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« Moi, président »

Par Aurélia Granel avec Florence Henriet

L’élection présidentielle approche à grands pas. Les propositions de l’AFJE, du Cercle des juristes et du Cercle Montesquieu ont permis d’alimenter les débats juridiques durant les quelques semaines de campagne. En parallèle, la LJA a interrogé certains professionnels du droit sur la réforme d’ampleur prioritaire qu’ils souhaiteraient voir mener s’ils étaient candidats.

DROIT DES AFFAIRES 

« Je supprimerais la loi Hamon »,

Hubert Segain, associé, cabinet Herbert Smith Freehills

La loi Hamon, adoptée en juillet 2014 sous la présidence de François Hollande, instaure en cas d’intention de cession de la majorité du capital d’une entreprise, une information obligatoire préalable des salariés avant la cession, devant intervenir au moins deux mois avant celle-ci, afin de leur permettre de présenter une offre d’achat. L’étude d’impact de juillet 2013 partait du constat que « plusieurs milliers d’entreprises saines ne sont pas reprises alors qu’une information préalable des salariés aurait pu faciliter la transmission à ces derniers ». Le ministre délégué, qui portait ce projet de loi, Benoît Hamon, indiquait dans la même veine qu’« en instaurant pour les salariés un droit d’information et une possibilité de reprise, on permet à l’entreprise, personne morale, de perdurer après le départ d’un chef d’entreprise ».

Il est étonnant de constater qu'aucune étude économique ou statistique ne soit venue appuyer ce postulat qui voulait qu'un entrepreneur préfère cesser son activité et donc détruire des emplois, plutôt que la transmettre à un repreneur, fusse-t-il l'un de ses propres salariés. Bien que l'objectif de cette loi fut de gérer la situation des PME dont l'activité allait cesser du fait du départ du chef d'entreprise, le législateur a néanmoins créé un dispositif universel, qui s’applique à toutes les cessions d’entreprises n’ayant pas l’obligation de mettre en place un comité social et économique ou celles qui disposent d’un tel CSE, mais qui ont moins de 250 salariés et un chiffre d’affaires inférieur à 50 M€ (ou dont le bilan n’excède pas 43 M€). Même si la loi Macron de 2015 est venue corriger quelques difficultés majeures, la loi Hamon demeure d’une grande complexité et absurdité.

L’objectif poursuivi par cette loi est de favoriser la reprise d’une entreprise. Or, aucune exception n’a été prévue pour les ventes intragroupe, alors que dans cette situation, il n’y a aucun emploi à préserver et aucune survie de l’entreprise n’est mise en cause. Ensuite, la loi ne prévoit aucun calcul des seuils en salariés et en chiffre d’affaires de façon consolidée pour un groupe. Bien que cette loi aurait dû se limiter aux « vraies » PME, la rédaction de son champ d’application revient à l’appliquer à la vente de très grands groupes qui sont traditionnellement structurés sous forme de holding (disposant de moins de 50 salariés), détenant de nombreuses filiales qui, elles, dépassent très largement les seuils fixés par la loi. La loi ne prévoit pas non plus d’exception pour les sociétés cotées, ce qui implique en cas de cession d’un bloc de 50 % de demander à chaque salarié s’il souhaite remettre une offre d’achat pour le bloc et ensuite lancer une OPA sur la société en question…

Enfin, cette loi oblige le vendeur à informer les salariés lorsqu’il a l’intention de céder ses actions. Or, dans de très nombreux cas, le vendeur ne souhaitera pas initier cette procédure sans avoir progressé de manière très avancée dans les négociations avec un repreneur identifié. Le vendeur est donc contraint d’interrompre le processus de vente et d’attendre potentiellement deux mois pour purger cette obligation, alors même qu’aucun salarié ne souhaite, ou n’a les moyens de racheter le capital majoritaire de l’entreprise, et que les salariés ne disposent pas d’un droit de préférence à l’achat. Cela revient donc à du formalisme contraignant et parfaitement inefficace. Force est de constater que cette réglementation n’atteint pas son objectif. Elle est inutile, mal conçue et elle alourdit et complexifie inutilement les processus de vente. Vite, une réforme !

