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Olivier Fréget, le droit à modeler

Par Anne Portmann

Spécialiste des questions de concurrence, l’avocat parisien a fait partie du groupe de travail sur la justice économique et sociale, présidé par Jean-Denis Combrexelle dans le cadre des États généraux de la justice. Portrait d’un homme engagé, qui, s’il anticipe le changement, alerte contre ses dérives.

Lorsque nous le rencontrons, un vendredi matin, dans ses bureaux somptueux de la rue Royale à Paris, Olivier Fréget n’a pas dormi, ou très peu. « Un dossier urgent, j’étais avec le client au téléphone jusqu’à 4 heures du matin », explique-t-il. Malgré la fatigue qui se lit sur son visage, il ne tarde pas à se raconter. C’est à Fontainebleau, en région parisienne, qu’il a grandi. Issu d’un milieu de professeurs, assez intellectuel, il indique d’emblée que sa famille, plutôt située au centre gauche de l’échiquier politique, avait une attitude assez indulgente à l’égard du libéralisme dont c’étaient alors les beaux jours. Il ne cache pas avoir choisi la voie juridique par défaut. « Je suis un ingénieur raté » sourit-il. Il réussit l’examen d’entrée à Science-Po et quitte alors la filière Maths Sup qu’il avait initialement choisie.

L’OUVERTURE À L’INTERNATIONAL

Au sortir de ses études, en 1990, diplômé de l’Institut libre d’études des relations internationales et avec un DEA de droit international privé et de droit du commerce international, obtenu à Paris I en poche, il débute dans un tout petit cabinet en droit de la distribution et s’intéresse déjà aux télécoms, au moment de la fusion entre les professions de conseil juridique et d’avocat, il reçoit une proposition du cabinet Archibald via l’intercession de Sylvie Darriosecq, qui avait quelques années auparavant obtenu le même DEA, de droit international privé dirigé par Paul Lagarde et Pierre Meyer. Il y est recruté et formé par cette dernière, Simone Aicardi et Thomas Jahn (v. à ce sujet notre article « L’héritage Archibald Andersen, paru dans LJA Mag n° 58, janvier-février 2019). « Des avocats qui avaient de la texture, une grande bienveillance, extrêmement exigeants et qui savent comment faire progresser leurs collaborateurs », explique-t-il En 1992, à la faveur du rapprochement d’Archibald avec Arthur Andersen, il rejoint l’équipe d’Alain Briottet. Le cabinet est alors « un vivier de gens pas si normés », se souvient-il. Par rapport aux autres cabinets de la place, les structures managériales sont différentes et bien que la hiérarchie soit très marquée chez les fiscalistes, elle n’a pas gêné les avocats, qui ont pu apprécier l’autonomie et la confiance dont ils étaient investis. « C’est chez Andersen que j’ai appris à être entrepreneur, car nous y étions très libres. L’environnement était étonnant et responsabilisait les collaborateurs, et, contrairement à l’image que d’aucuns ont voulu colporter, l’éthique professionnelle y était très forte », se souvient l’avocat. Il apprend à rédiger et à construire, à travailler en équipe et à soigner la relation au client. « Un véritable parcours initiatique qui m’a permis de concilier ma passion pour l’économie avec celle pour le droit. Je n’avais alors pas de relations, pas de réseau et j’ai construit ma clientèle patiemment au sein de ce cabinet qui m’y a encouragé ». Des années exaltantes, mais aussi épuisantes. Alors qu’il n’a même pas trente ans, il se voit confier la responsabilité de former une équipe juridique à Lyon, tout en conservant celle de Paris. De retour à Paris, il participe au sein d’Andersen à la fondation d’une branche dédiée à ce que l’on n’appelle pas encore le digital, un peu trop tôt sans doute car la greffe ne prend pas. « J’y repense cependant avec un peu de nostalgie, dit-il aujourd’hui. C’était une belle aventure ». C’est grâce à cette expérience chez Andersen qu’Olivier Fréget comprend que le droit est un marché et que le juridique et le judiciaire constituent une véritable activité économique. « L’histoire de l’apparition de ces cabinets pluridisciplinaires était liée à l’envie de débloquer le marché. Leur ascension a été bloquée par leur hubris, sans doute et, en miroir le corporatisme de la profession d’avocat, mais ils ont eu le mérite de tenter de bousculer un barreau développant une vision de l’avocat se concevant comme au-dessus des préoccupations de marché, des stratégies, et finalement surplombant leurs clients avec une forme d’arrogance ». C’est d’ailleurs lorsqu’Andersen a eu besoin de s’institutionnaliser, pour passer ce fameux plafond de verre au-dessous duquel se trouvaient les cabinets pluridisciplinaires, et que la branche audit a tenté de reprendre la main sur la firme, que l’associé a fait ses valises, avec ses clients pour rejoindre Bird & Bird. Selon lui, une partie de l’écosystème juridique français persiste encore aujourd’hui dans une défense d’hypothétiques lignes Maginot se traduisant par le refus de l’intégration des juristes d’entreprise dans une grande profession du droit ou bien l’ouverture du capital des cabinets.

