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Aurélien Hamelle : un esprit indépendant

Par Aurélia Granel

Fort d’une carrière qui l’aura mené de l’avocature, aux côtés des plus grands, à la prise en charge de la direction juridique du groupe Total en 2016, Aurélien Hamelle reste très attaché à son indépendance d’esprit. Portrait d’un homme aussi brillant que sympathique.

«J’aimais énormément mon métier d’avocat et je n’avais absolument aucune intention de quitter la profession avant mes quarante ans, débute Aurélien Hamelle avec une sincérité désarmante. Je suis convaincu de la continuité qui existe à exercer différents métiers de la grande profession du droit. Les réduire à des silos constitue un affaiblissement juridique et culturel. Je n’excluais donc pas de faire autre chose un jour, mais à priori beaucoup plus tard ». Ayant grandi dans les Hauts-de-Seine, une fois le baccalauréat ES en poche en 1996, Aurélien Hamelle écoute son professeur d’anglais du lycée et s’inscrit en bi-deug économie-anglais à Nanterre. « Je comptais choisir l’option droit, mais mon frère jumeau a été plus rapide lors de l’inscription. Même si nous nous entendions très bien, après avoir passé 18 ans avec mon jumeau, j’aspirais à un peu d’indépendance et j’ai donc opté pour l’économie », raconte-t-il avec humour. Après trois semaines de cours, l’étudiant n’est guère passionné. Il assiste, sur les conseils de son frère, à un cours de droit constitutionnel de Guy Carcassonne. Une révélation. Il écrit au doyen de la faculté de droit pour lui demander d’intégrer le cursus juridique et se lance après avoir obtenu une réponse favorable.

En 2000, il obtient une maîtrise de droit des affaires à Nanterre, ainsi qu’une seconde en science de gestion, mention droit des affaires à Dauphine. L’étudiant cravache tout l’été et passe l’examen d’entrée à l’école des avocats qu’il obtient du premier coup. Pourtant, il retarde son entrée à l’EFB pour intégrer l’IEP de Paris. « Le cours de macroéconomie de David Jestaz est la seule matière qui a failli me faire dévier de mon idée d’être avocat, même si le reste m’a beaucoup intéressé en termes d’ouverture d’esprit, de culture générale, de compréhension du monde et de mécanismes de réflexion politique », indique-t-il. Le troisième semestre de l’école est consacré à un échange dans une université étrangère, ou à un stage. Il opte pour la seconde option et intègre le bureau parisien de Freshfields fin 2001.

La découverte du métier d’avocat chez Freshfields

Il découvre la profession dans le département Contentieux et arbitrage, aux côtés d’Elie Kleiman. Le stagiaire est impliqué, travailleur et l’associé lui propose très vite une collaboration mais, surtout, un détachement de huit mois au sein de l’équipe contentieuse du bureau londonien. Il n’en fallait pas plus pour le convaincre. Aurélien Hamelle rejoint le cabinet en novembre 2002, la veille de son 24e anniversaire, et part à Londres en janvier. Encore une fois, son frère jumeau n’est jamais bien loin puisqu’il effectue un LLM à la London School of Economics la même année. « Il s’agissait d’une belle formation pratique, car j’y ai découvert l’immense rigueur organisationnelle des cabinets anglais qui reste l’un de leurs points forts aujourd’hui, souligne Aurélien Hamelle. Le détachement dans le bureau londonien du cabinet était une manière pour Freshfields de terminer ma formation, en m’exposant à un travail concret et pratique intensif ». À son retour à Paris et pendant trois ans, il travaille principalement avec Elie Kleiman, qu’il considère comme son premier mentor. L’associé de Freshfields conseillait alors Jean-Marie Messier lorsqu’il a quitté la présidence de Vivendi Universal en 2002 et dans le cadre de ses contentieux postérieurs. La société avait engagé une action en faute de gestion devant le tribunal de commerce de Paris, contestant une sentence du tribunal arbitral de New York qui l’avait condamnée à verser des indemnités de départ à l’homme d’affaires français. « Avec un autre collaborateur du cabinet, Yannick Piette [aujourd’hui associé chez Weil Gotshal & Manges. ndlr], nous avons passé plusieurs nuits blanches à travailler sur cette affaire extrêmement intéressante et très polémique sur la place de Paris, se remémore Aurélien Hamelle. Elie Kleiman a fait preuve d’une grande stratégie dans la conduite de ce dossier qui a fini par être transigé ». Mais s’il apprécie son expérience professionnelle chez Freshfields, Aurélien Hamelle se sent un peu « frustré du manque de contact avec le monde judiciaire ». Il se souvient : « J’avais furieusement envie de me confronter à une pratique judiciaire de terrain et pour cela, il fallait que je change de structure de cabinet ».