« Je lutterais contre le forum shopping des GAFAM »,

Cédric Dubucq, associé, cabinet Bruzzo Dubucq

Le recours aux plateformes du numérique est devenu une nécessité pour les entreprises françaises, ne serait-ce que pour y trouver un canal de promotion ou de distribution de leurs produits et services. Les principales plateformes seront, demain, appelés contrôleurs d’accès. Le Règlement sur les marchés numériques est bienvenu en ce qu’il institue un socle minimal de régulation des plateformes à l’échelle de l’Union européenne. Si son adoption est nécessaire, elle n’est cependant pas suffisante. Une difficulté contentieuse, liée à une grande incertitude jurisprudentielle, se donne à voir à l’égard des stratégies de localisation mises en place par certaines plateformes. Il est en effet fréquent de lire, dans leurs conditions générales, des clauses octroyant compétence à un juge ou un droit étranger, sans lien avec le lieu d’établissement du cocontractant de la plateforme. Il n’y a là rien d’étonnant au regard de la loi d’autonomie et de la liberté, promue par le droit international privé.

Cependant, cette liberté n’a jamais été conçue comme absolue, en témoigne les règles impératives d’electio juris et d’electio fori prévues par les règlements européens. On les rencontre tout particulièrement à l’égard des consommateurs, qui peuvent assigner sur leur territoire et invoquer, en toute hypothèse, les dispositions impératives de leur ordre juridique. Les entreprises utilisatrices des plateformes sont privées d’une telle protection, présumées fictivement être en mesure de négocier des conditions générales standardisées émises par leurs partenaires numériques. Dès lors, l’usage d’une liberté de droit international privé contredit les impératifs de loyauté et de protection du marché. Dans une perspective de lutte contre le forum shopping, il serait souhaitable de prendre conscience que les entreprises françaises sont aussi dépendantes de certains opérateurs étrangers que ne le sont les consommateurs. Car certaines dispositions impératives de l’ordre juridique français peuvent actuellement être mises en échec par le jeu de clauses attributives de compétence juridictionnelle ou de loi applicable.

Ce sont principalement la rupture brutale de relation commerciale établie et le déséquilibre significatif qui sont concernés. En raison d’un silence législatif assourdissant et de divergences jurisprudentielles aveuglantes, les entreprises sont privées de ces règles pourtant nécessaires à la protection des intérêts économiques nationaux. La jurisprudence de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation est ainsi particulièrement floue à propos du caractère de loi de police du droit des pratiques restrictives de concurrence. La proposition de règlement sur les marchés numériques précitée contient un considérant n° 39 énonçant : « Toute pratique qui entraverait, de quelque manière que ce soit, cette possibilité de faire part de préoccupations ou de demander réparation, au moyen par exemple de clauses de confidentialité dans les accords ou d’autres conditions écrites, devrait être interdite ». Une réforme audacieuse consisterait, à l’occasion de l’entrée en vigueur du Règlement, à donner tout son sens à cette formule en droit français. Il s’agirait, d’abord, de proposer une modification du Règlement Bruxelles I bis, afin de prévoir une compétence exclusive du juge du lieu d’établissement du client du contrôleur d’accès.

Une telle proposition pourrait également concerner la proposition de Règlement sur les marchés numériques. Il s’agirait, ensuite, de qualifier expressément de loi de police certaines dispositions du droit économique français, par exemple l’article L. 442-1 du code de commerce. Il n’y a qu’à ce prix que la France et l’Europe se doteront d’une protection suffisante contre les stratégies de localisation des plateformes.

« Je mettrais en place des conseillers départementaux à la restructuration, afin de familiariser les entrepreneurs avec le retournement des entreprises en difficulté »,

Numa Rengot, associé, cabinet Franklin

Le grand public n’est pas suffisamment sensibilisé sur le traitement des difficultés des entreprises. Pourtant, notre droit offre de nombreux outils pour y faire face, notamment au regard de ses voisins européens, ce qui place la France en pole position du droit des procédures collectives les plus efficaces en termes d’emplois préservés, de recouvrement des créances et de poursuite d’activité. En raison de cette désinformation, les dirigeants ne réagissent pas suffisamment en amont des difficultés que peuvent subir leurs entreprises.

