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Antoine Gosset-Grainville : un homme aux mille vies

Par Aurélia Granel

Fort d’une belle carrière au carrefour du droit et de la finance, le cofondateur du cabinet BDGS Associés spécialisé en droit de la concurrence, Antoine Gosset-Grainville, a récemment pris la présidence du conseil d’administration du groupe Axa. Portrait d’un homme se renouvelant sans cesse.

«Jusqu’à présent, ma carrière a été extrêmement variée, correspondant à mes goûts et mes aptitudes, introduit Antoine Gosset-Grainville. Je n’ai jamais souhaité sortir de cette double spécialisation juridico-financière lors de mes diverses expériences professionnelles, par intérêt personnel, d’une part, et aussi parce que l’économie et la finance se judiciarisent de manière croissante ». Figurant, pour la deuxième année consécutive, dans le Top 40 des avocats du CAC 40, classement réalisé par la LJA en partenariat avec Forbes, Antoine Gosset-Grainville est décrit de manière élogieuse par ses clients : « Doué de finesse dans l’analyse des situations, avec un vrai toucher de balle dans des négociations compliquées, il réussit à rapprocher les points de vue ». Il est aussi jugé comme étant « un très fin négociateur dans les dossiers complexes ». Le cofondateur du cabinet BDGS Associés intervient dans le cadre de nombreux dossiers de droit de la concurrence sensibles, notamment sur des procédures de contrôle des concentrations et d’aides d’État de premier plan, le contentieux lié à toutes les matières et les questions de régulation. En parallèle, il a succédé, il y a quelques mois, à Denis Duverne à la présidence du conseil d’administration du groupe Axa, formant un binôme avec Thomas Buberl, renouvelé au poste de directeur général.

LA DÉCOUVERTE DU DROIT DE LA CONCURRENCE

Originaire du Pays basque, Antoine Gosset-Grainville a vécu la majorité de sa vie à Paris et à Bruxelles. Celui qui se décrit comme un élève « assez moyen, avant de révéler son potentiel à partir de la première » effectue sa scolarité au collège et lycée Stanislas. Son baccalauréat B en poche, il est diplômé de Sciences Po en 1987, obtient un DESS de banque et finance à Paris-Dauphine en 1989, puis fréquente les bancs de l’ENA (Promotion Léon Gambetta, 1993). Son attirance pour le droit, l’économie et la finance se confirme lorsqu’il est amené à les pratiquer dans un cadre professionnel. À sa sortie de l’ENA, il a le choix entre débuter sa carrière à l’Inspection des finances ou au Conseil d’État. Dans chacune de ces deux maisons, un responsable est chargé de convaincre les élèves de le rejoindre. Alexandre de Juniac, qui intervient aux côtés du Conseil d’État, fait un speech époustouflant sur son attrait, expliquant que le droit y est prédominant, mais que rejoindre la Haute juridiction n’enferme personne dans cette voie. « En parallèle, François Pérol, représentant l’Inspection des finances, explique aux étudiants que s’ils n’aiment que le droit, leur début de carrière doit incontestablement se faire au Conseil d’État, mais ajoute que s’ils apprécient, en plus du juridique, l’économie et la finance, le choix doit être différent, se remémore Antoine Gosset-Grainville. J’ai alors été convaincu que rejoindre l’Inspection des finances était une expérience plus diversifiée et que j’aurais l’opportunité de travailler sur des sujets plus variés ». Et le futur avocat ne regrette pas son choix. « J’ai notamment réalisé un audit de l’organisation du travail dans l’administration pénitentiaire, ce qui m’a amené à passer plusieurs jours dans les prisons, ou encore un contrôle des douanes assez sportif à Marseille », se souvient-il. En mars 1997, le Trésor le détache à Bruxelles auprès du Comité monétaire européen. Cette structure, qui prépare tous les travaux des ministres des Finances, est dirigée par un Allemand, qu’Antoine Gosset-Grainville seconde comme secrétaire général adjoint durant la préparation du passage à l’euro. De 1999 à 2002, il devient conseiller pour les affaires économiques et industrielles au cabinet de Pascal Lamy, commissaire européen, chargé du commerce, à la Commission européenne. Rapidement, ses fonctions à la Commission l’amènent à intervenir sur les problématiques juridiques liées au droit de la concurrence, un droit « assez technique et très évolutif », au droit du commerce international, à tout ce qui constitue le marché intérieur et à la mise en oeuvre des grandes libertés. Il intervient notamment sur les dossiers Carrefour-Promodès, Schneider-Legrand, ou encore Total-Elf. « Le droit a repris une place centrale à ce moment précis de ma carrière, au point que j’ai décidé de prêter serment à Paris et Bruxelles pour devenir avocat en 2002, explique Antoine Gosset-Grainville. C’était certes un peu tard que la moyenne, parce que je devais avoir 34 ans, mais quand même suffisamment tôt pour apprendre la profession dans toutes ses dimensions ».

