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Anne-Sophie Noury : partir pour mieux revenir

Par Aurélia Granel | Photographies Mark Davies

Formée par les plus grandes pointures du restructuring, Anne-Sophie Noury, qui exerce au sein du cabinet Weil, Gotshal & Manges, est devenue à son tour l’un des piliers de la matière. Portrait d’une femme qui a trouvé sa place dans un milieu historiquement masculin, à force de travail et d’ambition.

Mère de quatre enfants - deux filles et deux garçons âgés de 13 à 3 ans -, passionnée de cinéma, pianiste assidue, yoguiste, joggeuse… Anne-Sophie Noury est une femme complète, sympathique et qui inspire confiance. Âgée de 40 ans, elle grandit loin du milieu juridique, entourée d’un père commissaire aux comptes et d’une mère l’aidant dans son entreprise, avec un frère et une sœur âgés respectivement de 10 et 13 ans de plus qu’elle. Bonne élève, elle fréquente l’école publique de Laval, avant de rejoindre Paris en 1998, pour effectuer sa terminale au lycée Henri IV. Après avoir obtenu son baccalauréat scientifique, elle rejoint une prépa HEC dans le même établissement, où elle rencontre son mari. « Nous sommes tous empreints du passé de nos parents, souligne-t-elle. Mon père a été admis à HEC en 1962, l’année des Accords d’Évian. Il a reçu une lettre lui indiquant que certaines personnes étaient prioritaires, en application de ces accords, l’invitant à retenter sa chance l’an prochain, ce qu’il n’a jamais fait ». Elle ajoute avec une pointe d’humour : « J’ai fait HEC pour lui faire plaisir ! Plus sérieusement, une envie de montrer que la famille Noury pouvait accéder à cette école a probablement été insufflée inconsciemment ». Une formation qu’elle effectue à partir de l’an 2000, qui lui permet de se constituer un groupe d’amis très resserré dont elle est toujours très proche.

À côté de ses cours, l’étudiante s’investit dans deux associations. Elle donne ainsi des leçons à des enfants issues de banlieues et rend visite à des prisonniers, leur permettant de garder contact avec la vie extérieure. À la fin de sa 2e année à HEC, elle effectue un stage de six mois chez Arthur Andersen, aux côtés de Jean-Marc Duplaix, actuel CFO de Kering. Cette expérience au sein du cabinet d’audit - dont elle apprécie la culture d’entreprise et qui lui vaut des inventaires au fin fond de l’Alsace pour un industriel - lui permet d’acquérir une certaine rigueur professionnelle qui ne l’a jamais plus quitté. Le droit n’est pourtant pas si loin, puisqu’en parallèle d’HEC, elle suit des cours à l’université de Sceaux. En 2004, elle effectue un stage de six mois chez Gide en M&A/corporate où elle partage ses bureaux avec Nicolas Jüllich, désormais associé du cabinet Lacourte Raquin Tatar. Elle y rencontre quelques futurs associés de BDGS, notamment Antoine Bonnasse et Jean-Emmanuel Skovron. Elle est, à ce moment-là, loin d’imaginer qu’ils seront ses associés un jour. Ce stage agit comme un détonateur : elle sera avocate.

Les débuts chez Linklaters

Fraîchement diplômée d’HEC, Anne-Sophie Noury passe le barreau en 2004, et intègre l’EFB dans la foulée. « La profession d’avocat demande une grande rigueur intellectuelle et de la logique. Ayant un esprit plutôt matheux, j’avais l’impression que cette profession était plus scientifique que bien d’autres », explique-t-elle. En parallèle de son année à l’EFB, elle effectue le DEA de droit des affaires de l’université Paris II, où elle est marquée par les cours de l’éminent professeur Hervé Synvet, également consultant chez Shearman & Sterling. Elle intègre le département M&A de Linklaters en décembre fin 2005, aux côtés d’Agathe Soilleux. Six mois plus tard, elle rejoint le département Restructuring, venant d’être créé par Aymar de Mauléon et Cécile Dupoux, tous deux fraîchement arrivés du cabinet Sonier & Associés. « Il manquait une dimension judiciaire à ma pratique, indique-t-elle. Cette expérience m’a tellement plu que j’ai eu envie d’y rester ». D’autant que le fameux dossier Eurotunnel démarre alors. L’équipe conseille l’agent des prêteurs et Anne-Sophie Noury se sent vibrer, au cœur d’une restructuration majeure de notre histoire. Elle intervient également sur le dépôt de bilan de la compagnie aérienne brésilienne Viação Aérea Rio-Grandense (Varig) où s’entremêlent droit international privé, droit national et droit local. « Le restructuring est une matière transversale faisant appel à mes connaissances financières et qui demande une forte adaptation aux besoins des clients, souligne Anne-Sophie Noury. L’humain est un élément aussi fort que la dimension économique, et vous vous sentez utile et sortez grandi de chaque dossier ».

