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Sandrine Asseraf : la quête de la croissance par les sentiers du droit

Par Anne Portmann | Photographies : Mark Davies

Sandrine Asseraf est devenue, après cinq ans chez Webhelp, « Group Managing director ». Un titre qui reflète sa transition vers un portefeuille de responsabilités plus large au sein du groupe. L’ancienne general counsel, qui s’est progressivement imposée comme l’un des piliers stratégiques de l’entreprise, a expliqué à la rédaction comment elle a réussi à transcender la matière juridique pour accéder à d’autres fonctions.

Sandrine Asseraf n’aime pas le mot « juriste ». Elle lui préfère le terme de « legal business partner ». Issue d’un milieu d’avocats, elle savait « dès le début » et à rebours de la tradition familiale qu’elle se tournerait vers le droit des affaires. En empruntant le chemin du juridique, elle est alors partie en quête de « l’efficience économique ». « Je voulais contribuer à la stratégie économique des entreprises grâce au droit. » Titulaire d’un magistère de juriste d’affaires, elle a très vite souhaité être au contact des questions entrepreneuriales. Avant d’exercer en cabinet d’avocats, ses premières armes se font au sein d’une start-up dans le domaine de la santé. « Je n’y faisais pas du tout de droit », se souvient-elle. Elle revêt ensuite la robe pour rejoindre le cabinet Willkie Farr & Gallagher, où elle s’occupe principalement d’opérations de M&A. « Je n’ai jamais exercé le métier d’avocat avec l’idée que je m’occuperai uniquement de droit. Je me suis toujours positionnée en tant que partenaire d’une stratégie d’entreprise », se souvient-elle. « Ce qui m’intéressait c’était de savoir comment, en tant qu’avocat, on pouvait être facilitateur de la vision et de la mission d’un projet. » Curieuse et insatiable, Sandrine Asseraf touche à tout, a soif d’apprendre et ponctue son parcours d’expériences entrepreneuriales différentes, en partant également à l’étranger. Lors de sa première année à New-York, en plus de ses activités juridiques pour Willkie, elle monte une équipe de volontaires afin de lever des fonds pour le service pédiatrique d’un hôpital. Quelques années plus tard, elle passe un an en Israël, dans une start-up. Beaucoup de ses proches vivent sur le continent américain et, elle, se sent citoyenne du monde. C’est avec ce prisme international et orienté vers l’entreprise qu’elle a abordé, après avoir raccroché la robe, sa carrière en entreprise, bien décidée à reléguer aux oubliettes l’image traditionnelle du juriste, mais avec l’envie de continuer à progresser en s’aidant des armes façonnées à la forge du droit.

De l’exercice en entreprise

Se défendant de tout opportunisme, Sandrine Asseraf confesse ne pas avoir eu de plan de carrière prédéfini. Sa boussole a été son instinct, ses rencontres et ses valeurs. « En réalité, j’ai surtout été guidée par la volonté d’être impliquée dans la réalisation d’un projet d’entreprise », estime-t-elle avec le recul. Passée chez Capgemini et arrivée à la tête d’une partie du service juridique de La Banque Postale, elle est embauchée chez Webhelp, alors en pleine croissance, à la veille du 4e LBO de l’entreprise. Elle se voit confier la mission de créer le service juridique et compliance. Alors elle a mis sur pied, structuré, renforcé, innové et surtout proposé. Sans regret pour ses anciennes fonctions en cabinet.

Elle explique pour quelles raisons elle a choisi de raccrocher la robe. D’abord, dit-elle, pour la notion d’accountability, bien plus aigüe en entreprise qu’en cabinet. Une idée qui va au-delà de la simple responsabilité au sens juridique du terme. « J’ai le goût de prendre des décisions et de les assumer », révèle Sandrine Asseraf, satisfaite de pouvoir voir quelles en sont les conséquences à moyen ou à long terme. « Au sein de l’entreprise, on ressent davantage la pluridisciplinarité qu’en cabinet d’avocats. » Toujours mue par la découverte et la soif d’apprendre, Sandrine Asseraf considère en effet que l’entreprise a le mérite d’impliquer beaucoup de partenaires, davantage que dans des cabinets d’avocats. « Il faut comprendre quels sont les enjeux de tous, sur des sujets divers et avoir une vision large. Et finalement, quel que soit le sujet, le seul instrumentum sera le contrat. Un bon deal est un deal où tout le monde est content », relève la jeune femme. Dans cette perspective à large focale, le directeur juridique a, selon elle, un rôle plus proche de celui d’un « chef de projet » et l’avocat est un membre de l’équipe fondamental, qui apporte ses compétences et son expérience. « Et on voit les choses autrement lorsque l’on est concerné "de l’intérieur" par l’opération. » La position du directeur juridique permet de ne pas connaître ce sentiment de frustration, exprimé par tant d’avocats qui ont sué sang et eau pendant des semaines, des mois sur un deal, de voir tout s’arrêter brutalement. Ce sentiment désagréable de ne pas voir grandir et évoluer un projet auquel on a contribué, de ne pas pouvoir évaluer son impact économique.

