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Bredin Prat, la perfection comme horizon

Par Laurence Garnerie
Cet article a été publié dans LJA - Le Magazine n° 43, juill./août 2016

Fleuron français du droit des affaires, Bredin Prat a célébré ses 50 ans en avril dernier. L’occasion de revenir sur l’histoire de ce cabinet, marquée par des personnalités hors normes.

Il est le symbole de la réussite à la française. L’alliance des talents – littéraires, politiques, techniques – qui fait pâlir d’envie les cabinets d’affaires indépendants à la recherche de pérennité et inspire les avocats qui rêvent de poser leur plaque. Depuis un demi-siècle, Bredin Prat domine le marché parisien des fusions-acquisitions et des opérations boursières, avec son rival de toujours Darrois Villey Maillot Brochier. Pourtant, le cabinet, aujourd’hui composé de 160 avocats dont 43 associés, ne saurait se résumer à cette seule pratique. Car c’est d’abord sur l’image de l’avocat plaidant que la structure a débuté, avant de s’envoler vers le modèle multiservices qui est aujourd’hui le sien.

Robert Saint-Esteben. ©Yann Deret

Contentieux et arbitrage
C’est en 1966 que Jean-Denis Bredin et Robert Badinter fondent le cabinet, avec trois collaborateurs : Tony Dreyfus, Bernard Jouanneau et François Chéron. À l’époque, à part Gide et Jeantet, rares sont les structures d’associés en France. La personnalité exceptionnelle des deux fondateurs – agrégés des facultés de droit, engagés politiquement à gauche, et devenus par la suite des figures de l’Académie française pour l’un et de la lutte contre la peine de mort pour l’autre – marque à jamais le cabinet de son empreinte.

Dans ses premières années d’existence, le cabinet exerce principalement en arbitrage et contentieux. Le droit des sociétés y fait son entrée lorsque Jean-François Prat le rejoint en 1969. Quatre ans plus tard, c’est Robert Saint-Esteben qui en franchit les portes, d’abord comme collaborateur, puis comme associé dès 1979, et y développe le droit de la concurrence. Le cabinet est alors composé seulement d’une douzaine d’avocats. « C’était une structure modeste quantitativement mais avec un objectif qualitatif ambitieux qui se voulait proche de la perfection, se souvient Robert Saint-Esteben. Nous avons toujours été très sélectifs, notamment dans le choix des affaires et les clients ont compris dès le départ que nous ne traiterions pas tous leurs dossiers. » Une stratégie qui paye puisque le cabinet occupe alors le terrain des grands contentieux – affaires Faulques, Patrick Henry ou du baron Empain, successions Picasso et Chagall…– et des grands arbitrages – aux côtés de l’Égypte dans l’affaire du plateau des pyramides –, avec notamment Emmanuel Gaillard qui exercera au sein du cabinet de 1984 à 1987.

Didier Martin. ©Yann_Deret

Fleuron du droit des affaires
Entretemps, Robert Badinter est nommé garde des Sceaux en 1981, laissant derrière lui la structure qu’il a cofondée. Laquelle entame alors sa mue pour devenir un fleuron du droit des affaires. « Nous avons donné une deuxième vie au cabinet, qui a suivi l’évolution du marché des services juridiques et du monde économique » , explique Robert Saint-Esteben. Proche de la banque Lazard, mais aussi de Bernard Arnaud et de Lagardère, Jean-François Prat place la structure au cœur de la construction du droit boursier et des fusions-acquisitions. D’autant que la loi du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs, qui donne le coup d’envoi du CAC 40, lui offre le terrain de jeu nécessaire pour exprimer son talent en la matière. Pendant vingt ans, il participe à toutes les grandes opérations boursières françaises des années 1980 à 2010 : BNP-Société Générale-Paribas, Elf-Total, Sanofi-Aventis, Pechiney-Alcan... « Jean-François Prat a complètement transformé le cabinet » , reconnaît Didier Martin, aujourd’hui senior partner de Bredin Prat.

