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Odile de Brosses, déterminée par nature

Par ONDINE DELAUNAY | Photographie MARK DAVIES

Humilité. Le terme est sans aucun doute celui qui qualifie le mieux Odile de Brosses, la directrice juridique de l’Afep. Elle ne cherche pas à être mise sous le feu des projecteurs, explique-t-elle calmement derrière un sourire franc et serein. C’est d’abord de l’association dont elle souhaite parler et de son travail pour les entreprises qu’elle accompagne. Le travail de sa vie.

Fondée en 1982 par Ambroise Roux, et présidée aujourd’hui par Laurent Burelle, l’Association française des entreprises privées – plus connue sous le nom de l’Afep- est une organisation qui regroupe les grandes sociétés françaises et entreprises étrangères ayant une présence importante en France. Leurs dirigeants et leurs équipes s’y réunissent à intervalles réguliers pour dégager une position commune sur les grands sujets de politique économique et sociale, qui est ensuite portée par les représentants de l’association auprès des pouvoirs publics français et des institutions européennes. Un véritable travail de lobbying et assumé comme tel. Odile de Brosses dirige les groupes de travail portant sur le droit des sociétés, le droit financier et le gouvernement d’entreprise. Auquel s’ajoute depuis peu la compliance. Vaste programme. 

« Les textes ne sont pas toujours clairs et l’intempérance normative laisse de moins en moins de temps aux entreprises pour être prêtes à les appliquer, explique-t-elle. Dans ce contexte, notre rôle est de mutualiser les bonnes pratiques pour construire une doctrine de place, permettant aux groupes de se benchmarker ». Elle participe également à l’écriture de la soft law dans ces matières. Aussi appelé droit mou, ou droit doux, il porte bien mal son nom puisqu’il prend une part de plus en plus prépondérante dans la vie des entreprises qui s’engagent d’elles-mêmes à respecter cette forme d’éthique sociale. Le code Afep-Medef sur la bonne gouvernance d’entreprise en est une parfaite illustration. Car rares sont les groupes du Cac 40 à ne pas les respecter. Et lorsque ce n’est pas le cas, par exemple au sujet d’une retraite chapeau d’un président ou de parachutes dorés, la sanction du Haut Comité de gouvernement d’entreprise est immédiate conduisant rapidement les dirigeants à changer leur position pour s’y conformer.

NE PAS PERDRE DE TEMPS

Les derniers mois ont été chargés pour Odile de Brosses : mise à jour du code Afep-Medef au regard des dispositions de la loi Pacte, rapport sur l’activisme, travail sur la mise en œuvre du say on pay, sur les ratios d’équité, sur la gouvernance durable, sur la loi de blocage… Sans oublier ses missions au niveau européen puisque la directrice juridique est également présidente du policy committee d’EuropeanIssuers, l’association européenne des émetteurs, et présidente du European Corporate Governance Code Network, un réseau informel d’organismes nationaux chargés du suivi des codes de gouvernance. Cette femme élégante au regard bleu profond et aux longs cheveux blonds a également une vie personnelle bien remplie puisqu’elle chante toutes les semaines dans une chorale et pratique divers sports comme la course à pied, le tennis, la natation, le golf ou encore le yoga. « J’aime faire beaucoup de choses », rassure-t-elle avec naturel quand on lui demande si elle prend quand même le temps de respirer. « J’essaye autant que possible de ne pas perdre de temps », ajoute-t-elle avec simplicité. Assise dans cette grande salle de réunion, devant la dizaine de portraits des présidents successifs de l’association, Odile de Brosses est une femme décidée, volontaire et surtout pleine de ressources. Mais elle est loin d’être agitée et garde toujours une posture calme, sereine. Elle écoute, choisit ses mots et veille surtout à ne pas en dire trop. 

Ce qu’elle aime c’est le travail en équipe. « Je ne suis pas un électron libre, assure-t-elle. Par-delà la vingtaine de salariés de l’Afep, je travaille en étroite collaboration avec les représentants de nos membres ». Principalement des directeurs juridiques qu’elle réunit à intervalles réguliers pour débattre d’un ordre du jour et échanger sur les problématiques rencontrées en pratique. Elle se considère comme un chef d’orchestre. Elle réunit, fait parler et met en musique le message pour que chacun y trouve sa place et pour ensuite mieux le porter aux oreilles des pouvoirs publics. « Les réunions qu’elle organise sont de très grande qualité, témoigne Alain Pietrancosta, professeur à l’École de droit de la Sorbonne. Son extraordinaire travail de préparation lui permet de porter le débat et la réflexion commune à un niveau de haute technicité, tout en conservant une approche pratique des textes ». Il évoque notamment un groupe de travail sur les sujets de rémunération dans le cadre de la loi Pacte, sujet qu’elle connaît « parfaitement d’un point de vue réglementaire ». Et de poursuivre : « Elle cherche à enrichir la réflexion, à connaître les avis des praticiens pour ensuite mieux les répercuter auprès des pouvoirs publics ».

Ce goût pour le travail en équipe, il était finalement inné pour cette dernière d’une famille de sept enfants. Elevés à Paris, leur père a terminé sa carrière à la Cour des comptes après avoir travaillé plusieurs années au ministère des Finances, en tant que chargé des relations avec le Parlement. Mais elle assure n’avoir été ni couvée, ni surprotégée par ses frères et sœurs. « J’ai été challengée », corrige-t-elle. C’est d’ailleurs sans aucun doute de là qu’elle tire son caractère volontaire.

