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Martial Houlle, ses convictions et ses chevaux de bataille

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Le 13 avril dernier, le Cercle Montesquieu a élu son 11e président. C’est Martial Houlle, secrétaire général du PMU, qui prend la succession de Laure Lavorel pour un mandat de trois ans. Rencontre avec un homme engagé et passionné, dans son bureau avec vue sur la Seine.

Depuis l’annonce de sa nomination à la tête du Cercle Montesquieu, Martial Houlle, par ailleurs secrétaire général du PMU, est emporté par un tourbillon médiatique. Chaque jour, un nouvel interview… Mais, homme de conviction, c’est avec enthousiasme qu’il se plie à l’exercice pour partager sa vision et la passion de son métier. « J’ai envie de toujours être dans une forme de conviction, confie-t-il. J’ai besoin d’avancer, d’être dans la démonstration et dans l’échange, notamment avec ceux qui ne sont pas d’accord avec moi ».

UN DÉCLIC EN FAC DE DROIT

Sa passion pour le droit n’est pas un héritage familial. « Je suis l’un des premiers de ma famille à entreprendre une carrière juridique et, à date, probablement le dernier car, mes trois enfants, à mon grand regret, ne semblent pas s’engager dans cette voie, explique-t-il. Le droit est, pour moi, une vraie vocation. J’ai évolué à l’école comme on peut évoluer dans un étroit carcan. J’ai redécouvert une certaine forme de liberté quand j’ai intégré la faculté de droit. J’étais enfin dans mon élément. J’ai trouvé un sens à ce que je faisais ». Pendant ses études, le jeune homme se destine plutôt à la recherche juridique en droit comparé. Finalement, il ne s’oriente pas vers les métiers de la recherche, mais vers la profession de juriste d’entreprise, choix parfaitement assumé : « rétrospectivement, je n’ai jamais eu le souhait de porter la robe », dit-il en défendant la singularité d’un métier qui le passionne. Son expertise en droit comparé le sert notamment dans son activité de lobbying. « S’intéresser à ce qui se pratique en dehors de nos frontières est indispensable pour faire du lobbying, qu’il soit technique ou politique, et notamment à Bruxelles, assure Martial Houlle. Je continue donc à pratiquer le droit comparé, mais insuffisamment à mon goût ».

UN SPÉCIALISTE DES MARCHÉS RÉGULÉS

De France Télécom/Orange au PMU, en passant par Direct Energie, Martial Houlle a développé sa pratique juridique essentiellement dans des secteurs régulés. Des domaines où l’influence du droit est particulièrement prégnante. « Sur un marché régulé, pour un nouvel entrant, comme l’était Direct Energie, le droit c’est votre marge financière, une arme puissante pour conquérir votre espace économique, faire face aux mastodontes du secteur », souligne-t-il. Au fil du temps, son expertise s’est forgée sur la négociation de contrats, notamment complexes, le contentieux économique, la régulation et la conformité. Le 4 mai 2020, en plein confinement, Martial Houlle rejoint le PMU. « Ce n’est pas le meilleur souvenir de ma carrière : mes équipes étaient en chômage partiel et les bureaux étaient déserts, confie-t-il. L’arrêt du business vidait de sens mon métier, dont le but est d’accompagner les opérationnels et le développement de l’activité dans le respect pragmatique de la loi ». En tant que secrétaire général du PMU, Martial Houlle est à la tête d’une trentaine de personnes qui se répartissent au sein de différents pôles : la direction juridique, un département réglementaire qui assure les relations avec le régulateur des jeux d’argent et les services des administrations centrales, un département du règlement du jeu, un service de la conformité (lutte contre la fraude et le blanchiment de capitaux, contrôle et audit internes, anti-corruption et RGPD) et un autre de la conformité du jeu responsable.