DE LA LIBÉRALISATION À LA RÉGULATION

En 1999, donc, direction Bird & Bird, un cabinet qui jouit alors d’une solide réputation en droit de la concurrence. Alors que dans ses premières années, la pratique d’Olivier Fréget est exclusivement tournée vers la distribution et l’IT, des matières dans lesquelles le droit de la concurrence développait une approche très rigide, presque de réglementaire ou était balbutiant, il explique que « les verrous ont sauté avec les libéralisations successives des industries de réseau (télécom, énergie, media), ce qui a permis le plein essor des nouvelles technologies que l’on connait aujourd’hui et l’apparition d’un droit de la concurrence nouveau ». Mais en 2005, la firme du Magic Circle Allen & Overy, lui propose le poste de responsable de la pratique concurrence du bureau parisien, puis de coresponsable de la pratique au niveau mondial. L’offre est trop belle. Malgré une clientèle déjà constituée et fidèle, le positionnement de la firme lui permet de s’intéresser à de nouveaux secteurs, ceux qui feront l’activité pour les décennies à venir : le pharmaceutique, les télécoms et énergies. Il comprend que l’arrivée de l’ADSL va bouleverser la logique économique et technologique qu’il a connu jusqu’ici. « Tout ce qui me passionnait arrivait à un point de jonction, et il était manifeste que le droit devait permettre d’accompagner ces grands bouleversements économiques ». Emportés par ce souffle nouveau, les équipes doivent travailler dans un contexte transdisciplinaire. Olivier Fréget est notamment remarqué dans les dossiers Direct Energie et Poweo, accompagne l’Association nationale des opérateurs détaillant en énergie (ANODE), le groupe NextRadio TV et Google, à travers son fonds pour l’innovation numérique de la presse. À l’époque l’activité, foisonnante, est contrainte par les règles strictes relatives aux conflits d’intérêts qui ont cours au sein de la firme. C’est la raison pour laquelle il décide de fonder sa boutique, en 2014, « Je n’avais pas prévu de monter mon cabinet, révèle-t-il avec beaucoup de franchise. Si je l’ai fait, c’est que personne ne voulait de moi ! j’étais porteur de trop de conflits d’intérêts ». Avec une de ses anciennes collaboratrices chez Bird & Bird, Charlotte Tasso de Panafieu, ils établissent très vite une boutique de niche haut de gamme. Ainsi libéré des conflits d’intérêts, depuis 2014, le cabinet croit régulièrement afin de maintenir le même niveau d’exigence tout en « mettant en oeuvre les fondamentaux du métier d’avocat : convaincre, négocier tout en étant ferme sur le respect des principes procéduraux et en travaillant toujours en étroite complémentarité avec les cabinets d’économistes ». Les clients suivent, le sérieux et l’aspect stratège d’Olivier Fréget le portent au rang des incontournables de la place. « Le travail de l’avocat et du juriste est de redonner aux règles de droit économique leurs finalités sous-jacentes alors que les évolutions technologiques en bousculent les conditions d’application », rappelle régulièrement l’associé. En 2017, Fréget Tasso de Panafieu Avocats tente un rapprochement avec le cabinet Veil Jourde. Mais les fiançailles annoncées ne donneront jamais lieu à mariage. Et c’est finalement un remaniement des équipes que la boutique doit affronter un an plus tard. Car son associée partie pour d’autres horizons, Olivier Fréget continue à mener seul le navire jusqu’à l’arrivée, en 2021, d’Emmanuel Glaser, publiciste, qui vient parfaitement compléter l’expertise du spécialiste de la concurrence. Fréget Glaser & Associés reçoit bien rapidement les faveurs de la place. « Il y a des associations qui font sens et celle-ci en est une, témoigne par exemple publiquement Martial Houlle, secrétaire général du PMU. Les expertises d’Olivier Fréget et d’Emmanuel Glaser sont éminemment complémentaires, cette complémentarité participant d’une vision moderne du droit économique et des stratégies juridiques pouvant en découler ».

