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Denis Musson, l’engagé

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affairs n°61 - Juillet/Août 2019
Par Anne Portmann
Reportage photographique : Mark Davies

Le charismatique ex-General Counsel d’Imerys, qui a laissé la place à Frédérique
Berthier-Raymond, vient de quitter définitivement l’entreprise. Mais l’hyperactif
qu’il est n’entend pas avoir une retraite paisible. Il fourmille de projets et entend
continuer à œuvrer en faveur de la profession de juriste d’entreprise.

Denis Musson ne se livre pas facilement. Mais derrière son incroyable regard bleu glacier, on devine l’homme passionné par son métier et qui s’est engagé en faveur de la profession de juriste d’entreprise. La veille de l’interview, les équipes d’Imerys avaient organisé une farewell party en son honneur et il s’excuse d’avance, qu’en raison de cet événement, ses réponses puissent prendre le tour d’un bilan de cette tranche de 20 ans de vie professionnelle qui s’achève. Nulle trace de nostalgie cependant dans ses propos, car il quitte ce groupe international coté, avec des projets plein ses cartons. En fait de bilan, c’est donc davantage un inventaire de ces perspectives à venir qui se dessine.

Dépasser les frontières

Denis Musson est issu d’une famille de libéraux, qui gravitent dans le domaine médical et des ETI. Après un bac scientifique, ne sachant « pas très bien quoi faire », il choisit le droit. « Je voulais une formation avec le moins de maths possible », sourit-il. À Assas d’abord, où il prend, au fil des années, goût à la matière, puis, rêvant d’Amérique, il part faire un LLM à Philadelphie, au sein de la prestigieuse Penn Law School. Il y prend conscience de l’importance du droit des affaires. Il est impressionné par la façon dont on y enseigne le droit, sans cesse en lien avec la stratégie entrepreneuriale, avec l’économie. « Les États-Unis étaient La Mecque de l’enseignement du droit. Si j’ai eu en France des professeurs formidables, il y avait un certain conservatisme dans l’enseignement du droit civil, qui ne pouvait d’ailleurs s’enseigner qu’en français », explique-t-il avant de concéder que « les choses ont, depuis, bien évolué ».

