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Antonin Lévy : l’enfant prodige

Par AURÉLIA GRANEL | PHOTOGRAPHIES : Geoffroy van der Hasselt

Le procès en appel de François Fillon, dans l’affaire des soupçons d’emplois fictifs, s'est tenu du 15 au 30 novembre 2021, la Cour d'appel de Paris mettant sa décision en délibéré au 9 mai 2022. L’occasion idéale de se pencher sur la personnalité emblématique de son avocat, Antonin Lévy, fondateur du cabinet Antonin Lévy & Associés en 2019, spécialisé en conseil et contentieux de droit pénal des affaires, ainsi qu’en conformité et enquêtes internes. Portrait de ce jeune expert des dossiers judiciaires à forts enjeux techniques, financiers ou médiatiques.

Son nom de famille est connu, notamment grâce à son père, l’écrivain et philosophe Bernard-Henri Lévy, mais leurs profils n’ont rien de comparable. « Dans mon schéma familial, je sais que l’on s’intéresse plus facilement à mon père, mais deux personnes ont été tout aussi importantes dans ma construction personnelle : mon grand-père paternel et ma mère – je tiens plus mon caractère de cette dernière d’ailleurs, indique Antonin Lévy. Mon grand-père a gravi les échelons à la sueur de son front. Ce que j’en ai retenu, même si j’étais loin d’être dans une situation comparable, c’est le fait que le travail et l’effort vous mènent toujours quelque part ». Discret, Antonin Lévy ne livrera rien d’autre de personnel. « Je parle assez peu de moi », explique-t-il. Il suffit toutefois de taper son nom sur Google pour se rendre compte que les articles à son sujet foisonnent et que l’avocat, âgé d’à peine 40 ans, est déjà cité aux côtés des plus grands pénalistes. Cette réussite, il la doit surtout à sa force de travail. Jean-Michel Darrois, fondateur du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, l’explique : « Antonin Lévy a un grand talent et a réussi, dans une discipline complexe, à se faire connaître et désigner dans des dossiers d’envergure. Il est très courageux comme le démontrent les positions qu’il a prises, notamment en faveur de François Fillon. Par ailleurs, au-delà d’une éloquence rhétorique, atout de la plupart des secrétaires de la Conférence du stage, on sent qu’il a vraiment envie de convaincre. Il plaide avec une fougue maîtrisée ». Et Aurélien Hamelle, directeur juridique de TotalEnergies et ex-associé d’Antonin Lévy [Cf. LJA Magazine 72], d’ajouter : « Antonin respecte les conseils de Maurice Garçon dans son essai sur l’éloquence judiciaire : il ne met jamais son éloquence au-dessus de l’intérêt de son client. En d’autres termes, il ne cherche pas la lumière au travers de son client. Il travaille énormément, connaît parfaitement ses dossiers et allie une connaissance fine du droit avec une approche de bon sens dans les dossiers. Il plaide avec beaucoup de sobriété et de force de conviction, avec un grand sens de l’humour toujours utilisé à bon escient ».

Antonin Lévy fait sa scolarité au collège Montaigne et au lycée Henri-IV. Après l’obtention d’un baccalauréat L (spécialité mathématiques), il intègre l’IEP de Paris. En 4e année, il choisit la majeure magistrature, qu’il poursuit l’année suivante, avec la préparation au concours d’accès à l’ENM. Un stage chez Gide, dans l’équipe d’Olivier Cousi, en charge de l’activité droit des médias et des télécommunications, change la donne. « J’avais lu les grands ouvrages modernes sur ce qu’est la profession d’avocat, tels que L’abolition de Robert Badinter, l’Affaire de Jean-Denis Bredin ou encore le Pull-over rouge de Gilles Perrault, mais cette expérience a été un révélateur et m’a donné envie de devenir avocat, explique Antonin Lévy. J’ai pris conscience de la réalité du métier grâce à la diversité des sujets traités par l’équipe de Gide ». Le cabinet est notamment le conseil de la chaîne Histoire pour l’enregistrement et la diffusion du procès Papon à la télévision. Diplômé de l’IEP de Paris en 2002, Antonin Lévy abandonne le concours d’entrée à l’ENM et s’inscrit en DESS droit et globalisation économique de la Sorbonne, dont il sort diplômé en 2003, puis enchaîne sur un LLM de la New York University et le barreau qu’il obtient l’année suivante. « Étant à New York lorsqu’il a prêté serment, j’ai assisté à l’évènement. Son père, Bernard-Henri Lévy, a voulu immortaliser l’instant et a failli se faire arrêter par les agents de sécurité qui avaient interdit la prise de photographies. Un petit incident digne d’un film hollywoodien », plaisante aujourd’hui Jean-Michel Darrois.  

