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Astrid Mignon Colombet - La talentueuse

Par Ondine Delaunay - Photographie : Mark Davies

Après quinze ans passés au sein du cabinet Soulez Larivière & Associés, Astrid Mignon Colombet vient d’intégrer le cabinet August Debouzy. Un nouveau défi pour elle : celui de passer d’une boutique à un cabinet d’affaires. Mais à force de travail et de ténacité, la pénaliste a désormais la carrure pour le mener à bien.

La force d’Astrid Mignon Colombet, petit brin de femme au regard droit et aux épaules désormais solides, c’est qu’elle n’a pas eu besoin d’effets de manche pour s’imposer parmi les grands du droit pénal des affaires. Ce sont même ces derniers qui ont choisi de lui faire de la place au milieu d’eux. Nul doute que la bienveillance de celui qu’elle considère comme son mentor, Daniel Soulez Larivière, n’y est pas pour rien. Mais cette consécration est surtout due à ses qualités intrinsèques de rigueur de travail et de technicité, alliées à une bonne dose de créativité et de curiosité. Sans oublier bien sûr son goût du défi, celui qui lui aura permis d’être l’un des premiers avocats français à s’intéresser à la justice pénale négociée, devenant rapidement un expert en la matière. Pour finalement être conviée à participer au premier ouvrage sur le sujet – qui demeure d’ailleurs une référence aujourd’hui – Deals de justice1 , dans lequel elle rédige le chapitre sur La self-défense des entreprises. Portée par Nathalie Rehby – chargée de communication du cabinet Soulez Larivière & Associés dont elle ne cesse de vanter les mérites –, Astrid Mignon Colombet commence, dès 2013, à s’imposer dans la presse comme un interlocuteur de choix, pédagogue et disponible, pour expliquer et se poser en interprète de ce nouveau droit. Avec toutes les questions qui en découlent : l’articulation de l’accord de deferred prosecution agreement (DPA), et notamment du statement of facts, avec le juge français postérieurement saisi; le risque de contradiction avec le principe du non bis in idem; puis l’aménagement des procédures hexagonales de CJIP… « Nous sommes devenus encyclopédiques sur le sujet à force de nous documenter, témoigne-t-elle. Le défi intellectuel m’a plu et j’ai voulu en témoigner à travers des articles et dans des cercles de réflexion. » C’est véritablement à cette période qu’Astrid Mignon Colombet prend son envol. Et l’on se souvient aujourd’hui à peine de cette photo d’elle, toute timide, cachant son grand sourire derrière son épaule relevée, qui était alors mise en avant sur le site du cabinet.

FORMÉE À L’ÉCOLE SOULEZ

Cette nouvelle matière juridique d’une grande technicité, mêlant droits français et américain, avec des consonances financières importantes, était parfaitement adaptée au profil de l’avocate. Car rappelons-le, Astrid Mignon Colombet a d’abord ambitionné d’être professeur de droit. Diplômée de l’IEP de Paris (1996) et titulaire d’un DEA de droit des affaires à la Sorbonne (1997), elle a publié une thèse consacrée à l’exécution forcée en droit des sociétés, sous la direction du professeur Yves Guyon. Son objectif : obtenir l’agrégation deux ans plus tard. En attendant, elle prend des dossiers chez Bernard Hémery et Patrice Spinosi, avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Mais l’envie de donner un tournant plus pratique à sa carrière se fait sentir : « Je voulais travailler sur les dossiers dès leur commencement, monter dans le train au moment où il démarre. » Elle veut traiter des faits et s’en ouvre alors à Nicolas Vivien, l’un de ses anciens maîtres de conférences à Sciences Po, devenu un ami. Il lui conseille d’aller voir celui qu’il considère comme « le maître des grandes catastrophes » : Daniel Soulez Larivière. Et c’est ainsi que l’histoire débute. Astrid Mignon Colombet intègre le cabinet en 2004. Quasiment au moment où se déploient judiciairement les dossiers Erika et Concorde. Des affaires d’envergure sur lesquelles le cabinet est positionné. « J’avais toujours cru qu’un pénaliste ne faisait pas véritablement de droit, mais racontait d’abord les faits, une histoire », raconte-t-elle un peu gênée. Autant dire que la surprise a été vive à son arrivée au cabinet Soulez Larivière… « J’ai vite appris que le droit est essentiel dans la gestion de ces dossiers, la procédure bien sûr mais aussi la matière sous-jacente qui doit être parfaitement comprise. » Le dossier Erika l’amène à travailler sur le droit maritime, celui du Concorde la pousse à apprendre l’aéronautique… « La marque du cabinet est de ne pas se laisser piéger par la complexité de la matière. Nous passions de longues heures avec le client pour qu’il nous apprenne la technicité de son secteur et qu’on lui explique les particularismes du droit pénal. » La procédure ? Elle l’a finalement apprise au gré des dossiers. Daniel Soulez Larivière lui ayant expliqué que, n’en ayant jamais fait, elle aurait l’avantage d’être moins inhibée que ses confrères. Elle se souvient d’ailleurs qu’après avoir lu le Code de procédure pénale, elle avait demandé la nullité d’une mise en examen pour défaut d’indices graves et concordants. « Ce fondement ne marche jamais », lui avait-on expliqué. Mais l’avocate tente le coup. Et le gagne. La chance du débutant? Pas vraiment. Car l’école Soulez est exigeante et rigoureuse. « On m’a appris à appréhender le dossier comme une énigme, se souvient-elle. Il faut toujours trouver l’angle pour surprendre le juge et construire un raisonnement implacable en droit à travers le déroulé d’une démonstration factuelle. » La rédaction est un autre point d’attention, partagé par tous les associés du cabinet. « Des correcteurs impitoyables qui m’ont beaucoup aidée à progresser », se rappelle l’avocate.

