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Atos, une nouvelle vision de la direction juridique

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°54 - mai 2018
Reportage photo Mark DAVIES

Pour Alexandre Menais, la transformation d’une direction juridique en 2018 ne passe pas seulement par un apport technologique. Elle suppose une réflexion plus large autour de trois piliers que sont le développement d’une vision transversale de la fonction au sein de l’entreprise, la valorisation de la créativité des juristes et le renforcement de la confiance en soi des équipes. Portrait d’une direction juridique en pleine mutation.

«Il n’est pas facile pour un juriste de se transformer », note Alexandre Menais. À la tête de la direction juridique d’Atos depuis 2011, sa mission initiale était de positionner les juristes de l’entreprise en véritables business partners. La preuve : Alexandre Menais porte aussi depuis avril 2015, la casquette d’Executive vice-président (EVP) M&A et corporate development. Il est aussi membre du Comité exécutif de l’entreprise. Pour autant, il ne peut être dit qu’il laisse de côté la direction juridique. Bien au contraire, sa double casquette favorise un regard différent sur la fonction juridique. « Les métiers d’Atos connaissent une mutation profonde, la transformation digitale ne suppose plus simplement la gestion des systèmes d’information de nos clients, mais la modification et l’adaptation de leur modèle économique au monde numérique », analyse-t-il. Selon lui, cette transformation suppose un changement des compétences et une remise à plat des métiers et de leur processus avec notamment un besoin de solutions (compétences et produits) en interne, beaucoup plus haut dans la chaîne de valeur des services proposés à l’origine par Atos. Ce besoin s’est traduit dans l’offre de services de la direction juridique d’Atos, renforcée par un autre élément extrinsèque depuis l’entrée de la société au CAC 40 en mars 2017.

« À la suite des différentes acquisitions transformantes opérées par Atos, notre premier programme de transformation de la direction juridique avait porté sur l’intégration et le repositionnement de la direction juridique. Notre nouvelle ambition porte sur la consolidation de nos acquis et le passage de notre département à la direction juridique du futur. Dans cette configuration, deux questions principales se posent : comment attirer les nouveaux talents et comment consolider la culture juridique de l’entreprise ». Alexandre Menais estime que le juriste de demain devra prendre en compte les nouvelles typologies de risques et être capable d’intégrer l’impact des nouvelles technologies dans son travail. « Il y aura moins de spécialistes pointus malgré la complexification du droit, car l’automatisation des tâches, les outils d’anticipation et le développement de l’intelligence artificielle rendront ces profils moins nécessaires au sein des directions juridiques où il faudra davantage de profils cognitifs et agnostiques, plus transversaux. Les spécialistes seront en cabinet. Les juristes, eux, devront être connectés avec tout l’écosystème de l’entreprise et totalement intégrés dans son environnement pour pouvoir appréhender tous les sujets à haute valeur stratégique, qui dépassent les aspects purement juridiques : la RSE, la gouvernance, l’intérêt général, l’éthique et l’impact des réseaux sociaux. De plus en plus, cet apport d’un expert en transversalité sera encore mieux valorisé et permettra l’accès aux directions générales », augure-t-il.

Et il convient de préparer les équipes juridiques à ce bouleversement, en favorisant leur employabilité et en développant un mode hybride de collaboration. À cet égard, la mobilité est un enjeu crucial et Alexandre Menais entend accompagner l’évolution de ses juristes dans l’entreprise, en étant à l’écoute de leurs besoins de développement, tout en étant transparent sur leur possibilité d’évolution et en les guidant dans des projets transversaux qui peuvent pour certains permettre des passerelles vers d’autres métiers.