LA RECONVERSION CHEZ GIDE

Les avocats de Gide lui proposent de rejoindre leur équipe bruxelloise, dans la perspective du départ à la retraite de Dominique Voillemot, l’un des deux fondateurs du bureau belge, environ deux ans plus tard. « Gide est le premier cabinet à avoir ouvert un bureau à Bruxelles, intervenant essentiellement en droit européen. Certaines firmes anglo-saxonnes y étaient déjà implantées, mais se concentraient plutôt sur les aspects de droit belge, explique l’avocat. Les associés du bureau souhaitaient recruter quelqu’un qui connaisse bien le milieu européen, ce qui était mon cas ». Il les rejoint en 2002 en tant qu’associé, en charge de l’équipe concurrence, puis devient responsable du bureau de Bruxelles pendant cinq ans. Il se souvient du premier dossier qu’il pilote seul, après avoir prêté serment. La Commission européenne considère que la recapitalisation de 9 mds€ de France Telecom par l’État français constitue une aide d’État. Des années de bras de fer s’engagent alors, jusqu’à l’étape ultime de la CJUE. « Nous avons démontré que cet investissement était avisé, que l’entreprise avait de réelles perspectives d’activité et de rentabilité, et qu’un investisseur privé aurait pris la même décision, indique Antoine Gosset-Grainville. L’entreprise avait un endettement excessif à ce moment-là, donc besoin de cet argent, mais l’investissement de l’État n’a pas été fait pas dans une logique de sauvetage, mais de remise à niveau pour lui permettre d’assurer son développement ». En 2007, Antoine Gosset-Grainville devient le directeur adjoint du cabinet du Premier ministre François Fillon, en charge de toutes les affaires économiques. « Dominique de Villepin m’avait fait la même proposition deux ans plus tôt, mais j’avais jugé qu’il était trop tôt pour quitter Gide. En revanche, lorsque François Fillon m’a contacté, le contexte était différent : il s’agissait d’un nouveau mandat, d’une nouvelle ère, d’une politique d’inspiration libérale, avec un programme de réformes assez conséquents, donc j’ai accepté de revenir à Paris après avoir passé dix années à Bruxelles », explique-t-il. Une période qu’il qualifie « d’extraordinaire », l’actualité étant très dense. Il contribue à la gestion, par l’exécutif, de la crise financière de 2008. « Tous les jours, entre le 15 septembre et le 14 octobre 2008, nous pensions que le système bancaire européen allait s’écrouler, entraînant des faillites, des mouvements de panique avec des retraits des dépôts des clients en catastrophe, se remémore- t-il. C’était une expérience humaine et professionnelle assez unique ». Pendant ces trois années, Antoine Gosset- Grainville traite notamment des affaires juridiques et côtoie le Conseil d’État au quotidien. Il s’implique aussi dans la création de l’Autorité de la concurrence, pour se rapprocher du modèle en vigueur dans la plupart des pays européens. Il avait toutefois prévenu François Fillon qu’il ne resterait que trois ans à Matignon en raison de l’intensité de la fonction. En 2010, il accepte donc la proposition d’Augustin de Romanet de le seconder en tant que directeur général adjoint à la Caisse des dépôts, en charge des finances, de la stratégie, des investissements, du pilotage des filiales et de l’international. « C’est une institution financière avec de gros moyens et de vraies missions, en particulier au lendemain de la crise financière, car elle s’est retrouvée au coeur de tout le projet de relance de l’investissement, avec l’impulsion de l’État », explique Antoine Gosset-Grainville. Il traite plusieurs opérations capitalistiques et financières majeures comme l’ouverture du capital de La Poste, la fusion Icade/ Silic, la restructuration de Dexia ou encore la fusion entre Veolia Transport et Transdev. Sans compter sur la crise financière grecque, qui a été aussi un moment de très grande tension sur les marchés à partir du mois d’août 2011. « Dans le paysage financier français, la Caisse des dépôts est la seule institution financière à laquelle les grandes banques américaines faisaient encore confiance, parce qu’elle était adossée à l’État. Elle était donc au coeur de nombreux sujets d’envergure », indique-t-il. À la suite du report de la nomination du directeur général de la Caisse des dépôts, Antoine Gosset-Grainville assure la direction générale par intérim de l’institution jusqu’au 18 juillet 2012, date de la nomination de Jean-Pierre Jouyet comme directeur général. « Je n’avais jamais eu l’occasion de diriger un grand groupe. Lorsque vous exercez ces fonctions de manière transitoire, vous n’avez certes pas le temps de lancer de grandes orientations stratégiques, mais il faut quand même gérer cette institution financière dont l’activité et les projets d’investissements sont denses », explique Antoine Gosset-Grainville. Il prépare l’arrivée de son successeur, assure la transition, mais prévient en amont de l’imminence de son départ.

