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Fanny Mahler : retour aux sources

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Après avoir fait ses premières armes au sein du cabinet Linklaters, l’avocate Fanny Mahler, qui a choisi pendant un temps de quitter la firme pour une boutique aux pratiques différentes, revient au nid. Histoire d’un aller et d’un retour, et d’une pratique qui s’est affinée avec le temps.

Fanny Mahler a grandi dans la région toulousaine. Dans sa famille il n’y a pas de juristes, mais un intérêt marqué pour les carrières internationales. Elle est sensibilisée, très jeune, à l’importance de parler anglais – sa famille étant établie entre l’Europe et les États-Unis. Après un parcours scolaire classique, – « Je n’étais pas difficile et je m’intéressais à tout », dit-elle –, elle passe un bac scientifique avec brio. Direction la faculté. Elle hésite un temps à entrer en médecine, puis intègre finalement l’UFR de droit. De toutes les matières qu’elle découvre, le droit public lui plaît davantage. « Cet attrait était très lié à la personnalité des professeurs, Jacques Viguier, Maryvonne Théron, Abdoulaye Coulibaly… », se souvient-elle. Elle avoue à demi-mot que le contraste avec les cours de droit privé, un peu compassés, où les professeurs étaient alors en robe, était assez criant. Aujourd’hui encore, elle a conservé ses notes de cours et les consulte à l’occasion.

Mais que faire de ce goût pour la chose publique ? Les concours administratifs ne lui disent rien et son inclination pour l’international l’interroge. Ses parents l’aident à trouver, au cours de sa troisième année de droit, un stage au sein du cabinet parisien Huglo Lepage. Elle y découvre le droit public « en vrai » et constate qu’il est possible de le pratiquer à l’échelle internationale en suivant par la suite les enseignements de Lucien Rapp, professeur de droit public des affaires à l’université de Toulouse et parallèlement avocat chez Watson Farley & Williams à Paris. C’est une révélation. L’été de sa maîtrise, direction les États-Unis, pour faire un stage dans un cabinet d’avocats à Washington DC. Elle décide alors d’intégrer le master 2 droit public de l’économie de Paris II, puis enchaîne sur un stage chez Linklaters. « J’ai atterri sur une autre planète, je trouvais que tout le monde était brillant et intelligent. Cela m’impressionnait d’ouvrir « Les Échos » et de lire des articles sur les dossiers sur lesquels j’étais en train de travailler ! », confie-t-elle. Après quelques semaines en immersion, elle prépare le CRFPA et s’inscrit à un deuxième master 2, toujours à Assas, en droit européen des affaires. Infatigable, presque passionnée, pendant son année à l’École de formation du barreau de Paris, elle s’inscrit également à l’IDPA (Institut de droit public des affaires). Son stage final s’effectue, cette fois-ci, au sein du cabinet américain Gibson Dunn, aux côtés de Nicolas Baverez. Mais elle pense avec nostalgie à Linklaters.

Une pratique transversale

C’est finalement l’associé Paul Lignières qui décroche son téléphone pour contacter la jeune diplômée et lui fait signer, en 2009, un contrat de collaboration avec la firme du Magic Circle. Elle trouve rapidement sa place dans les équipes. Elle se souvient de quelques dossiers marquants, notamment de l’un d’eux qu’elle a suivi jusqu’au Conseil d’État, pour un groupe international qui faisait l’objet de poursuites pénales et administratives dans lequel une question de prescription en droit de l’Union européenne a été tranchée. « Je trouvais beaucoup de satisfaction à suivre ces affaires sur le long terme, dit-elle. On entend souvent, ici et là, que les grands cabinets internationaux ne sont pas les mieux positionnés pour faire du droit public, mais c’est faux ». Selon elle, les multiples compétences que l’on trouve dans les grands cabinets permettent d’offrir des solutions transverses.

Chez Linklaters, le département droit public, alors composé de trois avocats, sous l’égide de Paul Lignières, travaillait en synergie avec d’autres départements, notamment avec la finance et le corporate. Fanny Mahler se souvient encore d’un dossier qui lui a donné l’occasion d’aller visiter la centrale photovoltaïque la plus puissante de France. « C’est important d’aller sur le terrain, de voir à quoi ressemble le projet concrètement, de comprendre le cycle de vie d’un projet », affirme-t-elle avec une grande conviction. Bref, ces sept premières années d’exercice sont belles, d’autant que sur le plan personnel, elle lie de nombreuses amitiés.

« Je la présentais à mes clients comme la meilleure publiciste de sa génération, et je le pense encore » se souvient Paul Lignières, qui souligne que les profils comme ceux de Fanny Mahler, ouverte à l’international sont rares en droit public. Sur le plan des qualités humaines, l’avocat honoraire, désormais vice-recteur de l’ICP, se souvient de son charisme « lié à son caractère calme et rassurant ». Une écoute et une sérénité qui sont un atout pour les clients, et aussi pour les équipes. « Elle était considérée comme une personne ressource pour les collaborateurs », se souvient-il. L’avocate est même sélectionnée pour participer au Women’s Leadership Programme, un dispositif interne au cabinet qui vise à favoriser l’accès des femmes à l’association.  « Elle avait laissé chez nous un excellent souvenir, tant sur le plan professionnel que sur le plan humain, et c’était pour nous un vrai talent », confie Françoise Maigrot, la managing partner du bureau parisien.

