Connexion

Clémence Fallet : la superwoman

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

À 40 ans, Clémence Fallet, qui exerce dans le département corporate de Bredin Prat où elle a effectué l’intégralité de sa carrière, est sans aucun doute l’une de stars montantes du barreau parisien. Personnalité discrète, l’associée a une réputation de travailleuse acharnée, technique et pragmatique. Sa meilleure carte de visite : le plébiscite de ses clients. Portrait.

À l’opposé de sa vie qui semble organisée, son bureau est un « joyeux bazar ». Des dossiers qui s’accumulent, des affaires de sport entassées dans un sac posé négligemment par terre… Un lieu de travail bien vivant, pourtant rangé dans la matinée, nous dit-elle. Le reste de la pièce est plutôt sobre. Aux côtés d’une double orchidée qui orne l’étagère centrale, trônent de multiples « tombstones » des dossiers les plus marquants sur lesquels Clémence Fallet a travaillé. Accrochée au mur, une photographie asiatique achetée en 2009, avec son premier bonus obtenu en tant que collaboratrice. Sur celui d’en face, deux autres qui représentent des montagnes en relief, en noir et blanc, acquises l’an dernier. Appréciant leur jeu de profondeur, Clémence Fallet souhaitait qu’elles soient reposantes et stimulantes à la fois. C’est un peu l’effet que fait l’associée de Bredin Prat. Elle est pétillante, enthousiaste, douce et rassurante.

Benjamine d’une famille de pharmaciens, Clémence Fallet grandit dans le 16e arrondissement de Paris, fréquentant les collège et lycée Jean-Baptiste Say, dont elle obtient un baccalauréat scientifique avec mention bien en 2000. Si les études de pharmacie auraient été évidentes pour celle se qualifiant « d’excellente élève et très scolaire » – son frère en a d’ailleurs pris la voie, avant de devenir pneumologue –, c’est finalement un autre monde qui s’ouvre à elle, lorsqu’elle intègre le lycée Stanislas pour effectuer deux années de classes préparatoires aux grandes écoles. Elle intègre HEC en 2002, où elle rencontre pendant ses années d’études son compagnon, fondateur d’une célèbre fintech, avec lequel elle a trois enfants.

Tournant un peu en rond lors de la première année d’école et peut-être un peu attirée par les matières juridiques grâce à son père, professeur de droit de la santé en parallèle de son activité de pharmacien, Clémence Fallet suit des cours du soir de droit, à l’université de Sceaux. Pendant son année de césure, elle effectue un stage chez White & Case, après avoir hésité à en faire un dans le domaine du marketing dans un grand laboratoire pharmaceutique. Elle travaille durant six mois essentiellement aux côtés de Franck de Vita, puis part à Londres pendant six mois, en stage de marketing chez Orange.

Diplômée d’HEC en 2006 et titulaire d’un DESS de droit des affaires de Paris-Sud qu’elle obtient la même année, Clémence Fallet réussit le barreau dans la foulée et, après avoir suivi les cours de l’Hedac de Versailles, effectue un stage chez Danone en PPI, qui était déjà l’un des clients historiques de Bredin Prat et avec lequel elle continue à régulièrement travailler aujourd’hui. Elle est notamment intervenue cette année, aux côtés de Benjamin Kanovitch, sur la mise en vente des actifs russes du groupe. « Dès que j’ai la moindre question stratégique, je contacte immédiatement Clémence Fallet, avec qui je travaille depuis de nombreuses années, car je ressens une véritable implication de sa part à la réussite d’un dossier et un grand attachement à ses clients, qui se sentent tous uniques pour ces raisons, déclare Aurélie Daligand, general counsel M&A and partnerships de Danone. Très réactive, elle aime participer à la stratégie de développement du groupe et fait preuve d’une finesse d’esprit déterminante sur les dossiers complexes et mouvants. Elle s’adapte également à ses interlocuteurs, étant capable de passer d’une analyse très détaillée pour les juristes à une échelle beaucoup plus stratégique avec le top management ». Benjamin Kanovitch, avec qui Clémence Fallet a aussi travaillé sur la renationalisation d’EDF cette année, indique quant à lui qu’« Au-delà d’un état d’esprit collectif, qui est apprécié par tous, et d’un réel intérêt pour sa matière, Clémence est l’une des rares personnes qui associe à la fois technicité et charisme. Elle intervient sur des dossiers qui nécessitent non seulement une parfaite connaissance des enjeux juridiques, mais aussi une réelle force de conviction ».