Avant son départ aux États-Unis, Antonin Lévy effectue un stage chez Lovells, auprès de Thomas Rouhette responsable du département contentieux du cabinet. Il y fait la rencontre de feu le professeur Christian Larroumet. Sur l’un des premiers mémos d’Antonin Lévy que le professeur lui retourne, se trouve un post-it précisant « c’est pas mal, mais c’est un peu chiant ». Le jeune stagiaire glisse une contrepèterie dans le mémo suivant, qui est immédiatement repérée par Christian Larroumet. Ce jeu devient une habitude et pendant plusieurs semaines, Antonin Lévy lui soumet chaque jour une contrepèterie qu’il résout avec humour. Le professeur le juge malin, mais lui explique qu’il peut encore s’améliorer sur les notions juridiques. L’avocat lui répond du tac au tac que c’est parce qu’il n’a pas suivi les cours du DEA de droit privé qu’il dirige à Assas.« Tu devrais », lui lance Christian Larroumet. À son retour en France, Antonin Lévy prend le professeur au mot et postule. Celui-ci honore sa parole et l’accueille parmi ses étudiants. « C’est durant cette année que je me suis rendu compte qu’il n’avait pas tort et que j’avais une marge de progression assez importante sur les matières juridiques, raconte-t-il. C’est l’année où j’ai le plus appris en réalité. Ces études théoriques me servent encore aujourd’hui pour structurer une défense juridique ».

Les débuts en M&A chez Darrois

Le cabinet Darrois Villey Maillot Brochier le recrute en corporate, d’abord comme stagiaire, puis sous le statut de collaborateur étranger, le 1er janvier 2005. Le 35e avocat de la structure prête serment en France le 30 novembre suivant. Jean-Michel Darrois a été désigné par le bâtonnier pour prononcer le discours d’accueil. « Sa mère se dirige vers moi à la fin du discours. M’attendant modestement à ce qu’elle me remercie, j’ai été incroyablement surpris de l’entendre me dire que je faisais trop travailler son fils et que j’étais responsable de sa mauvaise mine », se remémore, amusé, le fondateur du cabinet.

La pratique d’Antonin Lévy est répartie entre les fusions-acquisitions et le contentieux. Les deux premiers dossiers sur lesquels il travaille démontrent bien cette dualité d’exercice, puisqu’il est occupé par la fusion de Pernod Ricard et d’Allied Domecq, d’une part, et par le contentieux civil entre Morgan Stanley et LVMH, d’autre part. Le géant du luxe avait assigné la banque américaine à raison de ses commentaires publiés sur Gucci lors de sa prise de contrôle par PPR. Ce dossier l’enthousiasme puisque juridiquement, c’est la première fois que se pose la question de la responsabilité civile d’un analyste financier à raison de ses écrits et analyses. Le dossier, piloté par Cyril Bonan, est en outre traité par des figures du contentieux : Jean-Michel Darrois, Philippe Villey et Matthieu de Boisséson. Il se souvient de la manière dont les associés ont appréhendé le dossier. « C’est à ce moment-là que j’ai compris que le droit est fondamental, mais que l’histoire que l’on raconte et la manière dont on démontre les faits l’est tout autant, explique-t-il. Si l’on est capable de présenter, sans inonder de pièces, un travail d’analyse soigné, il sera au moins aussi efficace que se contenter d’une analyse juridique ».

La reconversion en droit pénal des affaires

En 2007, alors qu’il est secrétaire de la Conférence du stage, l’avocat prend conscience qu’il est plus intéressé par les permanences du pôle financier que par les assises. Les dossiers de fraude à la TVA ou d’escroquerie astucieuses sont ceux qui l’attirent. Mais le cabinet Darrois n’en fait que relativement peu et n’a pas la perspective à court ou moyen terme de développer la matière de droit pénal des affaires. Son ami Aurélien Hamelle, qui est associé au sein du cabinet Metzner & Associés, lui présente Olivier Metzner pour obtenir quelques conseils avisés. Les deux avocats se rencontrent lors d’un déjeuner, à l’issue duquel le pénaliste propose à Antonin Lévy de rejoindre son cabinet, à condition d’avoir l’accord de Jean-Michel Darrois. Fort de son précieux sésame, il rejoint la boutique pénale en novembre 2009. Et il n’est pas déçu. Une véritable relation de confiance se crée avec le fameux pénaliste.

Quelques semaines après son arrivée, Olivier Metzner demande à Antonin Lévy d’aller chercher à l’aéroport de Roissy, le général panaméen Noriega, jugé en France pour blanchiment d’argent. À la suite d’un débat procédural relativement intéressant et technique, la France a utilisé son poids diplomatique pour convaincre les USA d’accorder son extradition au Panama où il a fini ses jours. Antonin Lévy conserve d’ailleurs précieusement – et l’a même faite encadrer – la carte de vœux envoyée par le général depuis la maison d’arrêt de la Santé, quelques jours avant son extradition.