Alignement des planètes

Si Sandrine Asseraf a pu avoir cette trajectoire, c’est en raison de sa personnalité mais avant tout de la mentalité qui règne au sein de Webhelp. « Une entreprise agile, qui recrute des gens appréciés autant pour leurs compétences larges que pour leur mentalité entrepreneuriale et leur enthousiasme. » La juriste n’a d’ailleurs pas caché ses aspirations d’évolution et son tempérament « ubiquitaire ». Entrée dans l’entreprise pour le juridique et la conformité, elle a su être force de proposition et s’impliquer sur divers sujets qui devaient être traités dans cette phase de croissance. Dès lors, toutes les bonnes volontés étaient les bienvenues. Avec son prisme très international, Sandrine Asseraf l’avoue volontiers, elle apprécie l’agilité que lui permet l’entreprise. Or dans les pays anglo-saxons, on a l’habitude de voir évoluer des general counsels vers des postes de general managers. « Va-t-on arriver à cela en France ? », se demande-t-elle. Guidée par sa détermination personnelle et son envie de progresser, elle n’a cessé de proposer de contribuer sur de nouveaux projets, quitte à augmenter sa charge de travail. « Il ne s’agit pas de faire carrière au sein de l’entreprise en "piquant" des sujets aux autres », tient-elle à préciser. Elle relève à cet égard qu’il est plus facile de monter dans une société en croissance, où beaucoup de domaines demeurent inexplorés, plutôt que dans de grands groupes très structurés. Elle reconnaît aussi avec plaisir travailler avec une équipe admirable qui partage son état d’esprit. Sandrine Asseraf explique que la clé, pour évoluer, est aussi de rester humble. « Il faut beaucoup écouter, écouter plutôt que parler », admet la jeune femme pourtant très prolixe.

Mais cette ambition — Sandrine Asseraf préfère le terme anglais d’eagerness ou d’envie — implique, au début du chemin, d’explorer pour découvrir « quelles sont nos forces relatives ». Sortir de sa zone de confort, ne pas rester sur son cœur de métier, voilà son secret. Il faut ensuite gagner la confiance de ses pairs, en démontrant sa crédibilité et que l’on peut apporter de la valeur tout en étant toujours prêt à se remettre en cause. « Au fond, c’est avant tout une question de curiosité alliée à la faculté d’absorber la culture de l’entreprise », estime-t-elle.

Quand le juriste ouvre son horizon

Pour Sandrine Asseraf, la formation du juriste, en plus d’être rigoureuse, lui apprend à être perméable à ces différentes cultures. « Le juriste arrive au même résultat que les autres, mais en empruntant un chemin intellectuel spécifique », relève-t-elle. Elle donne l’exemple des consultants qui ont un raisonnement dissemblable, même si l’exigence reste identique. Ce qui fait peut-être, la force de l’Homme de droit, selon elle, c’est cette capacité à comprendre les méthodes employées par d’autres métiers. « Et la logique juridique est très saine intellectuellement. Elle enseigne une méthode de raisonnement rigoureuse, dans laquelle aucune réponse ne doit rester inexplorée même si elle est finalement écartée. » En fin de compte, avec l’expérience, le plus important reste l’intuition. Elle pointe que dans une carrière de juriste, il y a beaucoup de moments où l’on ne fait pas de droit. « Par exemple, une négociation dans le cadre d'un deal M&A n’est pas uniquement du droit. » Mais l’autre point fort du juriste c’est que même s’il utilise son intuition, il sait toujours fonder sa décision. Une qualité très appréciée. « Dans tous les cas, il faut faire du droit, mais être ouvert et curieux de comprendre d’autres choses », ajoute-t-elle.

Sandrine Asseraf prodigue quelques conseils aux juristes désireux d’évoluer dans leur entreprise. « Le plus important est d’appliquer la méthode de Harvard du getting to yes, c’est-à-dire de ne jamais dire "non". Il faut préférer le "oui mais" et ne pas adopter de posture de principe. » Il faut également ne pas hésiter à s’emparer des sujets émergents. Car à l’heure actuelle, des opportunités incroyables se présentent aux juristes. « Les nouveaux sujets de conformité et de compliance sont de formidables fenêtres sur le business. Il faut s’en saisir et continuer de s’ouvrir, accepter d’aller vers d’autres thèmes, au-delà du juridique, comme les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ». Voilà, aujourd’hui, les véritables sujets de transformation de l’entreprise. « Le legal et la compliance ont naturellement leur place dans l’ESG, en s’engageant à être un acteur citoyen et responsable pour l’ensemble de ses partenaires. »

De son point de vue, il est plus aisé d’évoluer au sein d’une entreprise dans laquelle on est déjà, plutôt que d’arriver avec le projet de transcender la fonction juridique dans une nouvelle entreprise. « Le lien de confiance que l’on construit et la crédibilité sont en effet importants pour pouvoir évoluer. » À cet égard, Sandrine Asseraf préconise d’enrichir ses rencontres professionnelles et de les cultiver « en dehors du cercle des juristes ». Elle-même revendique le fait d’avoir souhaité élargir son réseau bien au-delà de la communauté des juristes et de n’avoir, aujourd’hui, dans ses relations professionnelles, que peu de directeurs juridiques.

Juriste polyvalent et avocat spécialiste

À rebours du discours majoritaire, Sandrine Asseraf estime que le juriste et l’avocat exercent des professions différentes, même s’ils sont liés par des valeurs communes, notamment de déontologie. Favorable à l’introduction du legal privilege pour le juriste français, elle pense que « les juristes ne peuvent pas se dispenser des avocats, ils doivent travailler ensemble. Au-delà de leurs compétences techniques, leur expérience stratégique, leur capacité à être d’excellents "sparing partners", ils permettent de savoir ce qui se passe sur le marché ». Le rôle du juriste a changé, l’inflation règlementaire mais aussi son savoir-faire lui permettent de contribuer chaque jour davantage à la valeur actuelle ou future créée par l’entreprise. Elle observe que l’émergence de nouveaux métiers comme le contract management, la compliance ou encore les legal operations sont la preuve que le juriste est désormais un garant de la valeur de l’entreprise et s’imbrique dans la vie du « business ». « La dichotomie entre fonctions support et fonctions opérationnelles est aujourd’hui dépassée », conclut-elle. 

Willkie Farr & Gallagher Webhelp Sandrine Asseraf