L’association chez Metzner Associés

Il se trouve qu’Olivier Metzner représentait, pour les aspects liés à la communication financière, le même client qu’Elie Kleiman. Aurélien Hamelle ne rencontre pas l’avocat, mais échange, à quelques reprises, avec l’un de ses collaborateurs senior : François Esclatine [désormais associé chez Veil Jourde. ndlr]. Au cours d’un déjeuner, il lui fait part d’une opportunité professionnelle au sein du cabinet. «Meztner Associés recherchait un profil plutôt orienté droit pénal des affaires, avec un passage en cabinet anglo-saxon en raison de l’augmentation de ses clients étrangers et de l’accroissement de la technicité des dossiers, se souvient Aurélien Hamelle. Cette opportunité était l’occasion d’avoir le meilleur des deux mondes : à la fois de très beaux dossiers, Olivier Metzner étant l’un des meilleurs pénalistes de la place, et de me confronter à une pratique judiciaire pure et dure ». Après un entretien avec l’associé fondateur au début de l’année 2005, l’avocat est convaincu et rejoint la boutique. «Olivier Metzner était d’une rigueur phénoménale sur la maîtrise du droit, un travailleur acharné des dossiers. C’était une personne d’une efficacité redoutable, avec un sens tactique très fin et j’ai beaucoup appris à ses côtés sur les dossiers de droit pénal des affaires classiques, indique-t-il. Il était un peu ce médecin de famille que les gens d’un certain niveau politique ou économique allaient voir en cas de pépin et auquel ils s’en remettaient complètement ». Le collaborateur trouve rapidement en lui son second mentor et il intervient sur des dossiers de plus en plus sophistiqués, notamment de droit pénal économique et financier.

Au moment où se pose la question de l’association, fin 2008, Aurélien Hamelle est en train de passer le concours de la Conférence du stage. Olivier Metzner lui fait comprendre au cours d’un dîner qu’il ne peut pas avoir un associé à mi-temps et lui demande de faire un choix. « C’était un vrai dilemme, j’ai réfléchi ardemment pendant 15 jours et j’ai fini par me dire que je devais me désister du troisième tour du concours de la Conférence du stage, indique-t-il. La confiance que me témoignait Olivier Metzner en me proposant de devenir son associé était une offre que je ne pouvais pas refuser ». Aurélien Hamelle devient le quatrième associé du cabinet, aux côtés d’Emmanuel Marsigny et de Nicolas Huc-Morel en 2009. Antonin Lévy est promu deux ans plus tard.

Les cinq associés préparent ensemble, tranquillement, la future sortie d’Olivier Metzner. Mais son « départ » est finalement aussi inattendu que brutal en 2013 [l'avocat est décédé au large de l'île de Boëdic. ndlr]. Emmanuel Marsigny choisit de reprendre son indépendance et les trois derniers associés se serrent les coudes. Le cabinet fait d’ailleurs l’une de ses meilleures années, mais l’envie n’est plus là. « Continuer l’aventure Metzner Associés dans les mêmes locaux, compte tenu de la manière dont Olivier Metzner était parti, nous était impossible, se remémore Aurélien Hamelle. C’était le bon moment pour retrouver un mode d’exercice dans une structure plus large et plus internationale ».