Pour sortir de la crise économique post Covid, Bercy a fait un premier pas à travers la mise en place d’un conseil national de sortie de crise avec un conseiller dans chaque département pour les entreprises en situation de fragilité financière. Par définition, ce conseil a vocation à disparaître lorsque la relance aura pleinement eu lieu. Que restera-t-il pour accompagner les entreprises qui n’ont pas pu rebondir face à la crise ? Ma proposition vise à pérenniser ces conseillers départementaux tout en leur offrant des prérogatives supplémentaires. Un conseiller à la restructuration dans chaque département entouré d’une équipe au plus proche des entreprises pour informer les entrepreneurs et les TPE/PME qui ne sont pas toujours armés d’une dizaine de conseils.

Leur rôle sera de présenter à ces professionnels l’arsenal juridique du retournement et les orienter vers des conseils adaptés (avocats, conseils financiers) si besoin, afin de se placer sous la protection du tribunal de commerce, à travers une procédure amiable (conciliation, mandat ad hoc) ou judiciaire (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire). Ce guichet unique totalement gratuit sera soumis à une stricte confidentialité. Piloté par le ministère de l’Économie, chaque conseiller sera doté d’un budget proportionnel au nombre d’entreprises de son département et financé conjointement par le département et l’État, afin d’organiser des campagnes de formation à destination des entrepreneurs, pour qu’ils appréhendent au mieux les difficultés actuelles et futures que pourraient subir leurs entreprises. Côté investisseurs, ces conseillers départementaux auront un rôle à jouer dans les opportunités de reprise des entreprises à la barre du tribunal de commerce.

Force est de constater que de nombreux dossiers sont convertis en procédure de liquidation judiciaire, en raison de l’absence de repreneur à la suite d’appels d’offres restés sans réponse. Là également, le monde des affaires n’est pas suffisamment informé sur les avantages qu’offrent le plan de cession des actifs et activités et la reprise d’actifs isolés d’une société, ainsi que sur leur mise en oeuvre. Des campagnes d’informations à ce sujet illustrées par des cas concrets permettront d’éveiller l’intérêt d’investisseurs et de préserver l’emploi en offrant des solutions de retournement. Chaque conseiller aura également vocation à informer les entrepreneurs de l’ensemble des aides publiques et privées dont peuvent bénéficier les entreprises, tant relatives à la sortie de crise qu’en situation pérenne. Il sera désigné pour un mandat de deux ans, renouvelable une fois. Afin de sensibiliser un maximum de personnes, ces campagnes seront organisées en collaboration avec les chambres de commerce et les associations professionnelles.

 

FISCALITE 

 

« Je réformerais sans tabou la fiscalité des donations »,

Philippe Rochmann, associé, cabinet Maison Eck

Personne ne choisit la date de son décès et ses conséquences inévitables, en particulier celle d’imposer à ses héritiers le règlement des droits de succession. En revanche, il est loisible à chacun de donner avant son décès, permettant ainsi un transfert de patrimoine aux jeunes générations. Depuis le 17 août 2012, l’abattement sur les donations et successions en ligne directe a été diminué de 159 325 € à 100 000 €. Corrélativement, le délai nécessaire pour bénéficier de cet abattement, lors d’une nouvelle donation, est passé de 10 à 15 ans. Le délai était déjà passé de 6 à 10 ans en 2011, avec la création d’une nouvelle tranche à 45 %. Le résultat de cette mesure sur nos finances publiques ne s’est pas fait attendre.

À l’inverse de l’effet escompté par les promoteurs de la loi, à savoir une augmentation des droits de donation, c’est bien une baisse de ces droits qui a été constatée, s’élevant d’après la direction générale du Trésor (rapport n° 2021/5, décembre 2021) à 1,3 Md€ en 2013, contre 1,6 Md€ en 2011. Or, des incitations fiscales pour transmettre une partie de son patrimoine de son vivant peuvent, en dépit de cette récente « contre-performance », présenter un intérêt pour l’État, en augmentant la perception de droits, certes moins élevés pour chaque contribuable, mais plus importants au global. En outre, donner aux plus jeunes permet d’injecter dans l’économie des liquidités qui « dorment » chez les plus anciens.

