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Hervé Ékué : la vocation

Par Aurélia Granel

Hervé Ékué, associé du département marchés de capitaux d’Allen & Overy, l’une des matières phares et historiques du cabinet, vient d’être reconduit dans ses fonctions de managing partner pour une durée de quatre années supplémentaires. Portrait d’un homme chaleureux et passionné, qui a encore les yeux qui brillent lorsqu’il évoque son métier après plus de vingt ans de carrière.

Né en 1972 au Cameroun de parents franco-béninois, Hervé Ékué grandit en Éthiopie de ses 5 ans à ses 16 ans, dans une famille soudée, composée d’un père diplomate et d’une mère fonctionnaire internationale et de leurs cinq enfants, dont deux garçons et trois soeurs. Deux d’entre eux travaillent dans la finance, tandis qu’Hervé Ékué s’est spécialisé en réglementations bancaire et financière. Ce spécialiste des marchés de capitaux conseille en effet, depuis plus de vingt ans, des institutions financières et des entreprises françaises et internationales en droit financier, notamment sur l’émission et la cotation de titres de dettes, titres hybrides et titres dérivés et en matière de produits dérivés sur une large gamme d’actifs. Exerçant chez Allen & Overy depuis 21 ans, l’avocat est devenu un associé historique de la maison et bénéficie d’une belle reconnaissante de ses pairs. « Hervé Ékué est un avocat extrêmement précis, qui a incontestablement développé une grande expertise dans de nombreux domaines relatifs aux marchés de capitaux. C’est quelqu’un d’extrêmement volontaire, endurant, courageux et déterminé, qui travaille énormément et est doté d’une vive intelligence, lui permettant de s’approprier très rapidement les nouveaux concepts, souligne Dan Lauder, of counsel du cabinet. Dès lors qu’un nouveau produit est mis sur le marché, il tient à le comprendre dans son intégralité, en s’imprégnant non seulement de ses principes et modes de fonctionnement, ainsi que des implications business, mais aussi en s’attelant à la rédaction d’un document qui reflète au mieux sa mécanique ».

PASSIONNÉ

Durant sa jeunesse en Afrique, Hervé Ékué côtoie régulièrement des animaux sauvages et développe une admiration sans faille pour la photographie animalière et, plus particulièrement, pour les félins. Une passion qui ne le quittera plus et se combine parfaitement avec le métier de son épouse, une ancienne fiscaliste reconvertie dans l’organisation de voyages sur mesure. Hervé Ékué, sa femme et leurs deux filles de 21 et 19 ans sillonnent régulièrement le globe à la recherche des plus beaux spécimens. Son bureau en est la preuve formelle, quatre magnifiques photographies ornant ses murs. « J’aime à la fois l’animal et les aspects techniques de la photographie, indique celui qui s’est fait offrir, pour ses 50 ans, un voyage en Andalousie par sa famille pour photographier des lynx. Cette passion nécessite de la patience, car on peut pister un animal pendant des heures, de l’observation, mais aussi de faire preuve d’anticipation et de rapidité lors de la prise de la photographie. Je suis quelqu’un d’assez calme, mais je ne sais pas si c’est la photographie qui a développé cette qualité ou si cette dernière est la raison pour laquelle cette activité m’a attiré ». Plutôt bon élève pendant toute sa scolarité, Hervé Ékué pose ses valises à Bordeaux durant son année de terminale où il obtient un baccalauréat ES au lycée Montaigne, avant de s’inscrire en première année de droit. « Je voulais exercer cette profession depuis toujours, la passion m’ayant été transmise par mon parrain, personne très inspirante et brillant avocat, reconverti en homme politique, qui a terminé sa carrière comme représentant de la France à l’Unesco, explique-t-il. Également guidé par une soif d’indépendance, mon orientation professionnelle n’a donc jamais fait l’objet de questionnements de ma part, car je connaissais, très jeune, mon futur métier ». Hervé Ékué poursuit ses études à Paris V et décide de passer le barreau, en 1995, après l’obtention d’une maîtrise de droit des affaires. Il réussit le CRFPA du premier coup et s’inscrit, en raison de son attrait pour l’économie, en DESS banque-finance. Il fait du stop un matin de grève des transports et discute avec sa conductrice pendant les dix minutes de trajet, qui se trouve être Martine Lombard, numéro deux du Crédit commercial de France (CCF). Celle-ci lui tend sa carte et lui propose un stage. Là-bas, en contact avec des avocats, il se rend compte que peu d’entre eux sont spécialisés dans le domaine financier et y voit une opportunité.