LES RELATIONS HUMAINES COMME DRIVER

Martial Houlle est un secrétaire général proche du terrain et des gens. Les relations humaines sont au coeur de ses préoccupations. « Le rapport aux autres m’intéresse beaucoup, indiquet- il. Je prends le soin et le temps de bien connaître chaque collaborateur, ses motivations et son état d’esprit. Si une personne fait défaut, pour X ou Y raison, l’équipe doit l’entourer et faire front… À défaut, la notion d’équipe est abstraite. Le management me tient à coeur ; cette sensibilité me vient peutêtre de ma mère qui était DRH. En tant que manager, je dois donner du sens à l’action et de la hauteur de vue. Je suis tenu de favoriser le travail d’équipe. Enfin, je dois être le garant d’une certaine sérénité et d’une qualité de vie au travail dans un contexte de productivité intense qui commande de respecter les délais pour ne pas pénaliser nos clients internes ». Son arme pour faire descendre la pression ? Le rire ! « Il est très important de rire, assure Martial Houlle. Le rire fait dégonfler l’ego et permet de relativiser. Je suis persuadé que l’on peut rire de tout, y compris et surtout dans nos métiers difficiles. Nous avons le droit de délirer et de déconner du moment que le travail -de qualification et d’appréhension du risque- est effectué sérieusement. Je revendique mon côté "punk" dans ma façon d’être avec mes équipes ! »

UN CARACTÈRE BIEN TREMPÉ

Martial Houlle avoue volontiers être cash avec ses collaborateurs, et dans la vie en général. « Je suis parfois trop direct, mais je me soigne, reconnaît-il en souriant. J’essaye de m’arrondir, de me policer mais, à mon âge, difficile de se refaire ! Je dis facilement merci mais, a contrario, je n’hésite pas à dire quand cela ne va pas. Il est primordial que mes collègues sachent ce que je pense, c’est une question de principe et de loyauté à l’égard de ma hiérarchie ». Il ajoute : « Je n’aime pas me répéter… Faire des erreurs est humain. Les réitérer n’est pas normal. Je suis à cheval sur la rigueur, qui est un marqueur essentiel de notre métier et de notre crédibilité dans nos métiers ». D’un naturel entier, Martial Houlle accorde sa confiance sans peine mais, une fois la confiance brisée, le retour en arrière est compliqué. Droit dans ses bottes, il assume ses convictions et ses responsabilités. Il mise sur la transparence, y compris avec ses équipes, et rappelle que sa fonction ne peut pas se concevoir sans loyauté envers son entreprise et sa direction. « Si je ne suis pas d’accord, il m’appartient de m’en aller », affirme-t-il avec une détermination qui se lit dans son regard azur. Mais Martial Houlle n’est pas qu’un manager, il a besoin d’avoir les mains dans le moteur et d’avoir ses propres dossiers. Il aime le droit. Il est profondément convaincu de l’intérêt et de l’importance du métier de juriste en entreprise, de la contribution du droit au développement du business. « Je milite pour que nous allions au-delà du simple statut de juriste d’entreprise, révèle-t-il. Dans la mesure où nous participons à la défense des intérêts des entreprises, y compris devant les tribunaux, nous participons bien à asseoir l’autorité du droit (notamment s’agissant des normes de conformité) dans et pour l’entreprise. Nous assumons en quelque sorte une responsabilité d’auxiliaires de justice, De ce point de vue, les juristes d’entreprise ont un rôle fondamental à jouer dans l’écosystème juridique et judiciaire français ».