UNE CURIOSITE NATURELLE

Odile de Brosses a mené des études de droit, à l’université Paris II. Titulaire d’un DEA de droit des affaires, elle obtient le CAPA en 1986. Mariée à un alsacien, elle débute comme avocate en droit social dans le cabinet du bâtonnier François Simonnet, à Strasbourg. Elle est alors rapidement formée à la matière contentieuse et passe des journées entières au tribunal. Elle en garde un souvenir mitigé : « Nous passions beaucoup de temps dans les audiences, à attendre plusieurs heures avant de pouvoir plaider une dizaine de minutes ». Et de fait, la recherche, la réflexion sur la matière était reléguée au second plan. Faute de temps. En 1992, la famille déménage à Paris. Elle rejoint directement le cabinet Fidal, au sein du département économique et social. Mais là non plus, les souvenirs ne sont pas particulièrement bons. Elle ne souhaite pas s’étendre dessus. On comprendra simplement qu’elle a considéré ce métier comme trop conflictuel, trop stressant, en tout cas pas adapté à ce qu’elle cherchait. Et comme toujours, elle est allée de l’avant, sans se retourner.

Elle retrace : « En 1997, un poste de chargé de mission a été ouvert au sein de l’Afep. J’ai pensé que c’était une opportunité extraordinaire : travailler sur des sujets techniques, en étroite coopération avec des professionnels de l’entreprise, pour permettre à la norme d’être business friendly ». Mais en acceptant ces fonctions, elle ne s’imaginait sans doute pas l’ampleur que prendrait sa mission. D’autant plus qu’à son arrivée, le président Ambroise Roux suivait avec attention l’ensemble des travaux des salariés de l’association. « Il nous demandait des reporting écrits et des notes de synthèse tous les 15 jours », se souvient-elle. Aujourd’hui, les choses ont bien changé et les présidents successifs laissent une plus grande autonomie aux équipes. Les sujets d’étude sont aussi bien plus nombreux et hétéroclites. « Je ne me lasse pas de ce que je fais car les thèmes examinés sont des défis continuels. Chaque matière doit être explorée, comprise et apprise », assène-t-elle. Et l’on sent que c’est ce goût pour la nouveauté qui lui permet de faire autant, cette curiosité qui lui donne cet élan. Elle raconte par exemple sa plongée dans l’univers des cartographies des risques, au moment de l’élaboration de la loi Sapin 2. Ou encore les réunions qu’elle organise sur les contrôles de l’Agence française anticorruption, avec qui elle échange régulièrement pour que les process d’enquête soient adaptés à la vie réelle du terrain. Elle évoque également ses auditions devant les rapporteurs des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, où elle se rend avec François Soulmagnon, directeur général de l’association, pour porter la voix des grandes entreprises et s’assurer que les parlementaires ne soient pas totalement déconnectés de la vie concrète des affaires. Une mission qu’elle accomplit avec courage car ses prises de position ne sont pas toujours au goût de tous, certains la critiquant comme étant « fermée ». « Elle évolue dans un environnement qui n’est pas simple, reconnaît Jean-Pierre Martel, associé du cabinet Orrick Rambaud Martel. Mais elle gère les situations avec discrétion et grande courtoisie ». Il ajoute : « C’est une femme étonnante, très influente et qui attire la sympathie ».

COURAGEUSE

« Mon travail est passionnant parce qu’il me permet de dialoguer avec un nombre incroyable d’acteurs différents », affirme-t-elle en sortant d’une enveloppe un organigramme de l’ensemble de ses interlocuteurs. Au milieu de la multitude de noms et d’organismes, on lit les grandes lignes : cabinets ministériels, parlement, commission européenne, associations… « J’aime le contact, j’aime dialoguer avec les autres ». C’est fort heureux pour une lobbyiste. Mais l’on sent que derrière cette belle parole, Odile de Brosses se nourrit de ses multiples échanges. Elle s’en sert ensuite pour porter des positions, parfois tranchées. Alain Pietrancosta l’affirme : «Odile de Brosses a la réputation de tenir ses positions, parfois fortes. Mais elle est ouverte au dialogue et enrichit ses avis grâce à l’expertise de ses multiples interlocuteurs ».

Dès 2013, elle a par exemple participé – en son nom – au numéro spécial Confidentialité des avis des juristes d’entreprises, publié par Juriste d’entreprise magazine. Elle y écrit : « Reconnaître la confidentialité des avis (des juristes d’entreprises) aurait l’avantage de faciliter les négociations amiables avec des juristes extérieurs et de placer les juristes français en position d’égalité par rapport, notamment, aux juristes anglo-américains ». On se souvient qu’à cette époque le sujet faisait grincer quelques dents… Il continue d’ailleurs à ne pas emporter toutes les convictions. Mais la directrice juridique a souhaité, très tôt, mettre sa pierre à l’édifice. En 2015, elle convainc Pierre Pringuet, alors président de l’Afep, pour que l’association prenne officiellement position et se prononce en faveur de la protection des avis juridiques internes. Répondant à une interview de la Semaine juridique, ils affirment ensemble que « le statut d’avocat en entreprise aurait été le moyen le plus direct pour atteindre l’objectif (de compétitivité de la place de Paris) ». Et le sujet n’ayant toujours pas bougé depuis, elle a bien évidemment été auditionnée par Raphaël Gauvain pour son rapport « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale » pour délivrer le même message.

Ce sera d’ailleurs l’un de ses chevaux de bataille dans les prochains mois. D’autres sujets devraient également l’amener rapidement à « brainstormer » comme celui de la raison d’être des entreprises, notion nouvelle issue notamment du rapport Senard-Notat de 2018. Sans oublier bien sûr les divers paquets européens sur la gouvernance et la finance durable, sur l’information financière, etc. En France, on commence à parler d’une loi sur la mixité qui devrait également être placée au cœur de ses travaux de recherche. Autant de sujets variés qui devraient la conduire à remplir ses journées sans lui faire perdre une minute. Finalement, tout ce qu’elle aime. 

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