Bredin Prat, le début d’une grande histoire

Clémence Fallet découpe ensuite son stage final en deux. Elle rejoint d’abord Bredin Prat pendant trois mois, après avoir rencontré lors d’un forum HEC ses désormais coassociés, Emmanuel Masset et Yves Rutschmann. Ces derniers ne souhaitent recruter comme stagiaires que des étudiants d’HEC ayant un double cursus, soit trois personnes dans sa promotion, dont Guillaume Pellegrin, qui exerce aujourd’hui à ses côtés.

Installé à l’époque au 130 rue du Faubourg Saint-Honoré, le cabinet est composé d’une cinquantaine d’avocats. La jeune stagiaire travaille en direct avec les associés et s’entend immédiatement avec tout le monde. Elle travaille sur le rachat d’Europcar par Eurazeo pour 3 Mds€ en 2006, avec Sébastien Prat. Florence Haas, qui a presque la même séniorité, travaillait à ses côtés sur ce dossier. Celle qui est désormais l’une de ses meilleures amies et a investi le bureau jouxtant le sien se souvient : « Elle était déjà extrêmement engagée, ayant cet enthousiasme, cette énergie et ce charisme qui la caractérisent et font que les gens qui la croisent sur un dossier ne l’oublient pas, en plus du fait qu’elle puisse intervenir sur une palette de dossiers extrêmement large ».

Clémence Fallet rejoint ensuite Skadden pour la deuxième partie de son stage final, où elle travaille avec l’associé Pierre Servan-Schreiber pendant trois mois. Elle tisse des liens forts avec Arash Attar-Rezvani, qui est devenu associé là-bas depuis, Olivier Boulon, officiant désormais à l’AMF en tant qu’adjoint au directeur des affaires, ou encore Stéphane Elio, fondateur de Shadow. Elle prête serment en 2008. Ce stage où elle considère s’être beaucoup amusée, la conforte dans l’idée et l’envie de faire ce métier.

À la fin de sa formation, elle reçoit plusieurs offres de collaboration. « J’ai choisi de rejoindre la structure dont l’ADN me correspondait le plus. Durant mes expériences chez Bredin Prat, j’avais beaucoup apprécié la culture d’excellence, l’ambiance et la qualité de travail, ainsi que l’émulation intellectuelle liée au fait de travailler en direct avec les associés et j’avais la perception que les femmes étaient mises en avant », indique-t-elle. Elle prête serment en octobre 2008 et son premier dossier chez Bredin Prat, en tant que collaboratrice, est le rachat par l’italien De Agostini du producteur audiovisuel français Marathon. Clémence Fallet concentre sa pratique sur les opérations de fusions-acquisitions et conseille les entreprises cotées sur des problématiques de gouvernance. « J’attache beaucoup d’importance au fait d’intervenir sur des dossiers transverses et de ne pas me surspécialiser dans un domaine, mais il s’agit en réalité de la culture du cabinet », explique-t-elle.

La collaboratrice s’engage à 100 % dans son travail. La voyant un soir, au début de sa collaboration, présente dans les locaux du cabinet à 3 heures du matin, Patrick Dziewolski lui rappelle que ce métier n’était pas un sprint, mais un marathon et qu’elle doit se ménager. Un mantra qui la guide désormais : Clémence Fallet veille à préserver sa vie personnelle. Lorsqu’elle ne travaille pas, elle passe du temps en famille ou avec ses amis et assiste à des pièces de théâtre. Elle fait aussi du yoga et suit des cours de sport avec un coach, qui se déplace à la salle de sport du cabinet.

