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Joanna Gumpelson, la bienveillante

Par Ondine Delaunay - Photographies Mak Davies

La crise du Covid a placé sur le devant de la scène les avocats spécialistes du restructuring qui se sont relevé les manches, dès le premier jour du confinement, pour assister les entreprises pouvant connaître de difficultés. Parmi eux, Joanna Gumpelson, associée du cabinet De Pardieu Brocas Maffei, qui s’est lancée au cœur du réacteur de chacun de ses clients avec enthousiasme, respect et empathie, reproduisant les méthodes de travail que son mentor, le grand Jacques Henrot, lui avait inculquées.

À la fin du mois de juillet, avant de partir quelques jours en vacances avec son fils et son mari, Joanna Gumpelson reconnaissait être épuisée. L’avocate n’est pourtant pas du genre à se plaindre, mais force est de constater que son agenda a été particulièrement chargé durant les derniers mois. « La crise a été d’une brutalité inédite, explique-t-elle. Le confinement a précipité certains secteurs dans de profondes difficultés. Il a fallu gérer les évolutions réglementaires au jour le jour, les dossiers en cours, ceux déjà traités mais qui n’ont pas tenu, et bien sûr les nouveaux… Mais il faut reconnaître que dans la majorité des cas, les négociations se passent bien et les échanges sont constructifs ». C’est d’ailleurs dans cette ambiance de travail que l’associée du cabinet De Pardieu Brocas Maffei aime exercer. D’une nature calme, elle dit intérioriser les difficultés, les relativiser puis prendre le recul nécessaire pour les affronter efficacement. Et toujours avec une volonté de bien faire, un sourire sincère, un regard direct, franc et bienveillant. Son associé, Philippe Dubois, qui la connaît bien pour travailler avec elle depuis douze ans, assure qu’elle a « un tempérament toujours très courtois, elle n’est jamais dans l’affrontement mais dans la négociation ».

« Je n’aime pas le conflit en tant que tel, reconnaît-elle. Jacques m’avait appris qu’une des manières de passer l’obstacle, c’est de le contourner. J’essaye au maximum de m’y tenir lorsque les discussions se tendent inutilement ». Jacques, c’est Jacques Henrot, l’un des pères du restructuring en France, qui l’a formé avec patience, attention, faisant preuve d’une réelle volonté de transmission de son formidable savoir-faire. Et même si son mentor est aujourd’hui malheureusement décédé, on retrouve en Joanna plusieurs de ses traits. Avec quelques exceptions notables cependant, au premier rang desquelles sa carrure, sa voix et son caractère pour le moins excessif ! Mais la douceur, le côté prévenant, l’attention aux autres, le consensualisme sont autant de qualités qui leur sont communes. Sans oublier bien sûr la technicité et le goût pour la matière juridique. « À certains égards, elle est l’opposé de Jacques car, qui a connu Jacques sait bien que Joanna est plus discrète. Mais dans son approche des dossiers et sa pugnacité, elle tient indéniablement de lui », reconnaît Philippe Dubois.

En première ligne sur les dossiers de restructuring

C’est après des études à HEC, à l’université de Sceaux puis à la Sorbonne que Joanna Gumpelson s’est lancée dans le grand bain des cabinets d’affaires. Petite, elle voulait pourtant devenir juge pour enfants. Mais la vie en a finalement décidé autrement. Recrutée par Yvon Martinet, elle débute au sein du département Contentieux de De Pardieu Broccas Maffei en 2002. Rapidement, elle y rencontre Jacques Henrot qui l’a fait travailler sur plusieurs dossiers litigieux, pour le compte d’établissements financiers. C’est un véritable coup de foudre professionnel. Une relation de confiance et de profond respect se met tout de suite en place entre eux. Jacques Henrot ne tarissait pas d’éloges sur sa protégée. Il la présentait à ses confrères, à ses clients, l’envoyait en première ligne plaider les dossiers. La meilleure façon d’apprendre le métier. « Il n’y avait pas de règles entre nous. Il avait le lead sur la stratégie du dossier, moi je faisais tout pour suivre le rythme et être au niveau », explique-t-elle avant d’ajouter : « Il me faisait confiance car il savait que je veux être sûre de moi à 200 % avant d’avancer une quelconque réponse ». Et c’est d’ailleurs bien ce que répétait Jacques Henrot à l’envi : « Le doute, c’est le moteur de l’intelligence ».

Au fur et à mesure des années, à force de travail et d’une grande volonté, Joanna Gumpelson s’impose comme une vraie spécialiste du restructuring. Son expérience américaine d’un an au sein de la firme new yorkaise Bingham McCutchen lui apporte une ouverture d’esprit complémentaire et utile. Alors qu’elle a déjà commencé à travailler sur plusieurs dossiers de procédure collective, elle découvre en 2005 l’approche américaine de la matière. L’expérience se révèle particulièrement enrichissante alors que la loi de sauvegarde française vient tout juste d’être votée, s’inspirant directement de certaines dispositions du Chapter 11.

À son retour à Paris en 2006, les dossiers s’enchaînent. Belvédère est sans aucun doute celui qui l’a le plus marqué. « C’est le cas pratique parfait dans lequel toutes les procédures du Code de commerce ont été mises en œuvre », raconte-t-elle. Le cabinet De Pardieu Brocas Maffei conseille à l’époque les deux principaux créanciers. Une fois le plan de redressement adopté, l’équipe devient conseil du board. Depuis, le cabinet a été nommé conseil du groupe.