LES DÉBUTS CHEZ CLIFFORD CHANCE

Hervé Ékué n’aura finalement envoyé qu’un seul et unique CV dans sa carrière. « J’ai postulé chez Clifford Chance pour y effectuer mon stage final et avant que je n’aie le temps d’envoyer d’autres CV, le cabinet m’a contacté, sans doute en raison du fait que je parle couramment anglais - ce qui était le cas de peu d’avocats à l’époque - et que je m’intéresse à la finance », souligne celui qui travaillera aux côtés d’Olivier Bertin-Mourot, l’un des associés parisiens emblématiques de droit bancaire à l’époque, dans une équipe composée notamment de quatre associés et des collaborateurs Jacques Pickering, fondateur de Pickering Pacific, un cabinet de fusions-acquisitions à Singapour spécialisé dans les opérations mid cap en Asie Pacifique, Cécile Bieder, désormais general counsel de Bank of America à Paris, et Éric Haza, directeur juridique de Veolia Environnement, deux clients fidèles d’Hervé Ékué. « Je sensibilise toujours mes collaborateurs et étudiants sur le fait que leurs contacts directs seront non seulement leurs amis, mais aussi leurs clients demain, déclare-t-il. Les relations sont particulièrement fortes dans ce métier, qui permet d’avoir accès assez rapidement à des gens haut placés venant chercher une compétence technique sur des sujets hautement stratégiques. Progressivement, les liens avec les clients deviennent très forts ». Hervé Ékué prête serment en 1999. Le jeune avocat s’épanouit au sein du cabinet, où il s’initie aux produits dérivés, dont il apprécie leurs technicité et sophistication, les problématiques juridiques inhérentes, mais aussi l’adrénaline des soirées de travail nocturnes, liée à la nécessité de clôturer les deals avant l’ouverture des marchés. Détaché à Londres pendant plus de six mois, dans le cadre d’un programme européen mis en place par Clifford Chance pour ses meilleures jeunes recrues, son associée Jane Bush lui propose ensuite de travailler dans la salle des marchés de Morgan Stanley, à Canary Wharf. « Voilà comment je me suis retrouvé à faire les contrats dérivés pour le desk français et italien des traders et sales de Morgan Stanley qui était, à l’époque, l’équipe emblématique en matière de produits dérivés, note Hervé Ékué. Cette expérience a littéralement changé ma vie. J’ai travaillé avec des gens brillants, internationaux et j’ai pu décortiquer tous les produits dérivés du marché ».