Clémence Fallet devient autonome très rapidement sur ses dossiers, travaillant au fil des années avec tous les associés du département corporate et des autres pratiques lorsque la nature du dossier le justifie. À ses débuts, elle intervient, avec Olivier Assant, auprès de Direct Energie lors de sa fusion avec Poweo, puis sur le rachat du groupe par TotalEnergies, mais également auprès de Sophie Cornette de Saint-Cyr et Patrick Dziewolski, pour Safran lors de son rachat de la SME. Elle représente également pendant trois ans l’État français avec Patrick Dziewolski et Olivier Billard, dans le cadre du plan de sauvetage de Dexia. Un dossier « intense, atypique, avec des enjeux hors normes et des interlocuteurs incroyables, où l’actualité dépasse le dossier ». Elle ajoute : « Lorsque vous devez piloter ce genre de situation particulière aux côtés d’un client, l’expérience devient assez exceptionnelle à vivre ». Il s’agit incontestablement de l’un des dossiers les plus marquants de sa carrière.

Les portes de l’association

L’association lui est proposée en janvier 2017. L’avocate a alors 33 ans. « La culture du cabinet, la flexibilité de son modèle et le fait que les décisions se prennent exclusivement à Paris a sûrement contribué au fait que j’accède à l’association probablement plus jeune que si j’avais exercé dans un cabinet anglo-saxon, estime Clémence Fallet. Derrière ce partnership, il y a évidemment un travail engagé, une part de chance, mais aussi une visibilité accrue, liée au fait d’avoir travaillé avec la plupart des associés du cabinet depuis mon arrivée chez Bredin Prat ». Clémence Fallet avoue pourtant avoir connu des doutes sur son avenir professionnel en tant qu’avocat, lorsqu’elle en a vu un bon nombre de confrères de sa génération raccrocher la robe. Mais elle s’est rapidement ressaisie. Elle dit aujourd’hui éprouver un grand plaisir à dédier du temps à la vie du cabinet, l’associée ayant en charge la gestion des stagiaires, et à développer sa clientèle. Elle travaille ainsi, depuis moins de deux ans, avec Altitude, sur des dossiers à forts enjeux pour le développement du groupe. Bastien Folliot-Villatte, directeur juridique groupe, déclare être « impressionné par la rigueur et la précision de Clémence Fallet, qui connaît chaque détail de ses dossiers sur le bout des doigts et fait preuve d’une grande disponibilité. Désormais, lorsqu’un sujet nécessite l’expérience et le regard d’un associé, elle est évidemment l’interlocutrice naturelle ». Il se souvient notamment d’un déplacement professionnel de l’associée sur la côte ouest des États-Unis, où celle-ci a continué à suivre le dossier avec efficacité malgré le décalage horaire.

La clé de son succès repose donc sur ses grandes qualités professionnelles. « Je suis disponible, réactive et j’essaie d’élargir ma compréhension d’un dossier à l’ensemble de ses enjeux, qui ne sont pas uniquement juridiques. S’intéresser à toutes les spécificités d’un deal fait, à mes yeux, partie de l’intérêt du métier et de ma position d’associée ». Un avis partagé par Alessandra Zingone, deputy general counsel M&A EMEA, legal & governance de Schneider Electric, qui a commencé à travailler avec Clémence Fallet en février 2018, sur un dossier dont elle a hérité lors de son arrivée au sein du groupe : un contentieux post-closing d’une cession qui les a occupées durant dix mois. « J’ai tout de suite été impressionnée par l’expertise technique de haut niveau, l’engagement, le pragmatisme et la rapidité d’esprit de Clémence Fallet. Sa formation lui donne une vision à 360 degrés, lui permettant de comprendre les enjeux business des clients, d’intégrer leurs contraintes internes et d’anticiper absolument tous les sujets, ce qui est d’une grande utilité en fusions-acquisitions et lui donne un avantage certain sur ses confrères », indique-t-elle, ajoutant que le modèle opérationnel de Bredin Prat, qui consiste justement à ce que les associés continuent à « mettre les mains dans le cambouis », leur permet d’avoir une grande proximité avec leurs clients.

Quelle est la prochaine étape pour l’associée ? « À titre personnel, c’est de continuer à éprouver toujours autant de plaisir en travaillant sur mes dossiers ; c’est essentiel pour la poursuite de ma carrière, déclare-t-elle. Pour le cabinet, mon ambition est de veiller à la transmission en permettant à des jeunes avocats d’accéder à l’association, de contribuer à la consolidation de son positionnement d’excellence et de l’aider à prendre le tournant stratégique du développement de l’intelligence artificielle ».

Bref Clémence Fallet est vraiment la superwoman de Bredin Prat. Mais l’on gardera tout de même en tête ce (petit) défaut : son bureau reste désordonné…