Les deals s’enchaînent. « J’aimais beaucoup exercer chez Linklaters. L’équipe était de grande qualité, poursuit-elle. Je voulais toutefois davantage de contact avec les clients et rejoindre une équipe plus étoffée que je considérais être particulièrement performante et déjà reconnue ». Pleine d’ambition, Anne-Sophie Noury postule chez Weil, Gotshal & Manges en mai 2008, aidée par Agathe Soilleux, partie là-bas depuis peu.

Weil, le début d’une grande aventure

C’est finalement le 15 septembre 2008 qu’Anne-Sophie Noury rejoint l’équipe Restructuring de Weil, Gotshal & Manges, portée par Philippe Druon et Jean Dominique Daudier de Cassini. « Débuter le jour de la faillite de Lehman Brothers a été totalement fortuit, souligne-t-elle. Cet évènement a marqué le début d’une période passionnante, car l’équipe a été impliquée dans les plus beaux dossiers de restructuring dès le commencement de la crise économique ». Le département compte alors, parmi ses membres, Fabienne Beuzit, Lionel Spizzichino, ou encore l’administrateur judiciaire Sandra Beladjine. En 2014, l’avocate traite le dossier le plus marquant de sa carrière, la faillite de FagorBrandt, où elle est le conseil de l’administrateur judiciaire Hélène Bourbouloux. Des actifs sont intimement liés en France et en Espagne alors qu’ils sont sujets à des procédures collectives différentes. L’enjeu est de coordonner ces différents droits et faire en sorte que ces actifs soient cédés en même temps, la reprise d’une usine sans possibilité d’exploiter la marque entraînant à coup sûr une liquidation judiciaire, faute de repreneur. Si ce dossier lui permet de découvrir de nombreuses villes d’Espagne, elle apprécie surtout le travail d’équipe. « Les dossiers les plus marquants sont ceux qui impliquent un dépassement de soi pour trouver une issue favorable », indique Anne-Sophie Noury. Le sauvetage de Corsair en 2020 s’est démarqué pour les mêmes raisons. Par ailleurs, en 2015, elle représente le chef d’entreprise de Gerdau, le géant de la métallurgie sud-américaine, qui a échoué à racheter Ascometal. « Une décision influencée par le politique et non par des données économiques, lance-t-elle. L’histoire a donné raison, la société a fait l’objet d’un redressement judiciaire une seconde fois en l’espace de trois ans ».

Anne-Sophie Noury s’imprègne du savoir-faire de ses deux associés. « Jean-Dominique Daudier de Cassini a été mon mentor. Il est l’avocat avec lequel j’ai le plus travaillé dans ma carrière. C’est un fin stratège, un homme des coulisses, de chiffres, qui est apprécié par tout le monde. Ce n’est pas un talent donné à tout le monde, explique-t-elle. Quant à Philippe Druon, c’est un excellent négociateur et chef d’équipe. C’est la personne qui m’a le plus soutenue et mise en valeur. ». Devenue counsel en 2016, elle vise l’association. Mais Fabienne Beuzit a été cooptée l’année précédente et les planètes ne sont pas alignées pour notre avocate. Et puis comment faire pour être prise au sérieux face à deux géants qui ne vous voient pas forcément grandir ? « Il faut établir ses priorités et ne pas hésiter à prendre des décisions, même difficiles », juge Anne-Sophie Noury. Au-delà du titre d’associé qu’elle souhaite obtenir, elle a envie de développer sa clientèle et son équipe. Le départ est un crève-cœur, car elle est très attachée au cabinet, mais la décision est prise. « Lorsque l’on a un objectif en tête, ce qui était mon cas, il faut faire des choix », explique-t-elle.