L’alliance contentieux/conseil reste l’une des marques de fabrique du cabinet, les collaborateurs étant incités, aujourd’hui encore, à pratiquer les deux. « Pour les collaborateurs en M&A, faire à la fois du conseil et du contentieux est plus difficile qu’auparavant, mais certains y parviennent encore, précise Sophie Cornette de Saint Cyr, associée supervisant le recrutement des avocats du cabinet. En revanche, pour les équipes en social, fiscal ou concurrence, cette double activité fait partie de leur quotidien. » « Cette double culture, qui n’est pas si courante dans les cabinets d’affaires, véhicule l’image d’un cabinet couvrant toutes les facettes de la profession » , ajoute Sébastien Prat.

Sébastien Prat. ©E.Scorcelletti

Un développement certain
Même s’il caracole en tête des classements, le cabinet conserve une taille modeste pendant longtemps. Lorsque Didier Martin le rejoint en 1991 en provenance de Gide, il compte moins de dix associés, dont Jean-Pierre Grandjean – qui le quittera en 2002 pour rejoindre Clifford Chance – et Sylvie Morabia. Les années 1990 marquent une première étape dans la croissance de ses effectifs. D’abord, grâce à l’intégration de deux associés américains, Richard Schepard et Elena Baxter, deux anciens de Coudert Frères devenus correspondants du cabinet Skadden Arps, qui cherche à l’époque à poser un pied à Paris. Dans le cadre d’un accord avec l’Américain, Bredin Prat leur ouvre ses locaux, situés au 130, rue du Faubourg-Saint-Honoré dans le VIIIe arrondissement. Ils deviendront finalement associés de la structure hexagonale. « C’était la première fois qu’un cabinet français accueillait des associés américains » , se souvient Didier Martin.

Cette décennie est également marquée par les associations de Louis Christophe Delanoy en arbitrage, Philippe Beurier et Dominique Bompoint (qui partira en 2001 pour Clifford) en corporate et Éric Dezeuze en contentieux, ainsi que par l’ouverture d’un bureau secondaire à Bruxelles, dirigée par Chantal Momège. « On ne voulait pas d’une maison-mère à Paris et d’une succursale à Bruxelles, précise Robert Saint-Esteben. Le but était que les équipes travaillent en osmose à Paris et à Bruxelles, ce qui est resté le cas depuis. » Le développement de l’équipe concurrence accompagne celui des condamnations des régulateurs : en 2000, neuf banques sont condamnées par le Conseil de la concurrence pour entente dans les crédits à l’habitat à verser la première amende record totale de 1 milliard de francs.

Pratiques ex nihilo
Au début du siècle, le cabinet franchit un nouveau cap et recrute des équipes entières, destinées à créer des pratiques ex nihilo ou à renforcer des compétences. En provenance de Stibbe, Hugues Calvet entame la danse en 2001 en venant consolider le département concurrence, accompagné de deux collaborateurs : Olivier Billard, qui deviendra associé en 2007, et Caroline Bonin, aujourd’hui directrice juridique de la Sacem. La même année, Sébastien Prat, jusqu’alors associé chez Jeantet, rejoint le cabinet fondé par son père. Un an plus tard, le cabinet se dote d’une équipe fiscale en recrutant celle avec laquelle il travaillait depuis des années chez CMS Bureau Francis Lefebvre, composée de trois associés, Renaud Streichenberger, Édouard Sicot et Yves Rutschmann, et de trois collaborateurs, dont Sébastien de Monès et Pierre-Henri Durand, qui seront respectivement cooptés associés en 2006 et 2007. En 2003, Marc Pittie, ancien conseiller référendaire auprès du tribunal de première instance à Luxembourg et collaborateur chez Allen & Overy, rejoint l’équipe concurrence pour prendre le relais de Chantal Momège, en partance pour Ashurst, à la tête du bureau de Bruxelles.


En décembre 2005, nouvel électrochoc pour le marché parisien : Bredin Prat reprend le bureau parisien de son best friend britannique Slaughter & May,



En décembre 2005, nouvel électrochoc pour le marché parisien : Bredin Prat reprend le bureau parisien de son best friend britannique Slaughter & May, et accueille Alexander Blackburn et Brigitte Leclerc en qualité d’associés au sein de l’équipe corporate. Deux ans plus tard, le cabinet s’équipe d’une expertise en droit du financement en recrutant Raphaële Courtier, accompagnée de Karine Sultan qui accédera à l’association en 2012.