Quelques pistes de réflexions peuvent être données de manière à injecter de l’argent dans l’économie tout en augmentant les recettes fiscales de l’État : revenir au délai de 6 ans, applicable jusqu’en 2011, permettant l’application de l’abattement à une nouvelle donation ; augmenter l’abattement de 100 000 € à 200 000 € et l’indexer tous les ans ; corrélativement diminuer cet abattement en cas de succession ; créer un abattement sur les donations en pleine propriété qui dépend, non pas de l’âge de celui qui donne, comme cela existait avant 2011, mais de l’âge de celui qui reçoit. Par exemple, un abattement de 50 % si le donataire a moins de 35 ans et un abattement de 30 % si le donataire a moins de 45 ans pourraient être incitatifs ; créer un barème spécial pour les donations, différent du barème appliqué aux droits de succession, dont le taux maximum pourrait être inférieur au taux maximum actuel de 45 % appliqué aux donations et successions en ligne directe.

Par exemple une tranche à 15 % et une tranche à 30 % pourraient être créées ; et appliquer un barème identique pour toutes les donations, y compris celles qui ne sont pas en ligne directe (dans ce cas, les taux d’imposition sont actuellement fixés jusqu’à 60 % sur la quasi-totalité des montants transmis), donc sans aucune progressivité pour les donations entre personnes qui ne font pas partie d’une même famille. Certes, faciliter les donations en diminuant les droits est susceptible de diminuer l’assiette des droits de succession. Cependant, cette diminution s’effectuerait forcément sur le long terme dans la mesure où les donations seront effectuées par hypothèse aux jeunes générations, c’est-à-dire longtemps avant le décès de leur auteur (compte tenu de l’allongement de la durée de vie). De plus, pendant cette période, les bénéficiaires des donations auront l’occasion de consommer en payant de la TVA, de s’enrichir en réglant de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, de payer des droits d’enregistrement sur l’acquisition de biens immobiliers et pourquoi pas, de régler des droits de donation, en transmettant à leur tour une partie de leur patrimoine à leurs enfants !

« Je redonnerais du souffle à la fiscalité immobilière »,

Jérôme Barré, associé, cabinet Yards

L’immobilier est considéré comme LA valeur refuge des Français : la pierre est un actif tangible qui rassure les investisseurs. Nombreux sont donc les particuliers détenant de l’immobilier. Qu’il s’agisse de la résidence principale ou secondaire, contrairement aux titres de portefeuille, il peut s’acquérir en outre par l’emprunt. La cession de la résidence principale, îlot symbolique irréductible, n’entraîne ni plus-value ni prélèvement social.

La question se complique pour la cession des résidences secondaires ou de l’immobilier locatif, car la plus-value, déterminée notamment en fonction de la durée de détention du bien, est taxée au taux de 19 %, auquel s’ajoutent les magnifiques prélèvements sociaux de 17,2 %, puis, raffinements complémentaires, la taxe sur les plus-values « élevées », de 2 à 6 %, et enfin la contribution « exceptionnelle » sur les hauts revenus de 3 ou 4 %. Que du bonheur, à un taux maximum de 46,2 %. Là où le bât blesse, est qu’il faut attendre 22 ans pour effacer totalement les 19 + 4 + 6 %, et 30 ans pour les 17,2 %. Ce délai a longtemps été de 22 ans « tout compris » (impôt et prélèvements sociaux). Elle est passée à 12 ans sous le président Nicolas Sarkozy. Puis les délais de 22 et 30 ans ont été adoptés sous le président François Hollande.

On trouvera normal d’accorder aux investisseurs une exonération de taxes, sous réserve d’une détention longue qui purgera leur vilaine intention spéculatrice. Mais, ce n’est pas le poison qui tue, c’est sa dose. Une durée aussi longue, très mal perçue dans sa dichotomie impôts/ prélèvements sociaux, et qui n’en finit pas, englue tout un pan du patrimoine foncier. Lorsqu’un immeuble est cédé, l’État encaisse immédiatement droits d’enregistrement et impôt de plus-value le cas échéant. Des droits de mutation à titre gratuit sont versés si le bien a été donné préalablement. Le notaire, l’agence immobilière, l’avocat et l’expert-comptable encaissent des honoraires. Le changement de propriétaire entraîne la réalisation de travaux. À chaque étape, l’État empoche sa part. Présenterait donc un véritable intérêt pour tous, la recherche d’un équilibre entre l’impôt de plus-value et les prélèvements sociaux qui tardent à arriver pour l’État, et une accélération de la rotation des ventes, qui rajeunirait le patrimoine et dégagerait ainsi plus fréquemment du bon chiffre d’affaires. Plusieurs constats peuvent être établis. Il est possible, mais plus rare, d’investir dans l’immobilier secondaire ou locatif avant l’âge de 30 ans. Le plus souvent, ce sont d’abord les résidences principales qui ont la faveur des acquéreurs, de sorte que c’est ultérieurement, entre 30 et 40 ans, ou entre 40 et 50, voire après 50 ans, qu’une résidence secondaire est acquise.