L’internationalisation galopante, le monde « à portée de main, à portée de vol », fait prendre conscience, en Europe, de l’importance stratégique du droit pour les entreprises, notion intégrée depuis longtemps outre-Atlantique. Le Vieux Continent, et en particulier la France, comprend que l’on peut utiliser le droit pour atteindre les objectifs commerciaux d’une entreprise. La transformation est synonyme, pour lui, d’une plus grande richesse dans l’exercice du droit au sein de l’entreprise. « Désormais, la direction juridique a un contact privilégié avec tous les responsables fonctionnels et opérationnels de la direction générale. Elle accompagne les instances dirigeantes et la gouvernance. Les juristes ne sont plus dans l’entre-soi, ils interagissent avec les clients, les opérationnels. » Cette ouverture des juristes d’entreprise, voilà qui fait que Denis Musson ne regrette pas de ne pas avoir exercé en libéral après ses études, tant le goût d’aller vers les autres le caractérise. « Je trouve qu’aujourd’hui, il y a une plus grande richesse dans l’exercice du métier du droit au sein de l’entreprise. » Pour son premier poste, il entre au sein de la direction juridique de Péchiney, alors animée par un ancien du cabinet Cleary Gottlieb, Jean Leygonie, qui fut son mentor. « Il avait une vision américaine de la pratique du droit dans l’entreprise et m’a bien formé, pour mon premier poste. Cette formation, qui existe dans les cabinets d’avocats d’affaires où l’on prend garde à bien ancrer les compétences juridiques, on ne sait pas encore l’offrir aussi bien en entreprise. » C’est pour cette raison que pour un juriste, une première expérience au sein d’un de ces cabinets reste un plus. Rejoindre ensuite une société permet d’avoir une exposition plus grande aux clients et permet de progresser plus vite car, dans ces cabinets, les voies de l’association sont de plus en plus étroites. « Si vous avez une appétence pour la vie et la conduite des affaires, n’hésitez pas », conseille Denis Musson aux jeunes juristes. À cet égard, il rappelle que le Cercle Montesquieu, qu’il a présidé de 2013 à 2016, organise désormais des sessions de formation communes avec l’EFB. « Il est nécessaire d’intégrer un volet pratique en entreprise à la formation des avocats, mais il faudrait un lien plus structurel entre les deux pratiques. » Denis Musson met également en avant le fait que l’École de droit de Sciences Po propose désormais, en partenariat avec le Cercle, une formation spécifique intitulée « Executive Master General Counsel ». Celle-ci est destinée aux praticiens du droit en entreprise plus avancés dans leur carrière, pour tout ce qui n’est pas abordé dans le cursus de formation professionnelle initiale. « Des avocats qui veulent mieux comprendre les pratiques et les besoins de leurs clients suivent également ces cours », note Denis Musson. Il estime plus généralement que les deux professions doivent coopérer encore davantage, et s’engager ensemble pour porter l’industrie juridique française et multiplier les lieux et les occasions de rencontres et de coconstruction. Après dix ans chez Péchiney, où il a vécu la privatisation, Denis Musson intègre  Imétal, devenu Imerys. «On m’a juste dit “Viens, fais-nous confiance, on va se marrer”. J’ai dit oui. Des hommes, des projets, c’est ce qui m’a toujours guidé, se souvient-il. J’ai été très gâté pendant ces 20 dernières années, par les hommes et les femmes, par les équipes et la mienne en particulier, par ce que nous avons pu construire ensemble et dont je suis fier. J’ai également pu m’enrichir, au sein du comité exécutif en tant que secrétaire du conseil, de l’expérience et des talents des membres successifs de la direction générale et de la gouvernance Groupe avec qui j’ai collaboré… et développé avec leurs différences mes facultés d’adaptation. » Denis Musson avoue son inclination pour le capitalisme familial, qui lui donne son visage humain. C’est ce qu’il a essayé d’insuffler chez Imérys, avec des équipes et une entreprise qui ont grandi avec lui. Des matières diverses ont peu à peu atterri dans son périmètre de responsabilités. « Lorsqu’un système de contrôle interne a été mis en place pour la première fois au sein de la société, il est rentré dans mes attributions pour en ressortir lorsqu’il était devenu mûr. Ce champ d’action, au-delà du juridique, a englobé la propriété industrielle, l’immobilier, et plus récemment, la RSE. » Stéphane Lefer, avocat et ancien secrétaire général du Cercle Montesquieu, est d’ailleurs admiratif de son parcours : « Il a su bien installer la direction juridique au sein d’Imerys. » Sa force ? Savoir s’entourer de gens autres que des juristes, et travailler régulièrement avec des ingénieurs ou des opérationnels. « C’est un homme de consensus et il le recherche dans chacune de ses actions », dit Maylis Bayvet, déléguée générale du Cercle Montesquieu. Et si son prédécesseur à la tête du Cercle, Yannick Chalmé, avait donné la première impulsion, c’est véritablement lui qui a donné une nouvelle dimension à l’association en l’ouvrant à d’autres horizons, en la promouvant dans son vaste réseau et en la rapprochant de l’AFJE avec laquelle ils se sont retrouvés sur des sujets communs. Son caractère convivial, sa capacité à fédérer ne sont sans doute pas étrangers à cet essor. L’homme n’est d’ailleurs pas avare de partage.

Lorsqu’on lui demande quel succès professionnel l’a marqué, il répond sans hésiter « Ce qui me rend le plus fier, c’est l’organisation de ma succession, en interne, lorsque j’ai transmis le flambeau à Frédérique Berthier-Raymond, mon adjointe, qui était mon avocate avant de rejoindre Imerys. Un vrai bonheur, en tant que manager, d’avoir pu lui transmettre les clés. » Celle-ci confie : « L’image en interne de Denis Musson, c’était celle d’un véritable business partner. Cette expression est un peu un cliché aujourd’hui. Il a une compréhension très fine des enjeux business et a une compréhension très fine des risques juridiques. Il allait voir les opérationnels, écoutait beaucoup. » En parallèle de ce travail au sein de l’entreprise, l’homme continue à s’intéresser plus largement, à l’évolution de la profession de juriste au sein de l’entreprise. « Il a donné beaucoup de son temps au Cercle Montesquieu et à l’associatif en général. Il cherche en permanence à se tenir au courant des évolutions.. Il n’a cessé, au cours de sa carrière, de penser la profession, de se demander jusqu’où il peut l’amener. » Frédérique Berthier-Raymond le concède, c’est grâce à lui qu’elle a décidé de raccrocher la robe. « Il a donné, dès le premier jour, de la profondeur à mes fonctions et a beaucoup partagé avec moi, m’impliquant dans toutes ses décisions », raconte-t-elle.

