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Asafo & Co. : bientôt le premier cabinet d’Afrique ?

Par Aurélia Granel | Photographie MARK DAVIES

Fondé en mai dernier par des anciens d’Orrick - dont Pascal Agboyibor, ancien responsable de la pratique Afrique et ex-managing partner du cabinet -, Asafo & Co. est en train de redessiner le marché africain. Positionné comme un cabinet international dédié à l’Afrique et bénéficiant d’une présence effective et crédible dans les juridictions-clés du continent, il s’est déjà fait une place aux côtés des grands noms du secteur.

«L’Afrique est ma passion, je peux en parler pendant des heures, introduit Pascal Agboyibor. À chaque retour de voyage, mes associés s’amusent à me demander dans quelle région du continent nous allons ouvrir un nouveau bureau ». Derrière chaque plaisanterie, se cache pourtant une part de vérité. Moins d’un an après sa création sans tambour ni trompette, le cabinet compte déjà 29 associés et six bureaux, dont cinq en Afrique. Il est implanté à Paris, Abidjan en Côte d’Ivoire, Johannesburg en Afrique du Sud et à Casablanca au Maroc, mais aussi à Mombasa et Nairobi au Kenya. « Depuis dix ans, notre business concernait l’Afrique dans 95 % des dossiers, poursuit l’associé togolais qui a effectué une bonne partie de sa carrière au sein de la firme Orrick Rambaud Martel dont il était l’un des plus importants chiffres d’affaires, avant de la quitter précipitamment sur fond d’enquête #metoo. Il était cohérent de sortir du schéma classique des cabinets en créant une structure d’un genre nouveau, reconnue à l’international comme étant d’excellence lorsqu’il est question de dossiers complexes et sensibles ayant un lien avec le continent ».

La stratégie du cabinet a tout de suite été conçue comme très différente des grandes marques déjà implantées sur le continent comme Allen & Overy, Clifford Chance, Herbert Smith Freehills, Linklaters, Dentons, Norton Rose Fulbright, Hogan Lovells ou encore DLA Piper, qui bénéficient pourtant toutes d’une belle pratique panafricaine. « De nombreux cabinets internationaux ont des desk Afrique à Paris, New York et à Londres, mais ne sont pas dédiés à l’Afrique. Malgré la solidité de leur pratique, ils sont noyés dans de grands ensembles, souligne Pascal Agboyibor. Il vaut mieux être 200 à terme et regarder dans la même direction, plutôt qu’être dix tolérés dans un cabinet global qui fait de l’Afrique où la pratique ne sera jamais considérée comme prioritaire ». Et c’est sans aucun doute cette approche originale qui permet à Asafo & Co. de remanier le marché des cabinets d’affaires sur le continent.

Attirer les meilleurs profils

Mais le pari est ambitieux. Car pour attirer des avocats considérés comme les mieux armés pour accompagner les clients sur les situations les plus importantes et stratégiques de leur pratique, il faut s’en donner les moyens. Les dossiers que le cabinet traite doivent être en ligne avec les talents qu’il recrute et Asafo & Co. se doit d’être rigoureux sur le modèle économique et notamment la rentabilité. « Nous pensons que si notre message est clair et qu’un gage de qualité se dégage du cabinet, les meilleurs avocats voudront nous rejoindre, souligne le managing partner du bureau parisien. Ils auront tout à gagner : les professionnels exerceront dans un environnement plus adapté à leur pratique, travailleront sur des dossiers similaires, gagneront mieux leur vie en raison d’une marge distribuable bien meilleure à cause de frais de structure moins élevés et seront entourés de confrères avec qui ils seront plus en cohérence dans leur pratique ». Pour ne pas se limiter dans le choix des dossiers et surtout pour pouvoir intervenir aussi bien en common law qu’en droit d’inspiration romano-germanique, le cabinet s’est doté de sollicitors, de barristers, d’avocats de droits français et africains qui peuvent émettre tous types d’avis juridiques. Tous unis autour des mêmes valeurs de travail et de partage. Et le nom choisi pour le cabinet est d’ailleurs évocateur. Encore présents dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, les Asafos étaient historiquement des unités d’élite dans l’empire du Ghana, chargés de défendre la cité en cas d’attaque et veillant à la préservation des traditions. Quant au terme « Co. », il ne signifie pas « Company », comme certains aimeraient le penser. «Asafo renvoie à une idée de défense de communauté et de valeurs : nous nous battons pour les positions et les intérêts de nos clients, souligne Pascal Agboyibor. Quant au symbole Co., il a également été choisi en référence au Cobalt, car l’activité mining du cabinet est importante, ce minerai est produit à 70 % en République Démocratique du Congo donc clairement identifié à l’Afrique, et enfin parce qu’il est indispensable aux nouvelles technologies, donc le futur, par exemple par Tesla et Apple pour leurs batteries. Le nom Asafo & Co. est finalement un pont entre les traditions de l’Afrique et l’avenir, en somme la modernité ».