Si l’avocate est, dans la majorité des cas, positionnée du côté des créanciers, elle assiste principalement les fonds d’investissement. Parmi eux, Cartesia ou encore Tikehau. Fort de son expérience américaine, elle se positionne auprès des clients internationaux, bien souvent anglosaxons. Sur ces dossiers où elle intervient côté dette, elle est bien sûr moins visible du grand public. Mais cette position lui convient. Joanna Gumpelson n’a pas besoin d’être dans la lumière et de rouler des mécaniques, ni même de jouer de son genre et de sortir sa carte « Femme avocate à respecter ». Sa meilleure arme ce sont les articles du code qu’elle connaît sur le bout des ongles. C’est forte de son savoir-faire technique qu’elle parvient à s’imposer face aux grands avocats du secteur, qui ont bien souvent vingt ou trente ans de plus qu’elle.

Son associé Cédric Chanas explique en outre son succès auprès des fonds distressed anglosaxons, réputés pour leur exigence, par un formidable sens commercial. « À l’image de Jacques Henrot, Joanna perd rarement les pitchs sur lesquels elle se positionne. Elle connaît par cœur ce milieu des fonds anglosaxons et elle obtient ses dossiers grâce à son implication totale, sa disponibilité et son impressionnante réactivité. Elle est prête à se plier en quatre pour amener le dossier là où il doit aller et vibre avec son client à chaque phase de négociations ».

Elle se fait aussi régulièrement remarquer auprès d’entreprises débitrices, comme sur le dossier Toys R Us il y a deux ans, ou encore Technicolor cet été, groupe pour lequel elle est parvenue à négocier une sauvegarde financière accélérée, approuvée par 100 % des créanciers concernés ayant voté, et arrêtée par jugement du tribunal de commerce de Paris. «Technicolor est le premier dossier de cette importance sur lequel nous avons travaillé en binôme avec mon associé Philippe Dubois, explique Joanna Gumpelson. Nous nous connaissons tellement bien et avons un tel respect l’un pour l’autre que ça ne pouvait que bien se passer ! ». Ce dernier raconte : « Avec Belvédère et Toys R Us, Technicolor est sans doute l’un des dossiers qui a le plus révélé Joanna. Elle a été au cœur des négociations après une phase de réflexion et d’analyse. Elle est très analytique, elle est déterminée, rapide et efficace ». Sur ce dossier, les associés se sont attribué des rôles. Les aspects procéduraux ont été gérés par Philippe Dubois, Joanna Gumpelson se concentrant sur les négociations avec les créanciers. Une partition jouée à quatre mains qui a permis de sortir le dossier par le haut.

À la maison chez De Pardieu Brocas Maffei

Car contrairement à ce qu’il se passe parfois dans les familles au décès du père, celle de l’équipe Restructuring du cabinet De Pardieu Brocas Maffei ne s’est pas déchirée. Bien au contraire. Philippe Dubois et Joanna Gumpelson se sont serré les coudes, cooptant même Ségolène Coiffet en 2017 pour faire monter en puissance l’équipe. Et l’activité a repris de plus belle malgré le grand vide laissé. Elle raconte : « J’ai été portée par Philippe, par le cabinet par certains confrères d’autres structures comme Philippe Druon, Gabriel Sonier qui avaient à mon égard une certaine forme de bienveillance ». D’autres l’ont parrainée pour devenir membre de l’ARE. La fameuse administratrice judiciaire Hélène Bourbouloux l’a convaincue de participer au prix du juriste HEC qui récompense un diplômé depuis moins de 15 ans ayant eu une trajectoire professionnelle remarquable, porteuse d’inspiration pour les étudiants. Elle en a bien sûr été désignée lauréate.

Aujourd’hui, Joanna Gumpelson est très intégrée dans le milieu des spécialistes de la matière. Mais ce qui lui importe, c’est surtout son cabinet. « Je suis à la maison chez De Pardieu Brocas Maffei, affirme-t-elle avec conviction. Je m’y sens bien depuis maintenant 18 ans ». Elle fait partie de la bande d’associés quarantenaires qui sont l’avenir de ce grand cabinet français avec Cédric Chanas en corporate, Delphine Vidalenc en boursier, Sébastien Boullier de Branche en bancaire, Priscilla van den Perre en fiscal, mais aussi bien d’autres. Tous ont été formés en tant que collaborateurs par la génération des fondateurs. Ils ont appris les codes de la maison et veillent à les faire perdurer. « Le cabinet s’est globalement constitué par les promotions internes, raconte Philippe Dubois. Cette bande de jeunes associés se connaît bien. Ils ont grandi professionnellement ensemble. Ils ont des affinités et partagent beaucoup. Ce sont les forces vives du cabinet. Le futur de la marque De Pardieu Brocas Maffei ». Cédric Chanas confirme : « Avec Joanna, nous nous connaissons depuis longtemps. Nous travaillons régulièrement ensemble, nous nous interrogeons, nous échangeons constamment, nous nous challengeons avec comme sous-jacent une certitude : pour bien traiter un dossier, il faut pouvoir comprendre toutes ses problématiques juridiques, même celles qui ne relèvent pas de notre domaine de compétence initial. C’est pourquoi nous mettons en place sur les dossiers des plateformes dans lesquelles nos équipes de collaborateurs sont mélangées et apprennent les uns des autres ». Dans cette génération de quadra, le pragmatisme l’emporte définitivement sur les guerres de chapelles. Avec un objectif commun : satisfaire le client et faire briller le cabinet. Joanna Gumpelson le constate : « Les associés quarantenaires sont très conscients de ce que leur ont apporté leurs aînés. Le sens du collectif est important entre nous et nous sommes plusieurs à vouloir transmettre cet héritage à la prochaine génération ». À l’image de ce qu’elle a reçu. 

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