Infatigable

« Un bourreau de travail et un très grand professionnel. » C’est ainsi que le décrit Olivier Chaduteau, associé de Day One, qui l’a rencontré il y a dix ans et avec qui des liens d’amitié se sont créés. « Il ne se satisfait pas de peu et anticipe toujours le prochain coup à venir », observe-t-il. « C’est quelqu’un de très perfectionniste, qui traite les sujets à fond », ajoute Maylis Bayvet. Denis Musson ne veut pas, ne peut pas, ne sait pas s’arrêter. « Pas tant que j’aurai des choses à dire », lance-t-il.

Il conseille toujours Imerys sur le règlement d’un dossier concernant trois de ses filiales aux États-Unis. Parallèlement, il assistera l’une des familles actionnaires dans ses projets entrepreneuriaux. Enfin, il indique soutenir une legaltech, Softlaw, qui propose une solution de d’intelligence artificielle pour l’analyse des contrats et la gestion des biens immobiliers (baux) des entreprises. « Je crois beaucoup aux nouvelles technologies qui vont transformer l’industrie du droit. » Face à la révolution technologique, il estime qu’il faut favoriser les legaltechs françaises et qu’il y a également un enjeu de compétitivité dans cette démarche. « Les start-up manquent de fonds pour ces projets dans le domaine juridique et on constate une certaine frilosité des professionnels du droit lorsqu’il s’agit de faire confiance à ces nouvelles sociétés. »

Denis Musson s’intéresse aussi à la justice négociée dans le monde des affaires. Resté administrateur du Cercle Montesquieu, il souhaite se pencher sur le sujet en s’inspirant des travaux d’Antoine Garapon, de l’expérience de Frank Gentin et plus récemment du groupe de travail présidé par Pierre Servan-Schreiber au sein du Club des juristes sur la médiation en entreprise. « L’entreprise est un monde de compromis, estime-t-il et aujourd’hui, le contentieux judiciaire des affaires reste trop important, trop consommateur de temps, d’équipes et de ressources financières internes. » Denis Musson s’imagine d’ailleurs bien dans un costume de médiateur. « Les personnes qui ont exercé en entreprise ont la culture du compromis dont manquent un grand nombre d’avocats contentieux, en dehors de ceux qui ont une grande pratique de la négociation, comme Pierre Servan-Schreiber. » Olivier Chaduteau ne se dit pas étonné : « C’est quelqu’un qui aime beaucoup négocier, pas seulement pour faire valoir son point de vue, mais aussi pour laisser à l’autre la possibilité de le convaincre. » « Il sait créer des liens entre les gens et apaiser les tensions », observe Stéphane Lefer.

De l’influence du juriste d’entreprise

L’homme estime qu’il est important que les juristes gagnent en influence au sein de la gouvernance des entreprises dans les affaires publiques. « Il faut prendre exemple, dans ces domaines, sur les pays anglo-saxons, en évitant juste certains de leurs excès », estime-t-il, considérant qu’en France, l’écosystème des professions du droit perd de son influence à cause de sa trop grande fragmentation et que les juristes, avec l’influence croissante des sujets de conformité et de gestion des risques possèdent toutes les qualités requises et utiles pour être au board des entreprises. « Denis a beaucoup réfléchi à la transformation du marché du droit et a une vision du juridique, qui, au-delà de la simple sécurisation, est pour lui un outil de compétitivité », observe Olivier Chaduteau. L’un de ses plus grands combats reste d’ailleurs celui de l’instauration du legal privilege pour les juristes d’entreprise en France. « Je suis confiant, car le contexte international va l’imposer pour contenir l’effet extraterritorial de lois ou systèmes judiciaires étrangers, notamment des États-Unis. La confidentialité des avis juridiques est indispensable, plus efficace et plus facile à mettre en œuvre que les lois de blocage. Il est dommage de se priver de cet outil au détriment des entreprises, de la place de droit et des fonctions juridiques françaises et de leur compétitivité. Cela bénéficiera à tous, même aux avocats », juge-t-il. Il considère qu’un statut de juriste, inscrit au barreau, avec une garantie de protection de la confidentialité sous l’autorité de l’Ordre est la solution la plus adaptée « Ce n’est pas une question de revendication d’un quelconque titre, mais de protection et de promotion de l’économie du droit avec tous ses professionnels de France. » Il souhaite d’ailleurs que soit ouverte, à terme, pour tous, une formation initiale commune au sein de l’EFB qui intégrerait les deux pratiques : celle de juriste d’entreprise et celle d’avocat. « Lutter contre est un combat d’arrière-garde, il est invraisemblable que l’on en soit toujours là en France, mais je crois qu’on y arrivera », lance-t-il, plein d’espoir. Il le martèle : le juriste, comme l’avocat, est habité par l’éthique, valeur cardinale de la grande profession du droit.

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