Le cabinet est alors prêt à saisir toutes les nouvelles opportunités qui s’offrent à lui. Lesquelles prennent tout d’abord la forme d’une équipe intégrée en droit social, grâce à l’arrivée de Pascale Lagesse et de ses quatre collaborateurs. En 2011, cap sur le droit public avec l’arrivée en tant que counsel de Yann Aguila, membre du Conseil d’État, qui sera nommé associé en 2014. Enfin, en 2013, c’est Olivier Puech qui quitte Gide pour rejoindre l’équipe spécialisée dans le traitement des entreprises en difficulté de Nicolas Laurent, devenu associé en 2006, et qui réunit alors toutes les composantes de la pratique : judiciaires, transactionnelles et financières.

« Le cabinet est plus structuré qu’il y a dix ans mais il y a une logique de continuité », commente Didier Martin. Une continuité qui a d’ailleurs été assurée après le décès de Jean-François Prat en 2011. « Cela a été un choc, se souvient Robert Saint-Esteben. Mais le cabinet était établi sur des structures et des bases tellement solides que sa pérennité était assurée. Jean-François avait eu à cœur de transmettre sa clientèle aux plus jeunes. Que la structure lui survive était ce qu’il voulait. »

Sophie Cornette de Saint Cyr. ©Yann_Deret

Promotion interne
Ce souhait de pérennité, Bredin Prat le traduit notamment dans l’importance qu’il accorde à la promotion interne. Et ce, même si le délai d’accès à l’association s’est allongé (après 8 à 10 ans de collaboration aujourd’hui) et si le statut intermédiaire de counsel (14 actuellement) a fait son apparition. Depuis 2000, le cabinet a ainsi coopté Olivier Assant, Emmanuel Masset, Patrick Dziewolski, Benjamin Kanovitch, Olivier Saba – à la tête de l’équipe marchés de capitaux –, Sophie Cornette de Saint Cyr, Barthélémy Courteault, Matthieu Pouchepadass, Kate Romain et Florence Haas en corporate, constituant la plus grosses équipe de la place avec 60 avocats dont 18 associés. Parallèlement, ont aussi été nommés associés ces dernières années : Florian Bouaziz, Jean-Daniel Bretzner en contentieux, Marie-Cécile Rameau en droit de la concurrence, Julien Gayral en fiscal ou encore Samuel Pariente en droit du financement. Des promotions qui ne sont pas exclusivement françaises puisque le cabinet a accueilli plusieurs associés étrangers au sein de son équipe arbitrage ces dernières années : le Britannique Tim Portwood, l’Équatorien José Marie Perez ou encore le Canadien Raëd Fathallah.

Internationalisation
Ces profils confirment le positionnement de plus en plus international de la structure. D’ailleurs, un quart des avocats du cabinet ont une double nationalité. « Aujourd’hui, le cabinet réalise les deux tiers de son chiffre d’affaires à l’international, constate Didier Martin. Cela revêt toutes les formes : soit nous accompagnons nos clients à l’étranger, soit nous travaillons sur des opérations de clients étrangers qui viennent en France, soit nous avons des affaires qui n’ont aucun lien avec la France. Nous sommes très fiers de ce résultat et nous voulons continuer à nous développer dans cette direction. » Et ce, grâce notamment à la constitution il y a une quinzaine d’années d’un réseau de best friends européens composé de Bonelli Erede en Italie, De Brauw Blackstone Westbroek aux Pays-Bas, Hengeler Mueller en Allemagne, Slaughter and May au Royaume-Uni, et Uría Menéndez en Espagne et au Portugal. Soit un total de 32 bureaux – dont certains partagés à Bruxelles, Pékin et Shanghai – répartis dans une quinzaine de pays. Au-delà, le cabinet dispose d’un cercle d’une centaine de partenaires locaux, dont Bennani au Maroc ou Cravath, Swaine & Moore aux États-Unis. Pas d’exclusivité pour autant : le client est roi dans le choix de ses conseils. « Sur le M&A à l’étranger, l’avantage de notre modèle est non seulement de proposer au client de trouver le meilleur conseil où qu’il soit mais aussi d’être très flexible, explique Benjamin Kanovitch. Le client choisit la prestation qu’il souhaite, la plus adaptée à sa situation : nous pouvons piloter le dossier en équipes intégrées avec les différents cabinets locaux ou nous pouvons aussi juste intervenir sur les aspects français d’une opération au côté d’un conseil local. »

