Quitterie de Pelleport : rencontrer et transmettre
Quitterie de Pelleport a pris le poste de directrice juridique et secrétaire du conseil d’administration du groupe Renault voici maintenant un peu plus de quatre ans. Elle nous raconte son parcours, jalonné de rencontres, et son quotidien trépidant de directrice juridique, qui lui a permis de s’épanouir et d’élargir ses horizons.
Se raconter n’est pas un exercice facile », annonce Quitterie de Pelleport, qui a néanmoins accepté de se prêter au jeu pour la LJA. Après sa naissance dans le Nord, première fille après deux garçons, elle suit sa famille dans ses pérégrinations à travers la France, au gré des mutations professionnelles de son père, à Marseille, au Havre, à Bordeaux, puis à Paris. Plusieurs destinations mais un seul point d’ancrage : le Pays basque, où ses parents se sont rencontrés et où elle passe ses vacances depuis son enfance. Aujourd’hui, Quitterie de Pelleport prend toujours autant de plaisir à retourner avec ses enfants dans sa maison familiale. « C’est notre camp de base », sourit-elle.
Du côté de ses études, alors que ses frères penchent vers la voie scientifique, elle est la littéraire de la famille. Elle se souvient : « lorsque j’avais 15 ans, j’avais rencontré un conseiller d’orientation, qui avait pris le temps de dialoguer longuement avec moi. Il m’avait conseillé trois voies : dans l’ordre, celle de juriste d’affaires internationales, de diplomate et enfin d’avocate. Un visionnaire ! ». Elle termine sa scolarité au sein du lycée Saint-Louis de Gonzague (dit Franklin) à Paris, et passe pour une originale au sein de cet établissement élitiste lorsqu’elle annonce qu’elle aspire à « ne faire que du droit » à l’université. « Je ne rentrais pas réellement dans le moule, comme mes camarades qui voulaient intégrer HEC ou d’autres grandes écoles ». Ses parents ne la découragent pas, mais lui demandent de suivre en parallèle des enseignements complémentaires au droit. C’est donc à l’université Jean Monnet à Sceaux qu’elle ira faire un double cursus de juriste-linguiste avec, au départ, une vision romantique de la profession d’avocat, défenseur de la veuve et de l’orphelin. Mais, au fur et à mesure, elle se rend compte que l’art oratoire et les plaidoiries ne sont pas pour elle, en dépit de l’admiration qu’elle a pour ces grands avocats qui allient éloquence et technicité. Grâce à une chargée de travaux dirigés passionnée et investie, Corine Perot-Reboul, elle découvre le droit des affaires. Quitterie de Pelleport a trouvé sa voie. Elle poursuit alors avec un DESS de droit des affaires et fiscalité à Sceaux. Une année très intense, avec des modules en partenariat avec HEC. « J’y ai commencé à aimer la fiscalité, même si ce n’est toujours pas ma matière préférée ! ».
Des rencontres déterminantes
Après son DESS, elle tente le certificat d’aptitude à la profession d’avocat, qu’elle n’obtient pas du premier coup. Elle reconnaît a posteriori des bénéfices à cet échec : « C’était mon premier échec académique, cela m’a donc ramenée un peu sur terre. Cela a ensuite été l’occasion pour moi de mettre le pied à l’étrier, car j’ai pu faire un stage au sein du cabinet Roger & Wells [devenu ensuite Kramer Levin] ». C’est l’avocat Philippe Ledoux (décédé en décembre 2024) qui l’y accueille. Elle repasse alors le Capa (alors qu’elle est salariée et enceinte de son premier enfant) qu’elle obtient. Au cabinet, elle travaille au sein du département M&A, sous l’égide bienveillante de son mentor. « Philippe Ledoux aimait beaucoup transmettre, se souvient-elle. Il était très pédagogue et avait beaucoup investi sur moi, c’était un homme incroyable, j’ai énormément appris à ses côtés ». Deux ans plus tard, au moment où elle envisage de le suivre chez DLA Piper, elle lui annonce sa deuxième grossesse. « Pas le bon timing », ironise-t-il. Quelques années plus tard, lorsque tiraillée entre son rôle de mère et un rythme professionnel intense, elle envisage de démissionner, il le lui défend, purement et simplement. Ensemble, ils conviennent d’une autre façon de travailler qui lui donne une forme de liberté et de sérénité. « Je ne travaillais pas moins mais j’ai pu me libérer de ce sentiment de culpabilité, se souvient-elle, et l’opportunité qui m’était donnée a été une formidable chance ». Pendant huit ans, elle continue à faire du M&A, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie et de l’industrie pharmaceutique, mais elle ressent un besoin d’ailleurs. Une opportunité lui est alors donnée de rejoindre le service juridique du groupe Rhodia, dirigé par Jean-Pierre Labroue, un client du cabinet qui apprécie travailler avec elle. « J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer dans ma vie des mentors qui ont été déterminants dans ma trajectoire de carrière et m’ont beaucoup apporté. Je leur en suis très reconnaissante », souligne-t-elle.