Paris, le berceau historique

Le cabinet a d’abord ouvert ses portes à Paris, au 63 Avenue des Champs-Élysées dans le 8e arrondissement. Des locaux sobres, mais avec une certaine majesté au regard de l’immense hauteur sous plafond perceptible dès l’entrée. Le bureau comprend désormais 24 avocats, dont 9 associés. Pascal Agboyibor, Simon Ratledge et Adrien Guidet sont spécialisés en financement de projets, le premier intervenant également sur de grands dossiers d’infrastructures et de mining. Sébastien Gaudu et Bob Bastos portent la pratique de project development, notamment en mining, tandis qu’Emmanuel Avramesco s’occupe des contentieux étatiques complexes. Ils ont été rejoints par Jacob Grierson en septembre, un ex-McDermott qui intervient dans le cadre d’arbitrages commerciaux et d’arbitrages d’investissement, tant pour des dossiers de tradition civiliste que de common law, et par Alain Gauvin fin janvier, ex-LPA-CGR Avocats, spécialiste de la réglementation bancaire et des fonds d’investissement qui partage son temps entre le bureau de Paris et de Casablanca. Enfin, Arnaud de Brosses a quitté Arsene mi-février, pour développer la pratique corporate tax du cabinet. La pratique oil & gas est quant à elle couverte par l’américain Ducan Williams, senior counsel ayant vocation à devenir associé d’ici quelques semaines. Il n’est pas non plus exclu que le cabinet se renforce en droit public, corporate, project finance et project development.

Les greffes successives ont rapidement pris, permettant au cabinet de s’imposer sur des dossiers d’une grande complexité. On notera notamment leur intervention sur le développement de la centrale hydroélectrique d’Inga, située sur les rives du fleuve Congo, dont le potentiel hydro-électrique est estimé à 44 000 MW, soit la moitié de la capacité électrique installée sur tout le continent. « Nous sommes très fiers de conseiller le gouvernement de la RDC sur ce dossier qui est un projet industriel phare et pharaonique, transformatif à l’échelle continentale et rempli de rebondissements », reconnaît Pascal Agboyibor. Les associés et leurs équipes sont également intervenus, en ce début d’année, aux côtés des sponsors Globeleq et IPS West Africa et de la société de projet Azito Energie, sur le financement d’un montant de 264 M€, fourni par un groupe de neuf Institutions Financières de Développement (IFD), de l’extension du cycle combiné de 250 MW de la centrale électrique au gaz d’Azito à Yopougon, en Côte d’Ivoire. Une extension qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie du gouvernement visant à faire de la Côte d’Ivoire un pôle régional clé dans ce secteur et porte la capacité globale d’Azito Energie à 700 MW, ce qui représente environ 35 % de la capacité nationale de production d’électricité.

Une implantation effective et crédible sur le continent

Mais par-delà l’équipe parisienne, la force et l’originalité d’Asafo & Co., c’est bien d’avoir une présence locale très importante. Et elle n’est pas due au hasard. Pascal Agboyibor se veut assez visionnaire pour l’Afrique : « Tout indique qu’une révolution industrielle, numérique et technologique est sur le point de transformer inéluctablement le continent. Elle justifie que des acteurs, pour qui l’Afrique était marginale il y a quelques années, ne se trompent pas en intégrant le continent dans leur stratégie à moyen terme, via l’allocation de ressources et la prise de positions, en attendant un retour sur investissement par la suite ». Ce saut technologique, notamment dans le domaine des télécoms, est une évidence pour le fondateur depuis longtemps. Le déclic s’est produit au Togo, il y a une quinzaine d’années, lorsque son téléphone s’est mis à sonner alors qu’il ne pensait pas une seule seconde que le réseau puisse fonctionner à l’endroit où il se situait. À l’autre bout du fil, un nouveau client asiatique qui l’appelait pour un projet en Afrique de l’Ouest. « Notre point fort est l’ouverture de nos propres bureaux en Afrique, avec la constitution de véritables équipes sur le terrain, qui vivent cette révolution en même temps que la population, contrairement à un grand nombre de cabinets qui ne bénéficient que d’un seul avocat sur place pour assister aux réunions lorsque les clients sont de passage, poursuit l’associé. Nos avocats allient technique, expérience et connaissance du terrain : ils pratiquent l’Afrique depuis des décennies et connaissent l’écosystème ». Cette stratégie d’ouverture de bureaux ferait déjà de l’ombre à la concurrence. « Les clients perçoivent la différence entre un réseau et un cabinet intégré. Nous n’avons pas de réel concurrent pour l’instant sur ce segment, malgré la forte présence sur le continent de cabinets globaux qui ont pour l’instant principalement noué des alliances ».