La prise d’indépendance chez BDGS

Le cordon est coupé en juillet 2016. Anne-Sophie Noury part chez BDGS Associés pour monter la pratique Restructuring. « J’ai adoré exercer aux côtés des associés de BDGS et notamment d’Antoine Bonnasse, lance-t-elle. Sérieux et exigeant, ce dernier est aussi extrêmement sympathique et doté d’un grand sens de l’humour. On sent qu’il aime sa matière et s’amuse sur les dossiers où il y a de l’enjeu, de la stratégie, voire un peu de "bagarre". Le fait de ressentir du plaisir chez l’autre régénère le sien ». Le cofondateur de BDGS Associés indique à son tour : « Anne-Sophie est dotée d’une énergie débordante, tant du point de vue des démarches commerciales, lorsque des dossiers se profilent sur le marché, que dans sa force de travail. Elle ne s’arrête jamais, si bien qu’elle me fait penser au lapin qui joue du tambour dans la pub Duracell ». L’équipe lui laisse totalement carte blanche en termes de développement de la clientèle, d’application des fees et de recrutement de collaborateurs. Elle s’entoure de trois avocats, dont deux sont toujours à ses côtés aujourd’hui. Grâce à l’autonomie développée sur ses dossiers traités chez Weil, quelques clients la suivent, puis la recommandent.

À cette époque, elle travaille auprès de Bpifrance, qui est l’un des actionnaires de référence de CGG, groupe ayant fait l’objet d’une restructuration en 2018. Un dossier marquant à travers sa technicité, ses interlocuteurs, mais aussi en termes d’innovation juridique puisqu’il a instauré une pratique de marché. « Les dossiers Solocal, Technicolor, Vallourec et Europcar se sont tous inspirés de CGG dans la manière d’appréhender les choses », explique-t-elle.

Mais le cabinet BDGS n’a pas d’expertise en financement. Anne-Sophie Noury sous-traite en externe mais l’échange n’est pas aussi fluide qu’avec un avocat pratiquant en interne. Le restructuring se nourrissant du M&A, mais pas l’inverse, elle sent aussi que sa matière n’est pas l’une des priorités de la structure. Elle décide de regagner un cabinet où le restructuring sera au cœur de la stratégie. Et le choix est vite fait.

Le retour au bercail

« En tant qu’associée créant une nouvelle pratique, il a fallu assurer à la fois le développement et la gestion des clients et des dossiers pendant trois ans, la croissance de l’équipe et la facturation. Puis, pour diverses raisons, j’avais envie de rentrer à la maison, souligne Anne-Sophie Noury. Lorsque vous retournez dans un cabinet comme Weil, après une expérience comme celle que j’ai eue chez BDGS, vous n’êtes plus perçue plus comme une jeune collaboratrice, mais comme une véritable associée ». Anne-Sophie Noury a gagné ses galons et retrouve donc, en mai 2019, ce cabinet qu’elle aime tant, quelques mois après le départ de Philippe Druon pour Hogan Lovells.

Jean-Dominique Daudier de Cassini se souvient : « L’histoire est assez étonnante. L’un de mes confrères, qui dirigeait un cabinet américain, m’a demandé de convaincre Anne-Sophie de rejoindre sa firme, après un refus de sa part en raison de l’absence d’une pratique Private equity. J’ai essayé de la convaincre de rejoindre la structure de mon ami, mais au bout d’une heure d’efforts vains, tout semblait évident : je lui ai dit que sa place était parmi nous et qu’il fallait qu’elle nous rejoigne dans notre nouvelle aventure. Elle a accepté sans hésiter ». Elle devient la seconde associée de l’équipe, composée aujourd’hui de 2 counsels et 5 collaborateurs. L’objectif n’est pas de recréer un ersatz de duo d’associés au sein de l’équipe, tel qu’il a longtemps existé dans la firme. Anne-Sophie Noury apporte sa propre touche à l’équipe.

« Ayant embrassé une profession et une pratique dont les maîtres-mots sont rigueur et précision, Anne-Sophie est une forte personnalité qui sait jouer sur ce registre, mais qui garde aussi un caractère plus ouvert, indique Jean-Dominique Daudier de Cassini. Il s’agit d’une personne d’une grande technicité, ayant une vision d’ensemble sur les dossiers et qui est capable d’accompagner ses clients quelle que soit l’évolution de la situation ». Ayant une dominante judiciaire plus forte que sa consœur, les deux associés ne se marchent pas dessus. L’équipe est également composée de 2 counsels et 5 collaborateurs. « Les gens qui composent ce cabinet comptent beaucoup pour moi, souligne l’associée. Outre les notions d’exigence et de solidarité qui sont très marquées, nous nous challengeons régulièrement les uns les autres ».

Plus rien ne semble arrêter Anne-Sophie Noury qui a véritablement tracé son chemin à force de travail et de persévérance au fil des années. Sans compter qu’avec le contexte actuel, la matière a de beaux jours devant elle… 

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