Quitterie de Pelleport entre dans l’entreprise comme juriste M&A, ravie de pouvoir traiter des dossiers depuis leur origine jusqu’à l’après et non plus de manière ponctuelle, comme elle le faisait en cabinet. « Le terrain de jeu est plus grand », s’enthousiasme-t-elle. Elle est également ravie par la diversité des profils côtoyés en entreprise. « Au sein d’un cabinet, on ne voit, somme toute, que des avocats, même s’ils ont chacun leur personnalité. En entreprise, la diversité nous apprend énormément ». Elle le reconnaît cependant : on n’attend pas la même chose d’un juriste d’entreprise que d’un avocat. Il faut apprendre à s’adapter lorsque l’on passe en entreprise, ce qui n’est pas toujours évident. C’est d’ailleurs un sentiment qu’elle partage lors d’entretiens avec les avocats qui aspirent à rejoindre l’entreprise.
Fidèle à elle-même, lorsqu’elle apprend deux ans plus tard que le poste de directeur juridique pour la région Asie-Pacifique se libère, elle saute sur l’occasion de bouger. « La direction ne se doutait pas que j’étais mobile. Il ne faut pas hésiter à se manifester », conseille-t-elle. Elle part donc avec sa famille vivre à Shanghai. « Un moment d’humilité, dit-elle. Vous arrivez avec vos certitudes pour gérer une équipe multiculturelle, mais rien ne fonctionne de la même manière. Il faut apprendre à poser des questions et à écouter plutôt que de donner des instructions. C’est très enrichissant ». Elle rentre en France après une expérience asiatique de quatre ans, avec le regret de ne pas avoir appris le chinois. « Je ne parlais qu’en phonétique », précise-t-elle. Entre-temps, Rhodia a été racheté par le groupe belge Solvay. C’est donc à Bruxelles qu’elle s’installe. « Une ville difficile à apprivoiser au début car on sous-estime le besoin d’adaptation même après une expérience à l’étranger. Mais, petit à petit, j’ai appris à découvrir les Belges, leur auto-dérision et leur « zénitude » par rapport aux Parisiens ». Elle finit par adorer la vie outre-Quiévrain. Au départ de Jean-Pierre Labroue, elle est heureuse de lui succéder à la tête de la direction juridique du groupe. « Ma prise de poste s’est faite naturellement. Après des années en tant qu’experte, élargir mon domaine d’intervention et devoir passer très rapidement d’un sujet à l’autre était une gymnastique intellectuelle qui n’a pas été pour me déplaire. Dans cette étape de ma vie professionnelle, Jean-Pierre Clamadieu a joué un rôle essentiel en tant que mentor. Ce furent des années très heureuses ! », confesse celle qui, plus que tout, redoute de s’enfermer dans une sorte de routine.
Continuer le mouvement
Quitterie de Pelleport est ensuite contactée par Renault pour le poste de directrice juridique groupe. Et, comme toujours, tout a commencé par des rencontres : avec Luca de Meo, le directeur général et Jean-Dominique Senard, le président du conseil d’administration. « C’était très rapide, en une journée, c’était fait ». Elle arrive dans le groupe quelques temps après le départ de Carlos Ghosn et s’attend à trouver un environnement poussiéreux. C’est tout le contraire qui se produit. « Mon intégration a été immédiate, notamment grâce à la culture d’entreprise qui est très moderne. Ce n’était pas du tout la vielle dame que j’imaginais ». Bien entendu, il a fallu s’adapter à un secteur très différent de celui de la chimie, « et assimiler beaucoup d’acronymes dans ce secteur où c’est une pathologie aigüe ! », mais l’accueil y est formidable : « Un rythme de travail soutenu, des personnes dynamiques et compétentes et un fort attachement à l’entreprise ». Et quoi de mieux pour une personne qui aime le mouvement que le secteur automobile ?