Complémentarité entre générations et émergence de nouveaux talents

Cette transformation de la direction juridique passe par une approche multigénérationnelle où les plus expérimentés ont l’opportunité d’apporter aux plus jeunes leur savoir-faire, quand ces derniers vont être confrontés, très tôt, à des expériences managériales. Cet environnement favorise aussi l’intégration de nouveaux entrants. Ainsi, parmi les toutes nouvelles recrues du département, l’ancien avocat Damien Catoir. Au moment où il venait d’être coopté pour devenir associé au sein du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, ce jeune avocat spécialisé dans les M&A a décidé de donner un tour différent à sa carrière et de rejoindre, au mois de janvier 2018, le service juridique d’Atos en tant qu’associate group general counsel. « C’est un challenge passionnant au sein d’une entreprise attirante et dynamique », explique l’ancien avocat, ravi de découvrir les vertus du travail en équipe. « Je suis désormais avocat en entreprise », affirme-t-il, soulignant que ses missions restent les mêmes : faire du conseil, délivrer un service. « Mais ici il y a une dimension supplémentaire, c’est la projection dans le long terme, alors qu’en cabinet l’échéance est brève ». Le juriste est surpris de la rapidité de son intégration. « Il y a vraiment une culture commune, assez forte pour rassembler tout le monde. Impossible de dire qui est un ancien de Siemens, ou de Bull – les sociétés qui ont fusionné avec Atos – il y a au sein du département une fertilisation naturelle, une créativité issue de nos échanges ». Ce constat est partagé par Jean-Baptiste Siproudhis, responsable de la conformité, qui, en provenance d’EDF où il exerçait les mêmes responsabilités, parvient à faire coexister l’expérience d’un grand groupe public avec l’agilité indispensable d’une société de services comme Atos.

Évolution, mobilité, agilité

Charles-Henri de Taffin de Tilques, aujourd’hui general counsel de Worldline, filiale d’Atos, est lui aussi ancien avocat. Il est arrivé dans l’entreprise en 2013. Auparavant collaborateur au sein du cabinet Cleary Gottlieb, il travaillait en corporate M&A, en contrats internationaux ainsi qu’en contentieux et arbitrage. Même si comme avocat, il avait déjà des contacts avec le top management de ses clients, il estime qu’il lui manquait la vision d’ensemble, la dimension stratégique. Entré au sein du service juridique comme senior counsel en M&A, il a gravi les échelons. Il a d’abord pris en charge des projets stratégiques et spéciaux, qui l’ont amené à avoir une vision plus large, hors de sa zone de confort. Après quelques années, il est devenu directeur juridique adjoint pour la France, « beaucoup plus axé sur l’opérationnel ». Désormais directeur juridique de Worldline, il s’occupe notamment de toute la dimension corporate de la filiale avec le soutien des experts du groupe, tel que Henri Giraud, responsable droit des sociétés et droit boursier. Concernant son évolution au sein de l’entreprise, Charles-Henri de Taffin de Tilques, avec le recul, estime qu’à chaque proposition d’évolution, il s’est bien retrouvé dans ce qui était proposé. « J’ai pu renforcer ma pratique et découvrir d’autres domaines, comme la compliance par exemple ». Il estime qu’au sein la direction juridique l’émulation entre les profils plus seniors et les plus jeunes a un caractère très naturel. « C’est ce qui fait la richesse du département et plus généralement du groupe ». La politique menée par Alexandre Menais a permis de faire en sorte que les directeurs juridiques soient positionnés à un niveau très élevé en relation permanente avec le top management. « Ce qui a changé, c’est que nous sommes partie intégrante de la prise de décision, il y a une vraie dimension d’échange ».

Pour Alexandre Menais, ces recrutements sont essentiels, tout comme l’accès des jeunes à des postes de management. « Je voudrais que les juristes évoluent dans un parcours réfléchi », insiste le directeur juridique. Pas question pour lui de mettre des femmes ou des jeunes à des postes visibles uniquement pour la façade, il veut les faire « grandir », sans qu’il n’y ait, pour autant « d’injonction à la mobilité ». Ainsi, Anne-Sophie Poirier, ex-Jeantet, qui a participé à toutes les grandes acquisitions du groupe dans ses fonctions de responsable M&A au sein de la direction juridique, illustre un exemple de stabilité indispensable au regard de la politique de croissance externe d’Atos. Un programme de mentoring a été mis en place. Chaque « jeune pousse », se voit désigner une personne plus expérimentée, avec laquelle elle peut échanger, au-delà des seules questions de travail. Pour illustrer cette dynamique, Stéphane Larrière, nouveau responsable des données personnelles du groupe, anime des think tanks informels de plusieurs jeunes juristes sur des sujets de prospective juridique. Roland Schreiner, aujourd’hui responsable juridique des opérations a été le mentor de juristes plus jeunes que lui. Lui-même, responsable compliance de l’entreprise Siemens avant la fusion, a vu ses fonctions évoluer au sein d’Atos pour maintenant être le référent de l’ensemble des juristes qui traitent des opérations au sein du groupe avec le soutien d’un groupe de juristes internationaux expérimentés. Et peu importe si les juristes, jeunes ou moins jeunes, décident de quitter l’entreprise, car ils emportent avec eux une partie de la culture Atos. « C’est le cas de Maria Pernas qui a fait toute sa carrière chez Atos et que nous avons fait évoluer au fil du temps et qui est aujourd’hui directrice juridique de Capgemini et vice-présidente exécutive. Atos par son dynamisme et sa croissance est devenu une école de formation reconnue pour les juristes et nous en sommes très fiers ».