LA CRÉATION DE BDGS ASSOCIÉS

Car Antoine Gosset-Grainville a déjà un autre plan en vue. Il avait conservé des liens étroits avec les gidiens Antoine Bonnasse, Youssef Djehane et Jean-Emmanuel Skovron, avec lesquels il décide de s’associer. « Nous nous étions toujours dit, qu’un jour, il serait enthousiasmant de créer une boutique ensemble et donc je leur ai dit, durant l’été 2012, que j’allais quitter la Caisse des dépôts et que s’ils voulaient qu’on réfléchisse sérieusement à notre idée, c’était le moment opportun », explique-t-il. Le cabinet BDGS Associés voit le jour en mars 2013. Le premier client d’Antoine Gosset-Grainville est CMA CGM qu’il accompagne dans toutes ses aventures depuis 10 ans. Il travaille aussi régulièrement avec Carrefour sur ses nombreux projets. « Penser à Antoine Gosset-Grainville, c’est penser à l’harmonie avec laquelle il combine toutes les qualités : un avocat fin, équilibré et inventif, un entrepreneur courageux et déterminé, un homme engagé dans la vie de la cité et soucieux de l’intérêt général, mais surtout un ami d’une immense fidélité et d’une permanente bienveillance », déclare Alexandre Bompard, PDG du groupe. Administrateur de plusieurs groupes lorsqu’il exerçait à la Caisse des dépôts en raison notamment de ses compétences juridico-financières, Antoine Gosset-Grainville y a acquis une grande expertise de la gouvernance. Il devient président du conseil d’administration du Fonds stratégique d’investissement en 2013, administrateur indépendant d’Axa, Fnac Darty et de la Compagnie des Alpes, membre du conseil d’administration de l’association Le Siècle en 2020 et est désormais président d’Axa… « L’exercice de mandats d’administrateur est parfaitement compatible avec le métier d’avocat, à condition d’être extrêmement rigoureux sur les questions de conflits d’intérêts », souligne l’avocat. En 2021, il a assisté Engie sur les aspects de droit de la concurrence, dans le cadre de sa cession, à Bouygues, de la totalité du groupe Equans, pour une valorisation de 7,1 mds€. Il est également intervenu sur la recapitalisation d’Air France, aux côtés de l’Agence des Participations de l’État, ainsi que sur le rapprochement de Veolia et Suez, et enfin sur le rachat de Colis Privé par CMA-CGM. Aujourd’hui, le droit de la concurrence ne représente plus la totalité de son activité. L’associé est en effet régulièrement sollicité sur des sujets de M&A, ou sur des médiations. Il a aussi une activité contentieuse importante à Luxembourg, sur les contentieux prudentiels des banques françaises avec les autorités européennes. Son cabinet étant composé de 17 associés, dont quatre exerçant au sein de la pratique concurrence et régulation du cabinet, Antoine Gosset-Grainville peut s’appuyer sur Maria Trabucchi, Jérôme Fabre et Mathilde Damon pour l’épauler sur les problématiques de droit de la concurrence de ses dossiers.

ET APRÈS ?

« Mes nouvelles fonctions chez Axa m’ont obligé à réorganiser mon emploi du temps, indique Antoine Gosset- Grainville. Pour éviter toute situation de conflit, il a par ailleurs été acté chez Axa et BDGS Associés que je n’interviendrai plus sur les dossiers touchant de près ou de loin à Axa ou au secteur de l’assurance de manière générale ». Quelle sera la prochaine étape de son parcours ? L’avocat annonce bien sûr son souhait de poursuivre le développement de BDGS Associés qui s’apprête à fêter son 10e anniversaire. Et il ajoute : « J’ai rarement eu de plans et de stratégies de carrière établis. Même si j’ai toujours veillé à la cohérence entre mes nouvelles fonctions et ce que j’aime faire, ce sont les opportunités qui ont guidé mes évolutions professionnelles ».