L’indépendance chez Allen & Overy

Aurélien Hamelle avait fait la rencontre de Denis Chemla, responsable du département Contentieux d’Allen & Overy, dans le cadre d’un important contentieux sur lequel Olivier Metzner intervenait quelques années plus tôt. En 2014, l’avocat fait le grand saut et rejoint l’équipe de celui qu’il considère comme « un véritable et grand professionnel » et pour qui il a « beaucoup d’estime et d’amitié ». S’en suivent deux années épanouissantes. Aurélien Hamelle se révèle dans son nouveau rôle d’associé d’une firme internationale. Il intervient sur l’un des plus beaux dossiers de sa carrière : l’affaire EADS. Si le volet AMF était clôturé, les poursuites pénales ne s’étaient pas arrêtées et les juges d’instruction avaient décidé de renvoyer les différentes personnes physiques et morales devant le tribunal correctionnel pour délit d’initié. Le jeune associé prépare alors une  QPC (question prioritaire de constitutionnalité) sur le fondement du non bis in idem qui est, à la surprise générale, transmise par le tribunal à la Cour de cassation, puis au Conseil Constitutionnel. Aurélien Hamelle plaide, aux côtés de grands noms, devant les Sages début 2015. Et quelques mois plus tard, le Conseil invalide les doubles poursuites en matière boursière. « Ce dossier a été l’une de mes grandes satisfactions professionnelles, parce qu’être capable de contribuer à une évolution du droit et du système juridique pour des principes fondamentaux auxquels on croit, est extrêmement gratifiant », explique Aurélien Hamelle.

Bien sûr, la place parisienne ne parle que du jeune prodige. De sa technicité, de sa sympathie et de son brillant avenir. Et il ne tarde pas à se faire remarquer par la responsable des contentieux de la direction juridique de Total. Cette dernière lui confie des petits dossiers à partir de 2012, avant que le groupe ne lui propose de les rejoindre, en interne, fin 2015.

Une Total reconversion

Le pénaliste intègre Total en 2016, en tant que directeur juridique groupe après une longue période de réflexion. « J’aimais tellement le métier d’avocat que le quitter m’était difficile, mais cette opportunité professionnelle m’a obligé à sortir de ma zone de confort, raconte-t-il. Être directeur juridique d’un grand groupe permet de devenir une sorte de super généraliste du droit, en touchant à nombre de matières différentes. Aujourd’hui je fais des fusions-acquisitions, de la gouvernance boursière, du droit de la concurrence et de l’environnement, de la conformité, etc. ». S’il prend plaisir à avoir une pratique transversale du droit, Aurélien Hamelle aime également être le chef d’orchestre des grands dossiers internationaux, ce qui lui manquait en cabinet. « Abandonner l’avocature pour devenir directeur juridique constitue un grand chemin d’humilité, car aussi structurée et forte qu’elle soit, la direction juridique demeure une fonction support, précise-t-il. En entreprise, elle est l’un des maillons stratégiques du fonctionnement de l’entreprise, mais parmi beaucoup d’autres ».

Le directeur juridique groupe supervise aujourd’hui une équipe d’environ 500 juristes dans le monde, dont 75 au sein de la direction juridique de la holding. Sa position lui impose de réfléchir à l’interaction du droit avec les stratégies du groupe, avec les phénomènes géopolitiques et des problématiques sociétales, comme la transition énergétique par exemple. S’il a appris, depuis son arrivée, que le droit n’est pas la seule variable de décision et que la matière est au service du fonctionnement de tout un écosystème, Aurélien Hamelle œuvre aussi à changer l’image du groupe en externe. « Total est une entreprise à la pointe des enjeux sociétaux, mais cette réalité n’est encore pas assez bien perçue en externe, raconte-t-il. L’une de mes missions consiste à réduire le fossé existant entre l’image qui est portée et la réalité que l’on connait en interne ».

D’ailleurs, cette image a parfois des répercussions sur ses relations amicales et familiales : « Lorsque l’on est directeur juridique groupe de Total, il faut convaincre les autres de l’indépendance d’esprit dont on fait preuve pour tenir une position, ce que l’on n’a pas à faire en tant qu’avocat, souligne Aurélien Hamelle. On a beau rester la même personne, attachée aux mêmes idées, les autres - qu’il s’agisse de vos amis et de votre famille - ne vous écoutent plus exactement avec la même oreille. Votre interlocuteur, aussi proche soit-il, pensera toujours que ce que vous dites est un peu orienté, ou teinté par votre appartenance à un groupe comme Total ». Il se souvient : « Dans les dîners, j’étais personnellement pris à partie par de très bons amis, sur des sujets tel que le changement climatique. Je me sentais attaqué personnellement et j’ai eu besoin d’un an ou deux d’adaptation pour réussir à gérer ce genre de situations ». Car même s’il est salarié d’une entreprise, l’ancien avocat conserve une farouche indépendance d’esprit. Des pensées d’un esprit droit. 

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