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Cabinet Bompoint, singulier par essence

Par Olivia Dufour
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°54 - mai 2018
Reportage photo Mark DAVIES

Créé en 2013 par Dominique Bompoint le cabinet éponyme a beau ne compter que deux associés et trois collaborateurs, il est une référence du M&A coté. Rencontre avec un acteur aussi singulier que réputé du droit des sociétés.

Partir à la découverte du cabinet Bompoint, c’est avant tout chercher à résoudre un mystère : comment est-il possible d’intervenir dans certaines des belles opérations de M&A coté quand on exerce dans une toute petite boutique, sans marque internationale, sans équipes pléthoriques et sans réseau mondial ? À première vue, cela suppose quand même de cocher quelques cases du cabinet d’affaires conventionnel. Ainsi, l’adresse avenue Victor Hugo est un classique du genre. De même que l’immense appartement en étage élevé dans un immeuble ancien cossu, la vue sur l’Arc de Triomphe et la Tour Eiffel, la salle de réunion claire et design, les vastes bureaux individuels… Mais il ne faut pas s’y tromper, ici le conventionnel habille une vraie singularité qui s’exprime dans les détails. À commencer par la moquette violette qui claque dans le soleil printanier.

Dominique Bompoint, la cinquantaine énergique et chaleureuse, ouvre la porte de son bureau : pour tout mobilier, une table de réunion, une chaise longue signée Le Corbusier mais surtout un étrange pupitre haut sur pied appuyé contre un mur sur lequel sont posés deux écrans fixes et un portable. Il a rapporté ce bureau des États-Unis, car Dominique Bompoint a une originalité, (parmi d’autres), il aime travailler debout ! Ni piles de dossiers, ni bibelots, ni trophées, pas même une photo sur un mur. C’est design, fonctionnel, efficace. À quelques mètres de là, le bureau d’Éric Laut, lui aussi surélevé, a des allures de table d’architecte. Dans ce cabinet, on aime visiblement prendre de la hauteur. Trois dessins d’enfant accrochés discrètement sur le mur signalent le père de famille. Silhouette longiligne et allure sage, le jeune associé de Dominique Bompoint est aussi réservé que son aîné est extraverti. Quatre autres personnes partagent avec eux les 300 m2 du cabinet, dont trois collaborateurs formés sur le même profil : Louis-François Guéret, avocat depuis 2009, diplômé d’ESCP-EAP, Marie-Sarah Dib qui a prêté serment en 2015, diplômée de l’ESSEC et titulaire d’un LLM de l’université de Dundee et Vincent Ramonéda, diplômé d’ESCP-Europe et avocat depuis 2016. Et puis il y a Eun Sol Koh. Elle était la secrétaire de Dominique Bompoint chez Sullivan & Cromwell, elle est devenue le pilier du cabinet, c’est elle qui se charge de toutes les tâches administratives et de gestion. « Il n’y a pas de limites à ses compétences, elle fait tout » confie Dominique Bompoint, admiratif. Telle est donc l’équipe Bompoint au complet.

Une envie d’Amérique

L’histoire de cette étonnante boutique de luxe, a commencé par s’écrire au singulier. Ces vingt dernières années en effet, Bompoint est devenu un nom reconnu dans le domaine du M&A coté bien avant de devenir un cabinet. Rien ne l’y disposait particulièrement car chez les Bompoint en principe, on est notaire de père en fils. « D’abord mon père était trop jeune pour que je prenne sa succession, ensuite je ne me voyais pas notaire dans mon petit village des Landes. Un voyage en Louisiane à 17 ans m’avait donné des envies d’Amérique. Plus tard, c’est un article sur les batailles boursières américaines qui m’a convaincu que ma voie était là » confie-t-il. Pour réaliser son rêve, il mène de front une école de commerce, une formation d’expertise comptable et un DEA de droit privé à Bordeaux. « J’ai tout de suite été ébloui par la qualité de l’enseignement universitaire. Découvrir tout ce que pouvait contenir d’évolutions sociales la norme de droit m’a passionné » confie ce fin juriste qui ne conçoit pas que l’on puisse, par le jeu des équivalences, se dispenser de l’enseignement fondamental du droit des obligations. Alors qu’il s’apprête à compléter sa formation aux États-Unis en vue de s’y installer pour exercer, le destin en décide autrement. Son professeur Paul Le Cannu a l’habitude de signaler ses meilleurs étudiants au cabinet Gide. C’est Didier Martin, aujourd’hui associé chez Bredin Prat, qui l’a embauché en février 1990, et immédiatement l’a mis sur le dossier qui opposait Bernard Arnault, fraîchement entré dans le capital de LVMH à son fondateur Henry Racamier. Gide défendait Racamier tandis que Bredin conseillait Bernard Arnault. « J’étais en contact avec Roger Perrot, François Terré et Jean Foyer qui étaient consultants sur le dossier, c’était un départ dans le métier fabuleux. Didier Martin qui déléguait beaucoup m’envoyait dans des réunions pilotées par Edith Cresson auxquelles assistaient des dirigeants de groupes et des avocats seniors, se souvient-il. J’ai oublié l’Amérique, quelle meilleure formation pouvais-je rêver que celle-là ? ». Un an plus tard Didier Martin part chez Bredin et l’invite à le suivre. Banco !