Les années « boutique »

Mais en 2017, Fanny Mahler reçoit un coup de téléphone qui chamboule tout. Le cabinet Magenta, une jeune boutique en droit de la concurrence, lui propose de venir structurer la pratique droit public. Elle hésite à quitter le cocon de Linklaters. La décision est difficile. Mais pour grandir, il faut partir, et le projet entrepreneurial de la jeune boutique la séduit. Elle raconte : « J’ai été chassée au bon moment, mais on ne se rend vraiment compte de ce que l’on quitte qu’au moment où on l’a fait ». Fanny Mahler part sans client, quitte un réseau international full services, avec des fonctions support solides. Tout est à reconstruire, mais elle ne regrette rien pour autant, car l’avocat aime les défis. Sa pratique sera cependant différente de celle qu’elle a alors connue. « Chez Linklaters, je travaillais sur un pan du droit public très lié aux activités de financement et au M&A, je suis intervenue sur des dossiers différents chez Magenta, avec une dimension contentieuse et secteurs régulés très importante », constate-t-elle. Elle ressent néanmoins une certaine frustration de n’intervenir, dans certains dossiers, qu’à l’occasion d’opérations ponctuelles, alors qu’avant, elle suivait les projets des clients sur le long terme, se sentant alors davantage impliquée. « Je n’ai pas regardé en arrière », tient-elle cependant à préciser, qui estime que sa façon très différente d’exercer au sein de la boutique l’a fait progresser à de nombreux égards. « J’ai beaucoup appris, aux côtés d’avocats brillants, en faisant du contentieux, notamment devant les autorités de régulation, et je suis aujourd’hui convaincue que cette expérience me permet d’apporter aujourd’hui un meilleur service à mes clients », pense-t-elle. Une directrice juridique, avec laquelle elle a travaillé durant ces années, loue sa réactivité, sa disponibilité et son extrême professionnalisme. « Elle est calme et sûre d’elle, tout en restant très simple d’accès, c’est très appréciable ». Xavier Lécole, directeur juridique du groupe Alcon, est également intarissable sur l’associée. « Elle est disponible et réactive, dit-il. Elle a une approche très concrète de la gestion des dossiers. Elle a aussi une bonne capacité de contact avec les opérationnels ».

Retour au nid

En dépit de son départ chez Magenta, Fanny Mahler a conservé des liens forts avec son ancien cabinet. Et le 2 octobre 2023, six ans après son départ et l’année du 50e anniversaire du bureau de Paris, l’avocate est officiellement de retour chez Linklaters, dans les locaux qu’elle connaît par cœur. Sauf que cette fois-ci, elle passe la porte en tant qu’associée. « C’était la perle rare que nous voulions », confie Françoise Maigrot, managing partner du bureau parisien. La firme a beaucoup apprécié qu’elle se soit challengée pour mettre sur pied un pôle structuré au sein d’une boutique en droit de la concurrence. « Elle a l’esprit entrepreneurial, et c’est un atout », pense Françoise Maigrot. De son côté, Fanny Mahler soutient : « Je crois désormais que lorsque l’on fait du droit public, on est mieux positionné dans un cabinet full services ». Elle exerce donc aux côtés de Bertrand Andriani et de François April, qui pilotent la pratique énergie et infrastructures. Elle retrouve avec plaisir une équipe droit public qui s’est étoffée et compte désormais un counsel et cinq collaborateurs, certains avec lesquels elle avait déjà travaillé.  « Tout est mis en place pour faire progresser les avocats chez Linklaters, nous pouvons nous former, y compris sur les aspects techniques, il existe des programmes de développement sur les soft skills, ce sont des choses qui relèvent de l’évolution normale de notre métier, mais qui sont plus difficiles à organiser dans des structures de taille plus réduite ». Elle reconnaît qu’au sein d’un cabinet de l’envergure de Linklaters, elle peut gérer confortablement tous les à-côtés : la gestion de l’équipe, la communication, son propre équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, tout est plus fluide. Les formations très régulières qu’offre le cabinet sur des problématiques transverses permettent davantage, selon elle, d’aborder un dossier avec une vision à 360 degrés. « Chez Linklaters, observe-t-elle, depuis longtemps, les « Seats » permettent aux jeunes collaborateurs de passer 6 mois dans un autre département que celui dans lequel ils exercent : c’est une vraie richesse. Cela crée des liens et des points de contact entre nous et c’est précieux pour appréhender les dossiers de façon globale ».

Évolution du métier

Pour compléter son équipe, elle envisage à court terme, de recruter un collaborateur en droit public, ne cachant pas ses difficultés à trouver des profils de publicistes ouverts sur l’international, alors que le besoin d’experts se fait de plus en plus sentir. On est bien moins sensible à cette ouverture vers l’international et à cette diversification en France, où les exigences restent encore un peu scolaires, selon elle.

« Les étudiants doivent se former par eux-mêmes et ne pas abandonner l’anglais à l’université », poursuit-elle. Selon elle, les problématiques rencontrées sur l’énergie et le changement climatique vont mobiliser ces profils internationaux et totalement bilingues, qui seront très recherchés à l’avenir, la régulation faisant de plus en plus partie du quotidien des entreprises. « On assiste également à un resserrement du contrôle des investissements étrangers, et la problématique des aides d’État, qui a explosé avec le Covid, irrigue désormais toute la vie des affaires », ajoute-t-elle. Autant de sujets sur lesquels Fanny Mahler compte bien rester à la pointe de l’expertise, avec la volonté et le dynamisme qui la caractérisent.