ALLEN & OVERY, UNE GRANDE HISTOIRE D’AMOUR

De retour à Paris en 2001, Hervé Ékué rejoint son ancienne équipe où il n’est certes pas l’avocat le plus senior, mais sans aucun doute le plus spécialisé dans son domaine - Jacques Pickering, avec lequel il travaillait beaucoup, étant parti en Asie entre-temps. Il se retrouve, sur un dossier, en face de deux associés du cabinet Allen & Overy, dont le pape français des produits dérivés, Pierre Gissinger. Ce dernier fait appeler un autre associé, pour proposer à Hervé Ékué de venir prendre un verre, un mardi soir, dans les locaux parisiens de la firme situés à Madeleine. « Flatté, j’ai volontiers accepté, mais lorsque je suis arrivé chez Allen & Overy, quelle ne fut pas ma surprise lorsque la standardiste de l’accueil m’a annoncé que quatre associés du cabinet m’attendaient dans une salle de réunion pour me faire passer un entretien d’embauche », se souvient-il. Dan Lauder se souvient de ce jour où Edward Murray, responsable de la pratique marché de capitaux à l’époque, Pierre Gissinger, François Poudelet et lui ont reçu le jeune Hervé Ékué en entretien. « Il nous a tout de suite paru être un jeune avocat talentueux et extrêmement respectueux. La conversation s’est déroulée amicalement. Les choses se sont complexifiées quand Edward Murray lui a posé une question très technique sur les produits dérivés qu’il avait étudiée récemment et était fraîche dans son esprit, mais à laquelle, objectivement, aucun avocat n’aurait pu répondre du tac au tac. Loin d’être déstabilisé, Hervé s’en est très bien sorti, impressionnant tout le monde. Il avait dévoilé lors de cet entretien des traits de caractère qui ne l’ont pas quitté au fil des années », se remémore Dan Lauder. Hervé Ékué démissionnera le vendredi, pour rejoindre le département marchés de capitaux d’Allen & Overy. Impressionné par la plateforme du cabinet, l’avocat diversifie sa pratique, aux côtés de Pierre Gissinger et de François Poudelet, avec de la dette obligataire et un peu de regulatory. « C’étaient les folles années du développement du marché obligataire. Désormais, un avocat travaille sur près d’une vingtaine d’émissions par semaine, mais à l’époque, il n’y en avait que deux par mois. Chaque clause était analysée de fond en comble. Aujourd’hui, les dossiers sont tout autant techniques, mais le volume n’a plus rien à voir », souligne-t-il. Hervé Ékué devient l’avocat de référence de BNP Paribas, s’occupant de toute leur dette obligataire de droit français. Sur les produits dérivés, il travaille beaucoup pour Lehman Brothers, qui devient l’un de ses clients principaux en 2008. « Évidemment, le jour où j’ai passé les tests en interne pour devenir associé est celui où la banque a déposé le bilan », s’amuse-t-il. Il est nommé associé à 36 ans, au début de l’année 2009. Son premier dossier emblématique, qui monopolise des dizaines d’avocats dans le réseau pendant plus de deux ans et change la réputation et la dimension de la carrière d’Hervé Ékué sur le marché, est son pilotage de la restructuration de la banque Dexia au début des années 2010. « Une fois que l’on a travaillé sur une restructuration de cette taille-là, c’est-àdire plusieurs milliards d’euros, les dossiers de place de cette nature vous sont confiés plus naturellement. C’est notamment grâce à ce dossier que j’ai eu la chance de m’occuper de la restructuration financière d’Areva à partir de 2016 », raconte l’avocat. Il intervient aussi sur la restructuration, technique, de la dette obligataire d’Essilor dans le cadre du rapprochement avec Luxottica. Hervé Ékué s’occupe également de la première émission obligataire de L’Oréal en mars 2022, aux côtés des banques. « J’ai côtoyé Hervé Ékué chez Clifford Chance en début de carrière et nous travaillons régulièrement ensemble depuis que j’ai rejoint L’Oréal il y a près d’une dizaine d’années, souligne Xavier Gallet, directeur juridique, corporate & finance de L’Oréal. Cette personne est la fiabilité et l’humilité incarnée. C’est quelqu’un de confiance, de très engagé, n’hésitant pas à honorer ses engagements professionnels, même tard le soir, sachant se rendre disponible à chaque instant, assumant de grosses responsabilités chez Allen & Overy tout en ayant gardé cette simplicité le caractérisant si bien. C’est un véritable bonheur de travailler à ses côtés ».

SE RÉINVENTER EN PERMANENCE

En 2018, Hervé Ékué succède à Jean-Claude Rivalland, associé de la pratique M&A du cabinet, qui occupait le poste de managing partner depuis 2010. Depuis, il assure ce rôle en collaboration avec Denis Chemla, senior partner et associé en contentieux, et vient de voir son mandat renouvelé pour quatre années supplémentaires. Il est également membre du comité executif d’Allen & Overy au niveau mondial depuis 2020. Mais hors de question de mettre de côté ses dossiers. « L’une des conditions pour que j’accepte ce rôle était que je puisse continuer à exercer mon métier, mais la taille et la maturité de mon équipe, ainsi que le soutien de mes associés Julien Sebastien, Diana Billik et Dan Lauder, et des fonctions support me permettent de déléguer un certain nombre de tâches et de m’organiser », glisse celui qui a confié à Diana Billik le soin de lui succéder à la tête de l’équipe marchés de capitaux quand il est devenu managing partner. L’avocat demeure bien présent sur ses dossiers. Surtout, il sait se réinventer et sortir de sa zone de confort : il conseille, en avril 2021, Goldman Sachs, Banco Santander et Société Générale en qualité d’agents placeurs de l’émission obligataire digitale par la Banque Européenne d’Investissement enregistrée sur la blockchain Euthereum. Cette émission constitue la première émission multi-dealers d’obligations digitales placées sur le marché. Hervé Ékué pilote cette opération, impliquant 8 pays et 35 avocats, qu’il décrit comme « un deal passionnant et pionnier, ouvrant la porte à un monde fondamentalement nouveau » et dont il commence à faire son domaine de spécialité. Blockchain, NFT et métavers n’ont donc plus de secret pour lui. À la suite de ce deal, il reçoit, de manière non sollicitée, près d’une vingtaine de demandes de présentation de la part de ses clients historiques. Par ailleurs, il a récemment fondé, avec un peu moins d’une dizaine d’associés européens, une équipe multi-juridictionnelle « go-to-market team », spécialisée dans les titres financiers digitaux inscrits en blockchain, de manière à ne plus raisonner en tant qu’équipes locales, mais au regard du besoin des clients. Une approche globale fondamentalement différenciante de ses homologues dans sa pratique.