Le droit boursier vient de naître en France avec la loi de 1989, Dominique Bompoint s’y plonge avec délectation sous l’influence galvanisante de ses aînés, et notamment de Jean-François Prat, dont l’esprit de synthèse va devenir son modèle. Dix ans plus tard sonne l’heure du bilan. Le cabinet est prestigieux, les dossiers passionnants mais ce ne sont pas les siens. Il est l’heure de changer.

Après un passage chez Clifford Chance, il rejoint Sullivan & Cromwell fin 2004. C’est là qu’il rencontre Éric Laut. Celui-ci a suivi un chemin similaire à son aîné : magistère de droit des affaires à Paris 2, ESSEC et un diplôme d’expertise comptable. Embauché comme collaborateur en 2004 chez Sullivan & Cromwell, il rêve aussi d’Amérique et décroche son LLM à Harvard en 2006. « Ce fut une année fantastique, raconte-t-il, il y avait tant de conférences passionnantes à suivre qu’on ne savait plus où donner de la tête. Un enrichissement professionnel et personnel exceptionnel ». De retour à Paris, il traite quelques belles opérations avec Dominique Bompoint. Tous deux conservent un souvenir ému de cette période. « Il y a eu la prise de pouvoir de Vincent Bolloré dans Havas (NDLR : Vincent Bolloré est un client historique du cabinet Bompoint), l’introduction en Bourse d’EDF et de Suez environnement » se souvient Éric Laut. Seulement voilà, il lui manque quelque chose. « Je me suis découvert une passion pour le contentieux. Monter une opération et devoir passer la main à un autre cabinet pour la défendre quand elle est attaquée m’est apparu terriblement frustrant », confie-t-il. Il décide alors de rejoindre Cleary Gottlieb en 2008 pour travailler avec l’un des noms les plus réputés de la place en contentieux, Jean-Yves Garaud.

Dominique Bompoint quant à lui poursuit sa route chez Sullivan & Cromwell. Lorsqu’en 2013 lui vient une idée, et s’il créait son propre cabinet ? Il reçoit beaucoup d’encouragements mais un client historique le met en garde « Vous n’avez pas de réseau international et maintenant tout se passe à ce niveau-là, vous n’aurez jamais les plus beaux deals, se souvient Dominique Bompoint. Je lui ai expliqué que c’était au moins aussi bien de choisir soi-même un avocat étranger, qu’on était son client, qu’on le prenait uniquement sur sa compétence et non en considération des intérêts du cabinet. Il m’a répondu, visiblement convaincu : OK, alors foncez ! ». C’est ainsi qu’il fait le pari fou de partir pratiquer le M&A coté seul avec 3 collaborateurs quand les poids lourds du marché brandissent leur capacité à mobiliser des équipes pluridisciplinaires de plusieurs dizaines de spécialistes dans le monde entier. Dominique Bompoint emmène avec lui Charles de Reals (aujourd’hui chez Gide), Louis-François Guéret qui était sur le point d’intégrer Sullivan & Cromwell, et appelle Éric Laut chez Cleary. « Je venais d’avoir mon deuxième enfant et d’acheter une maison, j’ai réfléchi à peine quelques minutes pendant qu’il me parlait, et à la fin de la conversation, ma décision était quasiment prise » se souvient celui-ci. En réalité, si le risque est réel, il est tout de même calculé. « C’est quelque chose qu’on peut faire quand on est vieux, explique-t-il. J’avais 47 ans ». « Attention, 47 ans chez lui, c’est pas comme chez d’autres, il était associé chez Bredin à 29 ans » précise Éric Laut. Dominique Bompoint poursuit, impassible « j’ai tellement vu de jeunes collaborateurs faire des exposés impeccables tenant parfaitement la route. Mais à la fin, l’ancien associé se racle la gorge et lâche : je n’y crois pas à votre schéma. Et le client suit. Parce qu’il a le même âge ».

