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L’inarrêtable Nathalie Dubois

Par Anne Portmann

Arrivée en 2017 à la tête de la direction juridique Fnac Darty, Nathalie Dubois s’est attelée à la délicate tâche de devoir fusionner deux directions juridiques, jusqu’alors séparées, mais aussi deux cultures juridiques d’entreprise. Un défi qui n’était pas de nature à rebuter une juriste animée par la soif d’apprendre et d’évoluer.

«Je n’ai jamais considéré que j’étais arrivée au bout de mon chemin », estime Nathalie Dubois, qui dans sa carrière professionnelle, cherche toujours à se dépasser. Cette propension au mouvement lui vient peut-être de ses jeunes années, très mobiles. Née à Bayonne, elle vit avec ses parents successivement à Montargis, puis à Cagnes-sur- Mer, avant de partir en Guadeloupe, où elle passe son adolescence. Son père, courtier en assurances, assez sévère, rêve pour sa fille d’une carrière de conseiller juridique. Mais il la pousse à faire d’abord un baccalauréat scientifique. Il décède l’année de son bac et Nathalie Dubois part à la faculté de droit à Bordeaux, suivant la voie qu’il avait choisie pour elle.

C’est l’histoire du droit et des institutions, puis la philosophie du droit qui finissent par lui donner le goût de la matière juridique. « Ce qui me plaît, ce n’est pas la règle pour la règle, mais le sens du droit, sa finalité, ce que le droit dit de notre façon de faire en société », résume-t-elle. Une fois son DEUG en poche, elle quitte Bordeaux pour retourner en Guadeloupe, ne se sentant pas à sa place dans un environnement plutôt conventionnel et formel. Elle rentre donc pour passer sa licence dans une faculté très différente, puisqu’en Guadeloupe, la majorité des étudiants sont publicistes. Mais confrontée à la réalité du terrain, l’île lui semble décidément trop petite. « En dépit de tout ce que je n’aimais pas en métropole, j’ai pris conscience que j’y avais rencontré davantage de personnes venues d’horizons différents et qu’il était temps d’ouvrir une nouvelle page », reconnaît-elle. À la faveur d’une opportunité de logement, Nathalie Dubois repart, cette fois en direction de Toulouse, pour sa maîtrise. Elle n’y connaît personne, mais apprécie l’ambiance de la ville rose et y suit les enseignements de maîtrise sans trop se soucier de l’après. Après l’obtention d’un DESS en droit des affaires et fiscalité, à la faculté de Bordeaux où elle retourne, elle effectue un stage au sein d’un cabinet d’avocats parisien. Une nouvelle fois, l’expérience la refroidit. « Cela ne correspondait pas à ma personnalité, l’aspect commercial était trop marqué pour moi par rapport à la place et la diversité des relations humaines », se rappelle-t-elle. La remise en question est totale.

Elle s’accorde alors une année de césure « pour faire le point sur ce que je voulais, et aussi sur ce que je ne voulais pas », lance-t-elle. Elle effectue plusieurs stages : l’un auprès du médiateur de la République, en fiscalité - mais la matière lui paraît trop aride -, et l’autre au ministère de la Justice, à la sous-direction des affaires économiques et financières de la DACG. C’est aussi durant cette année de réflexion qu’elle apprend à connaître davantage le métier de juriste d’entreprise, qui l’attire. Elle se présente alors dans un marché du travail saturé et avec un CV standard. « Je n’avais pas fait d’école de commerce, je n’avais aucun réseau. Cela n’a pas été facile… », se souvient-elle. Elle ne décroche que des entretiens en fiscalité dans le secteur bancaire, mais décline les propositions.