À l’époque, le groupe veut se restructurer rapidement. Quitterie de Pelleport y est comme un poisson dans l’eau. « J’adore les dossiers M&A stratégiques, la négo et son adrénaline », analyse-t-elle. Une de ses missions est de réorganiser l’équipe juridique pour accompagner la nouvelle stratégie du groupe. On lui donne la possibilité de recruter à l’extérieur, ce qui lui permet de renforcer son équipe sur les fondations solides qui existaient déjà. Après un peu plus de quatre ans, elle se dit satisfaite du chemin parcouru. « L’équipe est stable désormais, j’ai renforcé certaines compétences telles que le M&A, le digital, la data, l’antitrust, ainsi que l’équipe achats, plutôt traditionnelle auparavant, qui a étoffé ses compétences sur les partenariats de software, d’énergie et de matières premières ». Quitterie de Pelleport pense en effet que la direction juridique doit venir au soutien de la transformation de l’entreprise et doit être à la hauteur des enjeux critiques, tels que le digital. Elle nous explique que le cycle de conception d’une voiture est traditionnellement d’environ quatre ans. Un temps long, difficilement conciliable avec la célérité de l’évolution réglementaire, et notamment numérique. Il faut donc être capable d’anticiper les prochaines étapes technologiques et les règles qui seront susceptibles de les régir. Une gageure. Quant à la transformation digitale de la direction juridique elle-même… « Ce n’est pas encore révolutionnaire, on parle surtout de contract management et d’archivage, mais nous commençons à apprivoiser l’IA ! », reconnaît-elle. Il est certain que dans le secteur automobile, on a quelques longueurs d’avance sur les sujets de conformité réglementaire et d’environnement, et il est frustrant, surtout pour des juristes, que l’environnement réglementaire manque de prévisibilité. Elle déplore que, dans la frénésie réglementaire actuelle, les entreprises soient souvent coincées entre le marteau et l’enclume, devant gérer des injonctions paradoxales qui changent sans cesse. « Je n’ai aucun problème avec les règles qui ont du sens, mais certaines obligations (comme celles issues de la CSRD ou de la CS3D) semblent être majoritairement du reporting qui mobilise d’importantes ressources et dont on peine à voir la valeur ajoutée ».
Comme on lui a beaucoup transmis, Quitterie de Pelleport insiste sur l’importance d’aider les étudiants de tous horizons à accéder à l’emploi via les stages : « Les directeurs juridiques ont un rôle très important à jouer sur les sujets d’inclusion », dit-elle, convaincue des vertus de la diversité. « Il faut permettre l’accès à des stages rémunérés aux jeunes qui n’ont pas la chance d’avoir un réseau ». C’est ce qu’elle a mis en place, au sein du groupe, en signant un partenariat avec l’association Step Up. Il en est de même pour l’accès à l’emploi des étudiants en situation de handicap, et Renault est également partenaire de l’association Droit Comme un H. « Je suis convaincue que la diversité des profils, des origines, des parcours de vie fait la richesse d’une équipe, et ce sont des croyances que nous partageons collectivement au sein de notre direction juridique », dit la juriste.
La direction juridique a été clé dans l’exécution du plan stratégique de Renault et est considérée comme un fort contributeur au sein de l’entreprise. Il faut dire que, dès son arrivée, Quitterie de Pelleport a géré avec ses équipes deux carve-out, la sortie de Russie, le rééquilibrage des participations croisées avec Nissan, la crise des composants électroniques, et bien d’autres sujets stratégiques. « Cela a assurément contribué à donner une bonne image de marque de la direction juridique. Les collaborateurs du groupe savent et reconnaissent ce que nous apportons », observe-t-elle, soulignant de surcroît que le respect et la confiance du CEO pour la fonction juridique rejaillit évidemment dans la culture de l’entreprise. Dans sa communication interne, la directrice juridique essaye d’être pragmatique, directe, simple et audible. Et garde à l’esprit un précepte cardinal « le mieux est parfois l’ennemi du bien ».