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Céline Haye-Kiousis fédère les juristes bancaires

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Aux côtés de Martial Houlle et de Jean-Philippe Gille, Céline Haye-Kiousis, présidente de l’Association nationale des juristes de Banque (ANJB) et directrice juridique de BPCE, a œuvré pour la reconnaissance de la fonction juridique au sein des entreprises et pour la confidentialité des avis juridiques, proposition récemment retoquée par le Conseil constitutionnel. Retour sur son parcours au sein d’un secteur qui appréhende la fonction juridique de façon singulière.

Originaire du sud de la France, Céline Haye-Kiousis a passé son enfance entre l’Hérault et Fontainebleau, entre une mère au foyer et un père cheminot. Dès l’enfance, sa curiosité la pousse à s’intéresser à un grand nombre de domaines différents. C’est sans hésitation que le moment venu de choisir ses études supérieures, elle se tourne vers le droit. « La matière offre la possibilité de comprendre le fonctionnement de tout », raconte-t-elle. Sa soif de connaissances la fait s’engouffrer dans son apprentissage, sans idées préconçues de ce vers quoi elle veut aller. Au cours de ses études, elle travaille dans l’édition juridique ou en cabinet d’avocats, mais se rend assez rapidement compte de son inclinaison pour le droit des affaires, davantage que pour l’économie et pour la fiscalité.

On lui propose l’embauche dans l’édition et en cabinet, mais finalement, c’est au cours d’un stage à la Société Générale qu’elle trouve sa voie, préférant le travail en équipe à la solitude du rédacteur ou de l’avocat. L’établissement devance même ses attentes et lui propose en 1997 un contrat de juriste. C’est donc comme juriste en droit bancaire et en droit des garanties qu’elle démarre sa carrière et fait ses premières armes à Paris, aux côtés de Gérard Gardella, qui remarque son goût pour les questions managériales. À l’époque, il vient d’être chargé de coordonner la fonction juridique au niveau mondial au sein de l’établissement financier. Il lui confie plusieurs missions pour l’aider à harmoniser les différentes politiques dans les pays où le groupe est présent. Elle sera ainsi amenée à travailler sur diverses normes juridiques à appliquer par les juristes SG au niveau mondial (politique de relations avec les avocats, élaboration de panels d’avocats agréés, normes de facturation des honoraires, politique de recours à certains types de garanties…), mais aussi sur le lobbying au niveau européen. « J’ai remarqué son dynamisme et sa pertinence, son esprit d’initiative, ainsi que son goût prononcé pour œuvrer à la cohésion des groupes », explique-t-il.

En l’an 2000, elle devient responsable de la fonction juridique dans le groupe, au niveau mondial ; puis Gérard Gardella détecte son aspiration à partir à l’étranger et lui propose de mettre le cap sur la Grèce, comme adjointe du directeur juridique de Geniki Bank, à la faveur du rachat par le groupe de cette banque commerciale grecque. Elle y reste quatre ans, avec sa famille - son époux est d’ailleurs grec. L’occasion pour elle de s’inscrire au barreau d’Athènes en tant que dikigoros. La juriste dit avoir apprécié exercer à l’étranger. Après la Grèce où elle exerce aussi les fonctions de directrice de la conformité, direction Londres pour travailler sur les marchés financiers, où elle exerce ces responsabilités pour le secteur Europe centrale, Moyen Orient et Afrique. « J’ai pratiqué différents métiers, j’ai acquis différentes expertises », dit-elle. De retour à Paris, elle a en charge la filière juridique de la banque d’investissement et de financement de la zone CEMEA, à laquelle s’ajoute celle de l’ensemble des banques hors de France et celle des services financiers du groupe Société Générale. Gérard Gardella pense d’ailleurs que c’est à l’occasion de son séjour londonien qu’elle s’est rendu compte, de manière concrète, de la difficulté d’exercer pour les juristes d’entreprise français dès lors qu’ils n’ont pas le statut d’avocat. « Une expérience qui a dû la marquer », selon lui. 

En 2016, elle choisit de quitter le groupe pour rejoindre BPCE. « Je suis un produit bancaire », sourit-elle, affirmant s’épanouir dans les différents métiers du secteur. C’est à cette époque qu’elle s’engage dans la défense collective des intérêts de la profession. « J’avais envie de rendre ce qui m’avait été donné et j’ai saisi l’opportunité de représenter mes confrères », lance-t-elle avec sérieux.

L’engagement collectif pour
les générations futures

À l’époque, l’ANJB, qui était représentée par le même président depuis une dizaine d’années, avait la volonté d’évoluer. Céline Haye-Kiousis ne laisse pas passer sa chance et y est élue en 2020. Avec l’aide de son conseil d’administration, elle opère la mue de l’association fondée il y a plus de 50 ans. « J’ai notamment voulu développer la partie formation et mentoring et mobiliser l’association en direction des jeunes », raconte-t-elle. Si l’ANJB était alors surtout tournée vers le partage scientifique, la présidente voit également une opportunité de valoriser la fonction juridique dans le secteur bancaire avec la confidentialité des avis.

Car, même si les juristes du secteur bancaire ont plusieurs longueurs d’avance en matière de conformité – l’épisode Kerviel ayant laissé des traces dans les esprits et conduit à une vigilance renforcée dans les établissements financiers – il ne faut pas croire que pour autant, la filière juridique y est reconnue à sa juste valeur. « Le problème, c’est que le secteur de la banque s’est organisé en divisant les fonctions de contrôle et de conseil, sous la pression américaine, pour éviter les conflits d’intérêts », indique la présidente. Un handicap pour les juristes, souvent mis en opposition dans des contextes tendus. Toutefois, les juristes de banque ont un atout non négligeable : ils ont l’habitude de faire face à un grand volume de réglementations qui comportent beaucoup de droit mou. « Ce droit mou, nous le voyons désormais progresser dans tous les secteurs et nous pouvons aider nos collègues des autres matières à l’appréhender », poursuit-elle.