LA CONFIDENTIALITÉ DES AVIS JURIDIQUES INTERNES, UN IMPÉRATIF ÉCONOMIQUE

Martial Houlle constate une impressionnante évolution du métier de juriste d’entreprise. « Si auparavant, pour simplifier, l’essentiel des missions portait sur la gestion et la négociation des contrats, et l’appréciation d’un risque essentiellement indemnitaire et des pénalités contractuelles, depuis moins de dix ans, la situation a grandement changé en raison du choc de conformité auquel les entreprises sont exposées, considère-t-il. Il s’agit au surplus dorénavant de tenir l’entreprise indemne d’un risque d’infraction, le cas échéant sanctionné pénalement. Cette mission fondamentale de prévention du risque ne peut être efficace si les avis des juristes d’entreprise ne sont pas couverts par la confidentialité, sauf à prendre le risque d’auto-incriminer l’entreprise ! » Le visage de Martial Houlle se durcit, son ton aussi. « La situation n’est plus acceptable, martèle-t-il. Ceux qui s’y opposent tiennent un discours du siècle dernier et n’ont pas vu l’évolution du droit dont certains ont pourtant pour mission d’assurer la promotion. Les avocats semblent également avoir compris cette évolution et l’intérêt de doter les juristes d’entreprise de cet outil fondamental dans le contexte économique et géopolitique actuel. Il s’agit effectivement d’un outil de souveraineté économique. La confidentialité des avis juridiques internes doit absolument être acté. Il est paradoxal que la France, berceau du droit, soit l’un des derniers pays modernes à ne pas l’accorder. Le sujet ne fait plus débat ni en Suisse, ni en Belgique et encore moins dans les pays anglo-saxons. Avec l’AFJE (Association française des juristes d’entreprise), nous faisons front uni pour que les avis des juristes d’entreprise soient enfin protégés ». C’est pour porter ce combat et bien d’autres que Martial Houlle a adhéré au Cercle Montesquieu dès 2013. Administrateur et secrétaire général depuis 2016, il assume la présidence depuis le mois d’avril de cette année. « J’ai la sensation de participer à quelque chose qui nous dépasse, d’être utile à la communauté par la représentation de nos métiers et par la revendication de ses valeurs et de ses besoins, apprécie-t-il. Côtoyer mes pairs et l’écosystème juridique dans son ensemble est extrêmement enrichissant. Au sein du Cercle, qui fédère plus de 500 directeurs juridiques et secrétaires généraux d’entreprises privées ou publiques, l’ambiance est très conviviale. J’y ai noué des amitiés fortes. La fierté d’exercer notre métier est ce qui nous relie. Nous sommes des juristes d’entreprise assumés, pas des avocats frustrés de ne pas porter la robe comme on peut parfois l’entendre dire. Le Cercle Montesquieu est l’endroit où je me sens le plus aligné, où je suis en cohérence entre ce que je pense, ce que je dis et ce que je fais. Le don de soi pour l’intérêt collectif constitue, pour moi, une motivation puissante ».

UNE COURSE DE RELAIS

Le projet porté par Martial Houlle s’inscrit dans la continuité des mandatures de ses prédécesseurs. Pêle-mêle, le nouveau président entend dynamiser les adhésions, étudier les évolutions du scope des directions juridiques face au choc des conformités et technologique, accompagner le rebond des adhérents en transition ou encore mieux répondre aux besoins exprimés par les membres, que ce soit en termes de rayonnement international, institutionnel ou local. « Nous devons continuer à développer notre notoriété et notre légitimité, indique le nouveau président, et poursuivre le travail entamé par mes prédécesseurs pour obtenir enfin le principe de la confidentialité des avis juridiques internes et mieux asseoir l’autorité et la reconnaissance de nos métiers. » Enfin, les trois comités d’orientation stratégique de l’association, créés statutairement il y a 18 mois, vont être activés. Le premier porte sur la reconnaissance du droit et du directeur juridique en entreprise. « Quelle doit être la place du droit en entreprise ? Sommes-nous, oui ou non, des sortes d’auxiliaires de justice ? Pourquoi les directeurs juridiques ne sont pas ou peu chassés pour devenir administrateurs indépendants de sociétés ? Autant de questions qui méritent réflexion », met en exergue Martial Houlle. Le deuxième vise à mieux valoriser, en interne et en externe, les nombreux "produits" de l’association. « Par exemple, le Prix du Cercle Montesquieu, qui récompense les meilleurs ouvrages en droit des affaires, est trop peu reconnu, estime-t-il, malgré sa très grande valeur. Nous devons notamment repenser nos produits, la manière d’assurer leur promotion et en inventer d’autres. » Enfin, troisièmement, le Cercle Montesquieu va se pencher sur les sujets d’éducation et d’intégration. « Nous devons plus nous intéresser aux étudiants, qui représentent l’avenir de notre profession, indique le président. L’objectif de tous ces chantiers est de faire vivre et vibrer l’association ! »