« Notre satisfaction, c’est d’être utile »

L’année 2013 démarre doucement, quand soudain la bataille Vivendi Lagardère pour la participation dans Canal Plus insuffle sa première dose d’adrénaline au tout jeune cabinet. Fin 2013, l’Agence des participations de l’État (APE) fait appel à eux pour sauver Peugeot. Les voici sollicités ensuite par Vivendi qui souhaite à l’époque se défaire de SFR et qui sera finalement cédé à Numéricable. Au printemps 2014, l’activité explose littéralement : c’est la vente de l’activité énergie d’Alstom à l’américain GE, puis la cession par Vivendi de l’opérateur brésilien GVT à Telefonica et l’OPE de Bolloré sur Havas. Le cabinet n’a même pas un an et le voilà sollicité sur les plus belles opérations. « Ce qui peut faire mourir un deal, c’est la fuite. C’est pourquoi les entreprises avancent sur le projet le plus loin possible avec leurs compétences en interne et n’appellent les avocats qu’au dernier moment, pour l’exécution. Il nous arrive alors de penser que si on était intervenues plus tôt, on aurait proposé quelque chose de différent et de mieux adapté » analyse Dominique Bompoint. Et voici qu’apparaît la clef du mystère Bompoint. « Le rapport avec une structure comme la nôtre est différent, les clients n’ont pas l’impression de saisir officiellement un cabinet d’avocat pour mettre en œuvre l’opération, mais d’appeler un conseil, ils le font donc beaucoup plus en amont. C’est là que se situe notre atout, d’autant plus net que l’opération est complexe et sensible » confie l’avocat. Bien sûr, il y a des choses qu’ils ne peuvent pas faire, mais les clients le savent. Dans ces cas-là, ils travaillent aux côtés d’un autre cabinet. Mais il y a aussi des opérations qu’ils mènent seuls de A à Z, par exemple l’OPA hostile de Vivendi sur Gameloft ou encore le retrait obligatoire conduit par Altice des actionnaires minoritaires de SFR. En 2015, Éric Laut devient associé. Le cabinet a choisi la forme juridique de la AARPI (Association d’avocat à responsabilité professionnelle individuelle). « Cela signifie qu’on est en risque maximal, sans être protégés par une marque, ce qui nous rend extrêmement exigeants, je n’ai jamais eu le sentiment de travailler aussi bien », confie Dominique Bompoint. Le cabinet est réputé pour son expertise en M&A coté, mais en réalité il traite plus généralement de l’ensemble du droit des sociétés, depuis le conflit entre actionnaires, jusqu’à la faute de gestion en passant par la gouvernance, pour une clientèle de grands groupes et d’entrepreneurs. « Quand un dossier présente un aspect particulièrement compliqué, on peut penser à nous, précise Dominique Bompoint, on est disponibles, réactifs, et on ne compte pas notre temps, la facturation à l’heure ce n’est pas pour nous ». Avec toujours cette double compétence conseil et contentieux à laquelle ils sont particulièrement attachés. « Notre satisfaction c’est d’être utile, de sentir qu’on sert nos clients pour eux-mêmes et que les membres de notre équipe s’épanouissent au sein du cabinet, c’est ça qui nous rend heureux » explique-t-il, inspiré. La taille des locaux du cabinet donne à penser qu’il peut grandir… « Recruter des collaborateurs si le volume de travail l’impose, c’est possible, mais pas des équipes, on est très bien comme ça », répondent les deux associés en chœur. Atypiques, fiers de l’être et décidés à le rester.

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