recrute ses avocats parmi les secrétaires de la Conférence des avocats du barreau local. « Ce travail fait pour présenter le cabinet nous a beaucoup servi, l’année dernière, reconnaît Julia Minkowski, car Olinka savait comment présenter Temime sans Hervé. Finalement notre implantation à Marseille était une forme de laboratoire d’idées visant à apprendre à vivre autrement ».

Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Puisque la culture de la défense est devenue mondiale, l’aura du cabinet Temime ne s’arrête plus aux frontières. Depuis 2022, l’avocate Gwennhaëlle Barral a la charge de développer le bureau luxembourgeois. Demain, tout reste possible. « Si dans les prochains mois, il y a une place à prendre à Rome, à Bruxelles et même à New York, on ira ! On ne s’interdit rien », lance Martin Reynaud, un brin rieur.

Le cabinet compte aujourd’hui 25 avocats. « Lors de mon arrivée, en 2015, nous étions neuf. La croissance a été exceptionnelle, le cabinet a su se transformer tout en conservant ses valeurs », retrace Léon del Forno. Bien sûr, parmi eux, il en manque désormais un, qui a longtemps été essentiel. Mais en un an, l’équipe s’est trouvé d’autres piliers. Et il y en a huit.

Éric Dezeuze, grand pénaliste et associé de Bredin Prat, tient d’ailleurs à leur rendre un hommage sincère. « Hervé avait réussi à créer une équipe formidable, conjuguant l’expérience, avec Corinne, et l’innovation, avec les jeunes talents qu’il avait associés. Il était fier de chacune et chacun d’eux et le faisait savoir avec chaleur. Il serait plus fier encore de voir l’excellence avec laquelle ils perpétuent ses valeurs et ses combats et font qu’il est toujours un peu des nôtres ». T

(1) Cf. LJA magazine, juillet 2023, en partenariat avec Forbes.