Afin de bénéficier d’une présence dans les juridictions clés sur le continent, les associés fondateurs d’Asafo & Co. ont choisi de s’implanter dans chaque région d’Afrique. Et pour chacune, ils se sont interrogés sur le pays considéré par les investisseurs comme le hub où positionner leurs équipes, tout en veillant à la possibilité de faire du business avec les pays voisins. Un pari réussi dans les cinq régions d’Afrique : « À chaque fois que l’on rencontre des grands groupes, on se rend compte que leur implantation et la nôtre sont similaires », explique Pascal Agboyibor. Le cabinet est présent en Afrique du Sud, moteur de l’Afrique Australe, au Kenya, hub de l’Afrique de l’Est -pays de common law-, mais aussi au Maroc -de tradition civiliste- qui est devenu, en raison de sa stabilité, la juridiction la plus importante en termes de business de l’Afrique du Nord, et en Côte d’Ivoire pour l’Afrique de l’Ouest.

Dans le détail, dès la création du cabinet, l’équipe a été suivie par le bureau d’Abidjan du cabinet Orrick. Celui-ci est composé d’une quinzaine de conseils juridiques, dont trois associés, qui interviennent en financement de projets, real estate, énergie, private equity, capital market et titrisation. En juin, le bureau de Johannesburg, où prédomine l’énergie/ infrastructure, a ouvert ses portes, porté par Philip Webster. Trois mois plus tard, le cabinet a annoncé la création du bureau de Casablanca, placé sous la responsabilité de Patrick Larrivé et de son équipe, composée de trois autres associés, tous en provenance de Dentons. Ils sont déjà une vingtaine de personnes à y exercer, sur des dossiers de private equity/M&A, droit public et PPP, ce qui en fait la deuxième structure internationale la plus importante du Maroc, après celle d’Allen & Overy. Se sont ensuite ajoutées deux implantations au Kenya qui comprennent une quarantaine de personnes : à Mombasa, d’une part, où le bureau est composé de deux associés, et à Nairobi qui compte 10 associés issus de MMC Africa Law. L’ensemble, qui intervient essentiellement en contentieux et arbitrage, financement bancaire, PPP, infrastructures, télécommunication et technologies -le pays est le hub des nouvelles technologies en Afrique de l’Est- et real estate, constitue l’une des cinq plus grosses équipes du Kenya.

L’Afrique du Sud, qui constitue le plus gros challenge du cabinet, demeure l’exception à la règle de cette stratégie d’implantation effective et crédible au sein des juridictions clés en termes de business. « Politiquement plus sensible, en raison de son héritage culturel et de l’apartheid, nous ne voulions pas appliquer le même raisonnement, mais prendre le temps d’observer le pays, explique Pascal Agboyibor. Le bureau de Johannesburg ouvert en juin dernier étant seulement composé de deux personnes, dont un associé. Nous ne pouvons donc pas dire que nous sommes crédibles en Afrique du Sud au regard de la concurrence locale, mais nous avons vocation à le devenir ».

Une accélération à l’international

Quelle sera la suite de l’aventure ? Le cabinet a donc pour priorité de renforcer son bureau de Johannesburg en Afrique du Sud. Il présente aussi des relations de best friend avec un cabinet au Nigeria, ce qui lui permet de couvrir le pays le plus peuplé d’Afrique -composé de 200 millions d’habitants. « Nous ne sommes pas allés immédiatement vers un modèle plus intégré car le Nigeria est une juridiction complexe qui demande une approche graduelle, explique le managing partner. On n’intègre pas un cabinet de premier plan du jour au lendemain, notamment pour des sujets de conflits d’intérêts ». Le cabinet suit également de près l’Éthiopie, pays historiquement fermé qui est aujourd’hui en train de s’ouvrir. Se pose aussi la question de l’implantation en Ouganda et dans d’autres juridictions d’Afrique du Nord.

Asafo & Co pourrait aussi ouvrir des bureaux à Londres, puis aux États-Unis. « Est-ce que ça sera à New York ou à Washington DC comme de nombreux cabinets, ou est-ce que l’on ne suivra pas le mouvement ? La ville de Houston, au Texas, demeure la capitale de l’oil & gas et les acteurs du pétrole pourraient trouver plus d’intérêt à ce que l’on fait que le reste du pays, souligne Pascal Agboyibor. Nous n’excluons pas de nous installer ailleurs qu’aux endroits où l’on nous attend ». Des ouvertures en Asie, notamment en Chine où le pays est présent sur les grands projets énergétiques ou d’infrastructures liés à l’Afrique, ou à Dubaï ne sont pas non plus exclues dans le futur, selon les besoins des bureaux africains. L’objectif est de pouvoir servir une clientèle étrangère désireuse d’investir sur le continent. Une construction entrepreneuriale sans limite. Savoir rebondir, sans jamais se laisser impressionner. La marque des leaders ? 

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