Un an après son arrivée, il devient le cinquième associé du cabinet, aux côtés d’Aurélien Hamelle, d’Emmanuel Marsigny et de Nicolas Huc-Morel. Sa récente cooptation lui donne le privilège de plaider le dossier Continental Airlines aux côtés de son mentor. Il obtient, en appel, en 2011, la relaxe de la compagnie aérienne, poursuivie dans le crash du Concorde en juillet 2000. « Olivier Metzner avait ce côté formidable où il intervenait à la fois sur de grands dossiers, très techniques, qui duraient des années et conservait, en parallèle, des affaires de plus petite taille qu’il ne traitait pas comme telles et nécessitaient, de la part des personnes qui travaillaient avec lui, le même investissement que les autres, souligne Antonin Lévy. Ces affaires étaient les plus passionnantes d’ailleurs, en raison de leur marge de manœuvre supérieure aux grands dossiers médiatiques ». L’avocat suit les traces de son mentor. « Il est très engagé et se consacre régulièrement à des dossiers pour des questions de principe : depuis qu’il est avocat, il a plusieurs fois défendu les intérêts d’Ali Akbar, le vendeur à la criée du journal Le Monde, sachant qu’Ali rythmait déjà nos sorties de Sciences Po lorsque nous y étions étudiants avec des accroches très drôles à chaque fois », souligne Aurélien Hamelle.

À la disparition inattendue de l’emblématique fumeur de cigares en 2013, l’équipe se sépare. Emmanuel Marsigny est le premier à faire ses valises. Les autres associés font l’effort de faire perdurer le cabinet pendant un an, mais l’envie n’est plus là. « Nous sommes parvenus collectivement au constat que le cabinet Metzner & Associés n’avait de sens qu’avec Olivier à sa tête ». Chacun prend alors son envol. Antonin Lévy décide de rejoindre un cabinet anglo-saxon.

Une expérience internationale puis une indépendance retrouvée

C’est lors de son traditionnel déjeuner annuel avec Thomas Rouhette que l’avocat se voit convaincre d’intégrer l’équipe contentieux et arbitrage d’Hogan Lovells pour développer la pratique de droit pénal des affaires. Il arrive en avril 2014, accompagné de deux collaborateurs, tandis qu’un troisième est recruté très rapidement. Antonin Lévy appréhende un nouveau monde dans lequel il prend plaisir à découvrir les compétences diverses de ses confrères étrangers. Âgé de 33 ans, il développe la pratique de droit pénal des affaires de A à Z. « Il est illusoire de penser qu’un stock de dossiers attend un associé qui rejoint un cabinet, surtout quand la pratique est inexistante, indique-t-il. Hogan Lovells n’était pas identifié comme un cabinet vers lequel se tourner en droit pénal des affaires et j’ai œuvré pendant presque cinq ans à changer cette image ».

L’associé découvre une méthode d’exercice différente de ce qu’il avait connu jusqu’alors. « J’avais exercé toute ma carrière dans des cabinets français de niche traditionnels, fondés par des avocats ayant des personnalités extrêmement fortes qui marquaient leur structure de leur méthode », explique l’avocat qui se souvient encore de sa première réunion d’associés dans la firme anglo-saxonne où près de 900 personnes étaient réunies. Les années défilent à toute allure. Antonin Lévy élargit sa pratique, en développant une expertise en matière d’enquêtes réalisées par des banques multilatérales de développement, puis en droits de l’Homme des affaires. Il donne en parallèle des cours à Sciences Po. « Les étudiants étaient un peu intimidés par ce jeune garçon, qui était plus célèbre pour sa sévérité avec les étudiants, que pour son patronyme », indique Jean-Michel Darrois.

En 2019, à l’aube de ses quarante ans, l’avocat reprend sa vie professionnelle en main. Il fonde le cabinet Antonin Lévy & Associés, en s’associant à Ophélia Claude. Cette dernière a exercé à ses côtés chez Metzner & Associés, avant de suivre Aurélien Hamelle chez Allen & Overy en 2014, puis d’intégrer Hogan Lovells, aux côtés d’Antonin Lévy. Le 1er juillet, Joris Monin de Flaugergues, qui travaille aux côtés de l’avocat depuis 2015, est devenu le 3e associé du cabinet. Cette prise d’indépendance d’Antonin Lévy est aujourd’hui saluée par ses clients. L’avocat a d’ailleurs été récemment cité parmi les 40 avocats du CAC 40 dans le classement Forbes, réalisé en partenariat avec la LJA. Il est reconnu comme « l’un des meilleurs pénalistes de la place ». Une consécration pour un avocat courageux et ambitieux. 

Antonin Lévy Antonin Lévy & Associés