ANTICIPER EN RESPECTANT LA RÈGLE DE DROIT

C’est d’ailleurs cette vision moderne qu’Olivier Fréget souhaite porter dans ses travaux de réflexion. En 2015, il a publié, aux éditions Odile Jacob, un ouvrage intitulé « La concurrence, une idée toujours neuve en Europe et en France », qui fait toujours figure de référence en la matière. Il y explique la dimension politique des règles de concurrence et déplore, l’existence, en France surtout, d’anciennes règles, qui s’empilent et empêchent l’économie de pleinement s’adapter. « Des strates et des strates de réglementations dirigistes, revues et corrigées par des politiques sans vision, asservies à l’opinion », dénonce-t-il sans langue de bois. La création et l’essor des autorités indépendantes n’a pas arrangé les choses. « Au fil des années, elles semblent de plus en plus saisies par l’ivresse du pouvoir que leur confère leurs statuts, comme le révèle leur gout immodéré pour la communication, au besoin elles en viennent à sanctionner des comportements en réinventant la règle au moment du procès ». Il relève aussi la disproportion entre les moyens dont disposent ces autorités au regard de ceux octroyés à l’appareil judiciaire qui est chargée de les contrôler mais ne peut intervenir en réalité qu’à la marge. « C’est un énorme problème qui a de graves conséquences car la qualité et la clarté de notre droit participe de la compétitivité de notre économie et celles-ci nécessitent des moyens », pense l’avocat, qui regrette vivement que le groupe de travail auquel il a participé, relatif à la justice économique, dans le cadre des États généraux de la justice, n’ait pas eu le temps d’examiner la question. Il ne ménage pas ses critiques à l’égard de ce qu’il estime être une tendance à la surrèglementation, et rappelle qu’en France, pays traditionnellement interventionniste, elle est toujours vivace. « Même lorsque l’on parle de libéraliser le secteur de l’énergie, on laisse subsister un tarif réglementé de vente de l’électricité qui permet de sanctuariser l’inefficacité d’EDF, avec les conséquences que l’on constate s’agissant du nucléaire », s’emporte-t-il. Selon lui, à la réglementation traditionnelle, par la loi et le décret, s’ajoute une autre forme de « contrôle sans contre-pouvoir » : la fameuse « conformité ». « Non seulement celle-ci a un coût pour les entreprises qu’elle bureaucratise, mais, plus grave encore, elle est le fourrier du développement d’une société d’auto surveillance généralisée des individus par eux-mêmes qui peut porter atteinte aux libertés individuelles, sans que nul ne paraisse s’en soucier », développe-t-il avec toute la passion qui le caractérise.