Pour illustrer cette politique, le parcours de Cécile Kavalses est exemplaire. « Bébé Atos », elle a été recrutée en 2006, comme juriste corporate. C’est au sein de la direction juridique qu’elle a véritablement commencé sa carrière, après un passage chez Air France, puis Oracle. À l’arrivée d’Alexandre Menais, en 2011, est créé le poste de « directeur de cabinet », chargé de faire le lien entre la direction juridique et les autres départements de l’entreprise. Une fonction « disruptive » que Cécile Kavalses accepte d’occuper, avec l’aide du directeur, avant de prendre la tête d’une GBU (geographical business unit) sur la zone IMEA, puis au Bénélux et dans les pays nordiques. De retour à Paris en mai dernier, elle est désormais general counsel pour la France et la zone MEA. Sur cette dernière, elle vient en support de son collègue Cedric di Tomaso, lequel, à trente ans à peine, vient d’être nommé general counsel. Cécile Kavalses explique qu’elle a tout de suite adhéré à la mise en place de cette organisation innovante. « Il y a, d’une part, un partage générationnel. Nous sommes véritablement nourris par l’organisation juridique pour délivrer le meilleur service possible à nos clients. Par ailleurs, il y a une véritable réflexion stratégique, le champ des possibles est toujours ouvert ».

Des juristes incités à développer leur esprit créatif

« On a la possibilité, quand on le souhaite, de pratiquer le droit dans un pays différent, dans une matière différente », poursuit cette dernière citant ainsi l’exemple d’un ancien avocat de chez Gide, Romain Courlet de Vregille, ayant débuté en droit des sociétés chez Atos, il s’est installé en Espagne pour en devenir le directeur juridique.

Delphine Sak Bun, ancienne avocate chez Latham & Watkins, à 35 ans, et responsable mondiale du contentieux, a quant à elle choisi de s’installer en Italie et de concilier un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. « Dès le début, il est possible, pour tous les juristes, de s’impliquer sur un deal dans un pays différent. Nous y sommes encouragés. C’est innovant et motivant », souligne Cécile Kavalses, observant que les profils juniors qui intègrent le département aujourd’hui sont très diversifiés. « On accueille parfois des gens du business, du pôle contract management, qui se montrent intéressés par le juridique » note-t-elle. La directrice de cabinet d’Alexandre Menais, Yuliya Zhadan, chargée, notamment, de la coordination de la direction juridique, qui n’est pas juriste, le confesse. : « Dans les différentes réunions, les échanges vont au-delà des sujets juridiques et abordent les enjeux stratégiques, humains et technologiques». Alexandre Menais insiste, il veut encourager ses juristes à être créatifs. Le seul moyen, selon lui, de développer la transversalité et l’employabilité des juristes. Les équipes de la direction juridique travaillent en ce moment sur la mise en place d’un hackaton ouvert, en partenariat avec un studio de design, qui aura lieu en juin, et dont l’objet sera notamment de traduire les conditions générales d’Atos en termes de legal design. « Il faut pousser les juristes à être créatifs et entrepreneuriaux et chez Atos, c’est la responsabilité du management de favoriser ce développement », soutient le directeur juridique. ■

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