Le doute, moteur de l’évolution

Nathalie Dubois est une femme volontaire. Elle envoie un e-mailing à plus de 300 PME/ETI pour proposer ses services. Elle décroche un seul entretien, dans un petit groupe du secteur mutualiste. « À la suite d’un changement de direction générale, la directrice juridique partait, mais on ne me proposait qu’un poste d’assistante juridique », raconte-t-elle. Elle accepte, non sans convenir avec son employeur de renégocier poste et salaire dans les six mois, après avoir fait ses preuves. Elle sera finalement promue responsable juridique et restera 3 ans et demi dans l’entreprise. Elle se souvient : « J’étais en prise directe avec les opérationnels, dans un contexte où il fallait prendre des décisions très rapides, avec beaucoup de vides juridiques. Je travaillais en autonomie, n’étant pas rattachée à un juriste. J’ai appris à sortir de ma zone de confort. » Elle travaille au contact des représentants mutualistes, un milieu très masculin, et finit par gagner la confiance des acteurs. « D’habitude, je n’aime pas les juristes, mais vous, je vous aime bien. Vous êtes orientée solutions », lui lance un jour un président de mutuelle. Il faut dire que Nathalie Dubois fait preuve d’une force de travail exceptionnelle, et acquiert de la rigueur et de la méthode.

Après quelques années dans le secteur, elle postule ensuite au sein du groupe M6, pour un poste de responsable juridique. Chargée du corporate, du M&A, des assurances et secrétaire du conseil de surveillance, elle est rattachée à la direction financière et a finalement très peu de contacts avec la direction juridique. Elle apprécie en particulier de travailler au sein d’une entreprise très agile et dynamique. Elle restera 5 ans à ce poste, avant d’être sollicitée par le groupe TF1, pendant son deuxième congé maternité. C’est la direction juridique, menée par Sébastien Frapier, alors DJ de TF1, qui vient s’adresser à elle. « J’avais besoin de quelqu’un pour m’assister en corporate et Nathalie Dubois avait déjà la réputation d’être une juriste très engagée. Je me suis dit qu’elle serait une bonne recrue », se souvient-il. L’occasion est belle. Elle intègre le groupe avec une juriste et deux assistantes et dirigera par la suite une équipe d’une quinzaine de juristes. « Le groupe TF1 m’a fait grandir », estime-t-elle. Elle s’occupe, au départ, du corporate et du M&A, mais voit son périmètre s’élargir progressivement à d’autres expertises, puis à l’animation de la filière juridique. Nonce Paolini, administrateur de Fnac Darty, alors PDG du groupe TF1, estime avoir eu « beaucoup de chance » de travailler avec Nathalie Dubois qu’il considère comme l’une des meilleures juristes du marché. « Elle est très compétente dans tous les domaines, que ce soit la gouvernance, la concurrence, le contentieux ou le conseil et, très clairvoyante avec une bonne vision stratégique des enjeux », témoigne-t-il. Il souligne également sa loyauté, sa disponibilité et son positivisme, même lors des longues nuits au sein du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, à plancher sur le dossier de l’achat de TMC/NT1 ou la vente d’Eurosport. Sébastien Frapier le dit tout net : elle avait vocation à lui succéder à la tête de la direction juridique. Il loue son extrême technicité, alliée au pragmatisme et son humilité.

C’est à cette époque qu’elle croise la route de Marc Mossé, lors du premier prix juridique média & Internet, créé à l’initiative de TF1. Il la fera rentrer plus tard au conseil d’administration de l’AFJE. Elle intégrera ensuite le bureau du conseil pour prendre en charge les relations avec les universités, écoles et étudiants.

Après 10 ans dans le groupe TF1, Nathalie Dubois veut évoluer et a le projet d’intégrer l’Executive master lancé par Sciences Po, sponsorisé par l’AFJE et le Cercle Montesquieu, pour devenir general counsel. La direction du groupe est d’accord, mais TF1 change de PDG. Elle se voit confier la tâche de piloter le projet de transformation de la direction juridique et renonce alors à la formation. Mais elle se projette déjà ailleurs. Et Stéphane Frapier l’a bien compris : « Nathalie avait besoin de se nourrir d’autres choses. J’ai essayé de la faire évoluer dans d’autres entreprises du groupe, vers les télécoms, mais l’offre de Fnac Darty est arrivée à ce moment ».