LA CONCRÉTISATION D’UN TRAVAIL ACHARNÉ

« Je me suis sentie pénaliste dès mon arrivée chez Soulez Larivière & Associés », affirme-t-elle. Soutenue par son mentor, elle accède à l’association en 2011. C’est alors une nouvelle tranche de vie qui démarre car la jeune Astrid Mignon Colombet doit trouver sa place dans la boutique. Autour du ténor aux cheveux blancs, il y a déjà un trio d’associés complices et soudés : Mauricia Courrégé, Chantal Bonnard et Simon Foreman. Mais alors que le procès en appel d’AZF débute à Toulouse, accaparant les quatre associés qui tiennent à être présents à toutes les audiences, un certain dossier de suspicion de corruption en Iran pour l’obtention d’un marché gazier est envoyé au cabinet.

La suite, on la connaît : DPA signé par le groupe français avec le DoJ américain au printemps 2013, puis affaire jugée par le tribunal correctionnel de Paris en décembre 2018. Entre les deux, une évolution jurisprudentielle, législative et doctrinale inouïe dont Astrid Mignon Colombet devient un acteur incontournable. Mais cette effervescence intellectuelle n’est pas sans cacher des périodes plus difficiles pour la boutique pénale. Des divergences stratégiques sur l’orientation à donner à la structure conduisent aux départs successifs des trois associés à la fin de l’année 2013. Daniel Soulez Larivière et Astrid Mignon Colombet se retrouvent alors dans un navire qui tangue. Ils sont néanmoins soutenus par deux collaboratrices fidèles, qui seront d’ailleurs cooptées au rang d’associées deux ans plus tard : Aurélia Grignon et Capucine Lanta de Bérard. Pour finalement reconstruire une équipe plus étoffée. Toujours pleine de pudeur, l’on sent tout de même dans le discours d’Astrid Mignon Colombet que la période n’a pas été facile. L’expression aventure entrepreneuriale prend tout son sens. D’autant qu’en 2016, elle est nommée managing partner du cabinet pour lui permettre de faire la promotion des compétences de l’équipe outre-atlantique. Astrid Mignon Colombet passe en première ligne. Et la loi Sapin 2, qui introduit en droit français le concept de justice négociée, conforte le positionnement qu’elle a choisi. Devenue très visible sur le marché, elle est, dès cette époque, de plus en plus approchée par les cabinets, notamment internationaux, qui cherchent à développer une pratique pénale. Mais ce n’est pas le moment. Elle n’est pas femme à fuir les tempêtes. Elle considère le devoir à Daniel Soulez Larivière, tout comme à elle-même. En fait, elle n’est pas encore prête à tourner la page. Alors elle s’engouffre dans son travail, dans le management des équipes, dans l’admi-nistratif de la boutique. Avec courage, avec détermination. C’est à ce moment-là qu’arrive le dossier Société Générale. La banque française devient en 2018 la première signa-taire d’une CJIP en matière de corruption transnationale résultant d’une résolution coordonnée entre le Parquet national financier et le DoJ américain. « Une expérience formidable », explique-t-elle sans vouloir préciser plus loin, toujours soucieuse de respecter le secret des affaires. D’autres dossiers de CJIP prennent la suite.

UN NOUVEAU PROJET CHEZ AUGUST DEBOUZY

« Après plusieurs mois de réflexion, l’année dernière, j’ai décidé de donner un nouvel élan à mon métier », témoigne-t-elle en choisissant ses mots. Et en racontant son chemi-nement de pensée, sa voix se casse un peu. La décision a clairement été difficile à prendre. Mais l’associée ne peut plus relever tous les défis et souhaite poursuivre son acti-vité dans un cadre plus structuré. Elle annonce alors à ses associés, avant l’été, qu’elle souhaite prendre un nouveau chemin. « Je voulais faire les choses dans l’ordre pour pou-voir tourner la page sans avoir de regret. » Lors d’un diner amical, Vincent Brenot, lui parle de son cabinet qui, comme la majorité des structures de la place, cherche à développer sa pratique pénale de justice négociée. August Debouzy a déjà une équipe surnommée CAPA (pour contentieux, arbitrage et pénal des affaires) bien fournie et composée de cinq associés dédiés – dont le dernier arrivé est Bernard Cazeneuve. « Je connais Vincent Brenot et Marie Danis depuis longtemps et j’ai rencontré Mahasti Razavi pendant les vacances. C’est avec eux que je me suis projetée », se rappelle-t-elle tout en précisant qu’elle avait aussi été impressionnée par d’autres personnalités du cabinet et par le caractère toujours très entrepreneurial de Gilles August. La pluralité de compétences de la structure finit de la convaincre. « Le modèle français de justice pénale négociée est en construction. La dynamique de la matière implique de s’appuyer sur ses pairs, spécialistes d’autres droits, pour trouver de nouveaux modèles de pensées et d’expériences », explique-t-elle. Elle s’engage alors dans la nouvelle aventure au début de l’année 2020, accompagnée de deux collaboratrices qui ont toute son estime : Diane Floreancig et Manon Krouti. Intégrer une nouvelle famille n’a rien d’évident, surtout lorsqu’on vient de passer quinze ans dans la même maison. Mais en ce début d’année, Astrid Mignon Colombet a le visage bien plus apaisé. « Elle sera épanouie et heureuse chez August Debouzy car l’enthousiasme de l’équipe la portera et lui permettra de déployer ses talents tout en restant conforme à ce qu’elle est », assure Mahasti Razavi. C’est bien sûr tout ce qu’on lui souhaite pour les vingt prochaines années.

Notes :

(1) Deals de justice, sous la direction d’Antoine Garapon et de Pierre Servan-Schreiber. Editions PUF. 2013.

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