Benjamin Kanovitch. ©E. Scorcelletti

Les liens noués avec ses partenaires permettent à Bredin Prat de couvrir 80 % de ses besoins dans ses dossiers, d’où le choix de pérenniser cette stratégie. « Nous n’avons pas vocation à ouvrir de bureau à l’étranger », confirme Didier Martin. D’autant que le système offre également des opportunités aux collaborateurs. Bredin Prat a ainsi à son actif 55 détachements sur dix ans. Une pratique inaugurée par Benjamin Kanovitch, détaché aux États-Unis durant deux ans de 2001 à 2003. « J’étais le premier à être détaché, ce qui m’a permis de tisser des liens avec Cravath Swaine & Moore. Depuis, le système s’est structuré et fonctionne très bien. Les collaborateurs de troisième année émettent leur souhait et, selon les années, deux à quatre collaborateurs sont envoyés en détachement à l’étranger, et nous en accueillons nous-mêmes l’équivalent. » Une ouverture motivante pour des collaborateurs du cabinet, dont le ratio par associé est l’un des plus faibles de la place de Paris. « On ne fonctionne pas en baronnie, explique Sébastien Prat. Les collaborateurs ne sont pas attachés à un associé en particulier. Ce qui est formateur car nous avons chacun des personnalités très différentes. » « Nous comptons aujourd’hui 14 compétences, certaines plus centrées sur les transactions mais toutes liées entre elles, résume Didier Martin. L’ensemble des équipes travaillent en étroite collaboration même si l’arbitrage, activité pratiquée de longue date au cabinet est probablement un peu plus indépendante des autres expertises. »

Diversité des pratiques


Ces dernières années, le cabinet peut s’enorgueillir d’avoir été présent sur les plus beaux dossiers de la place



Ces dernières années, le cabinet peut s’enorgueillir d’avoir été présent sur les plus beaux dossiers de la place, et pas seulement en corporate, conseillant aussi bien General Electric lors de l’acquisition d’Alstom que KKR dans la cession de SMCP (Sandro, Maje Claudie Pierlot) en private equity, l’État français dans le cadre de la restructuration de la SNCM, l’Égypte ou la Sonatrach en arbitrage, EADS, Altran, Wendel, Bettencourt, Wildenstein en contentieux, ou encore Uber et Apple en concurrence. « La force du cabinet est de traiter entre 50 et 100 dossiers par an, commente Benjamin Kanovitch. Les grandes affaires boursières, très médiatiques, ne reflètent pas entièrement la diversité des opérations traitées par Bredin Prat, qui inclut les opérations à l’étranger, le private equity, les marchés de capitaux, le mid-cap, etc. » « Pendant longtemps, notre activité était, en raison notamment de notre taille, réduite aux grandes opérations par ailleurs essentiellement suivies par la direction générale des groupes français ainsi que leur banquier d’affaires, explique Didier Martin. Puis les conditions de réalisation des transactions ont évolué et leur technicité s’est accentuée. Nous avons alors pris conscience qu’il fallait davantage accompagner les clients de la réflexion jusqu’à la réalisation finale de l’acquisition. »

Car le cabinet n’entend pas se reposer sur ses lauriers. Alors qu’il vient de fêter ses 50 ans au Palais de Tokyo, au cours d’une soirée où il a également célébré les 5 ans du prix d’art contemporain Jean-François Prat, créé en 2012 en hommage à son cofondateur, les associés préparent l’avenir. D’abord en investissant des locaux plus adaptés : exit les moulures de l’adresse historique de la rue du Faubourg-Saint-Honoré pour le style plus moderne de l’ancien siège de la Seita (précédemment occupé par Latham & Watkins), quai d’Orsay. Ensuite, en restant vigilants sur les évolutions de la profession, à commencer par celles découlant de la digitalisation, sur lesquelles le cabinet a mis en place une cellule de veille. « Il ne faut pas rester passif, reconnaît Sébastien Prat. Derrière les problématiques de productivité, il y a celles de la baisse des coûts pour le client. Si l’on n’est pas dans la course aujourd’hui, on sera incapable de s’aligner demain. » Ce qui serait dommage après avoir occupé si longtemps la pole position.


 

 
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