La transformation chez Fnac Darty

Après deux entretiens avec Fnac Darty, son cœur balance, et elle doute d'avoir l’étoffe pour le poste de directrice juridique à un moment où le groupe a des défis de taille à surmonter avec la fusion. Mais sa rencontre avec Alexandre Bompard, alors PDG, est déterminante. « Il m’a dit qu’il ne voulait pas quelqu’un avec des réflexes du passé et des réponses toutes faites, mais quelqu’un qui doute et qui se pose des questions. J’ai été emballée par ce discours différent », explique-t-elle. En juillet 2017, elle vient rendre effective la fusion des deux directions juridiques qui avaient continué de fonctionner en silo pendant un an. « J’étais très motivée par ce challenge de transformation, mais j’avais un peu fantasmé ma prise de poste », sourit-elle.

Dès son arrivée, elle est plongée dans l’opérationnel : la gouvernance évolue avec le départ d’Alexandre Bompard et le changement du premier actionnaire du groupe, il faut gérer la cession de Fnac Brésil et des magasins sont vendus. À cela s’ajoute le sujet d’archivage des documents juridiques, négligé pendant de très nombreuses années… Nathalie Dubois a du pain sur la planche et doit également créer le pôle DPO, qu’elle choisit de structurer aux côtés de la DJ. C’est aussi le décalage qui existait entre les juristes venus de Fnac et Darty qu’elle constate. « Pour embarquer l’équipe dans une vision transformative de la DJ, il fallait d’abord comprendre ses différences, voire divergences, faire converger les pratiques – au présent – pour délivrer nos missions », souligne-t-elle. En sept ans, elle a conduit avec ses équipes un plan stratégique dynamique, donnant ainsi davantage de place à la DJ au sein du groupe. Elle reporte à la secrétaire générale en charge de la gouvernance, siège au sein des codir gouvernance et finance du groupe et intervient régulièrement au comex. François Gazuit, directeur d’exploitation du groupe, salue son énergie et son pragmatisme : « Elle a une vraie vision d’ensemble qui lui donne de l’objectivité et sait trouver le point d’équilibre entre l’opérationnel et la direction ». Il se souvient du travail effectué avec elle sur la franchise. « Nathalie a su mettre en place une organisation transversale pour régler le problème, ce qui a été très bénéfique ».

Ne pas intervenir en réaction

Nathalie Dubois est convaincue qu’une direction juridique doit être capable d’anticiper et de s’emparer des sujets émergents, comme celui de la durabilité. Elle a d’ailleurs choisi de suivre les enseignements du master of science strategy and design for the anthropocene, proposé par l’ESC Clermont Business School, en partenariat avec Strate, École de Design. « Ce programme a résonné avec mes convictions, mes interrogations et l’engagement de Fnac Darty », dit celle qui a désormais pour mantra cette phrase, tirée du livre Le syndrome de la fourmi, de Flora Ghebali : « Que puis-je faire, compte tenu de qui je suis, de ce que je connais et de qui je connais ? »

Nathalie Dubois a créé, au sein de l’AFJE, un groupe scientifique ESG-RSE pour accompagner les juristes d’entreprise adhérents de l’association. Carmen Briceno, directrice juridique et conformité du groupe Raja, qui coanime le groupe, témoigne : « Nathalie est une leader inspirante et une professionnelle accomplie. Elle est dotée d’un dévouement et d’un engagement remarquables, ainsi que d’une énergie inépuisable pour gérer ses multiples tâches avec succès. » « J’ai la conviction que notre vision du monde doit changer, pense Nathalie Dubois. L’effondrement de la biodiversité, le changement climatique et la finitude des ressources nous obligent à changer nos modes de vies et nos organisations, les choses ne peuvent plus rester comme avant. C’est vertigineux. Et nous, juristes, nous devons nous saisir de ces enjeux, prendre notre part et nous demander comment nous pouvons contribuer à ces mutations ».