Connaître l’opérationnel

« Au sein du groupe BPCE, il y a une direction juridique pour chaque entité, mais nous travaillons en commun », explique la directrice juridique. Céline Haye-Kiousis, qui croit aux vertus du partage, a réussi à fédérer les juristes du groupe vers la recherche de solutions à haute valeur ajoutée, reconnues par le métier. « Depuis longtemps, notre travail collectif est tourné vers l’opérationnel, afin d’y apporter notre expertise, dans un souci d’efficacité. Nous essayons de mutualiser, pour ne pas refaire et donner confiance aux experts, sur le terrain ». Céline Haye-Kiousis se dit très attentive à la création de ressources supplémentaires. « Chez BPCE, la filière juridique compte 700 personnes. Nos différents métiers ont forcément des points de convergence », note-t-elle. Les juristes peuvent échanger et partager au sein de cercles qui leur permettent de se former et leur ouvrent l’esprit. « Chaque mois, nous organisons une session de culture juridique, ouverte à tous, y compris aux non-juristes, sur différents sujets », explique la directrice juridique. Céline Haye-Kiousis estime que chacun doit pouvoir s’assurer et se rassurer sur son expertise d’une part et doit, d’autre part, avoir à sa disposition les ressources pour s’ouvrir à d’autres pans du droit. « Les enjeux de transformation sont très importants », pense-t-elle.

Aux jeunes, elle donne sans hésiter le conseil de se lancer dans la carrière de juriste de banque. « C’est un métier formidable, on y acquiert la capacité de traiter différents domaines du droit et d’évoluer vers des métiers non juridiques ». Désormais très tournés vers les enjeux sociétaux, les métiers de la banque répondent sans doute au besoin de sens de la jeunesse, a fortiori dans le secteur des banques coopératives. « Notre métier est d’être ouverts, à l’écoute de nos interlocuteurs internes et des acteurs de tous les secteurs », vante-t-elle.

L’ouverture, voilà le maître-mot. Dans un secteur où la mondialisation d’hier est devenue une régionalisation, impossible de savoir de quoi demain sera fait et ce qui fonctionnera dans 20 ans. « Un bon juriste n’est pas quelqu’un qui ne fait que du droit » estime-t-elle. Et paradoxalement, il faut à la fois être capable de simplifier les choses et dans le même temps, se familiariser avec l’usage des nouvelles technologies émergentes : le promptage – qui consiste à savoir comment effectuer des requêtes à l’IA –, l’IA générative, etc. Céline Haye-Kiousis est convaincue des vertus de l’émulation, du partage et de l’échange par rapport à ces nouveaux outils aussi. « Il faut éduquer en interne ses collaborateurs, insiste-t-elle, explorer avec ses équipes ce qui peut être apporté à la machine ».

Elle estime que dans 10 ans, la fonction de juriste dans le secteur bancaire sera encore plus intéressante. « Nous aurons, je l’espère, la confidentialité des avis, ainsi que d’autres outils, et nous pourrons nous concentrer sur des tâches à haute valeur ajoutée ». Elle en est convaincue, la machine sera intégrée naturellement aux équipes, dont elle sera un membre à part entière, déchargeant les collaborateurs des tâches fastidieuses et répétitives.

L’union sacrée

C’est cette culture du partage à laquelle elle croit profondément qui l’a poussée à monter au front aux côtés de juristes d’autres secteurs. « Nous avons formé une équipe soudée de quatre, avec Jean-Philippe Gille, Martial Houlle et Raphaël Gauvain, à l’instar des Trois mousquetaires ! », explique-t-elle avec entrain. Au cours de ces derniers mois, ils se voyaient très souvent et s’appelaient presque quotidiennement. Jean-Philippe Gille, qui a fait sa connaissance lors du Grenelle du droit qui s’est tenu en 2023, ne tarit pas d’éloges sur elle. « Céline Haye-Kiousis a tout de suite accepté de relever le défi du combat pour la confidentialité des avis. Faire confiance pour aller de l’avant, sans craindre d’affronter des aléas, ce sont là des marques de leadership », assure-t-il, estimant qu’elle allie « un sens aigu de la relation humaine et de la diplomatie et une grande capacité d’écoute ainsi qu’une position toujours constructive ».

« C’est une belle histoire, nous avons créé des liens forts » dit Céline Haye Kiousis. Et ces échanges ne vont pas s’arrêter. D’abord, le travail sur la confidentialité des avis doit être poursuivi, après la décision du Conseil constitutionnel, et parachevé. Mais d’autres développements vont nécessiter de continuer à collaborer. « La blockchain, par exemple » lance-t-elle, persuadée que la matière juridique va de plus en plus se standardiser. « Nous allons travailler beaucoup plus ensemble que par le passé », ajoute-t-elle. D’autres secteurs d’activité, très proches, pourraient exercer en collaboration encore plus étroite. Mais, en attendant l’émergence d’une association de juristes transversale, pour laquelle les associations de chaque secteur ne semblent pas encore prêtes, c’est pour le moment une réflexion globale autour d’outils partagés, comme une veille commune, ou la collaboration autour du code de déontologie, pour l’adoption duquel elle s’est beaucoup investie, qui semblent prévus. Selon Jean-Philippe Gille, « elle a ouvert la voie de l’unité. D’autres associations de juristes envisagent de suivre le chemin qu’elle a tracé avec l’ANJB ». « L’important, c’est de rendre service aux juristes de France », conclut Céline Haye-Kiousis, avec toute la générosité qui semble la caractériser.