Ainsi, si l’on divise la vie d’un être humain en tranches de 30 ans, sur une vie de 90 ans, et si l’on exclut par hypothèse la tranche d’âge comprise entre 0 et 30 ans, l’exonération totale pour la durée de détention n’a de chance de s’appliquer qu’une seule fois par vie humaine. Améliorer la rotation des ventes et des achats, permettrait : (i) de libérer l’immobilier, notamment dans les zones tendues dans lesquelles la demande dépasse l’offre, ce qui a pour effet de faire flamber les prix et freiner l’accès à la propriété des ménages (le vendeur ne cède pas forcément une résidence principale, l’acheteur peut rechercher une résidence principale) ; (ii) de rafraîchir les transactions en autorisant bon nombre de retraités à retrouver un capital chèrement payé, et attendu trop longtemps, pour leurs vieux jours et aujourd’hui immobilisé, autorisant ainsi un complément de retraite serein pouvant financer la dépendance ; (iii) de soutenir le réinvestissement dans l’économie et la consommation ; (iv) de favoriser la transmission de liquidités aux jeunes générations, qui ont davantage besoin de financer leurs projets que de détenir passivement de la nue-propriété immobilière sur une longue durée ; (v) et d’entretenir plus tôt et plus souvent, le parc immobilier français, grâce à la rénovation des logements achetés par les nouveaux propriétaires. Aussi, une durée de détention de 10 ou 12 ans, serait suffisante pour purger la spéculation et entraîner une meilleure rotation du parc immobilier, favorisant sa redistribution et son rajeunissement. Intéressant non ?

 

 

« Je supprimerais les droits de mutation à titre gratuit »,

Jean-François Desbuquois, associé, cabinet Fidal

Les droits de mutation à titre gratuit sont perçus de manière très négative en France par l’opinion publique pour deux raisons principales. Les citoyens considèrent qu’ils aboutissent à taxer de nouveau, à l’occasion de la succession, la totalité d’un patrimoine qui a déjà subi différentes impositions tout au long de sa constitution, puis de sa détention, par le défunt. Et les taux d’imposition sont beaucoup plus élevés en France que dans tous les autres pays européens (le taux marginal de 45 % est atteint en France à partir de 1,8 M€ pour un héritier en ligne directe, alors qu’en Allemagne il n’est que de 30 % et au-delà de 26 M€).

Ce sentiment de rejet devrait s’exacerber encore à l’avenir en raison d’un double phénomène. Le poids effectif de l’impôt perçu sur les mutations à titre gratuit s’accroît actuellement en France dans des proportions extrêmement importantes. Alors qu’il représentait un peu moins de 8 Mds€ en 2010, il atteindra 17,5 Mds€ en 2022, soit une augmentation de 120 % en 12 ans. Par ailleurs, depuis quelques années, certaines voix préconisent d’accroître encore cette imposition, pour empêcher que les parents ne puissent transmettre à leurs enfants un héritage trop important, dans l’objectif de limiter les inégalités sociales. Une telle proposition ne peut que renforcer l’exaspération de tous ceux qui estiment légitime de pouvoir transmettre un héritage à leurs enfants. Elle est aussi contraire au fondement même de l’impôt tel que défini par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ; et constituerait une atteinte manifeste au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 du même texte. Il me semble qu’une réforme ambitieuse serait possible.

Elle consisterait à supprimer purement et simplement les droits de mutation à titre gratuit. Pour compenser la diminution des recettes fiscales, il pourrait être envisagé de taxer les plus-values latentes existantes au niveau du disposant sur les biens qu’il transmet par succession ou donation (ce qui n’est pas le cas actuellement). Le régime de plus-values mobilières ou immobilières s’appliquerait comme à l’occasion d’une vente avec les mêmes exonérations (résidence principale par exemple), les mêmes abattements, etc. Concernant les biens devant être préservés d’un paiement immédiat de l’impôt, pour permettre aux héritiers de continuer à les gérer dans l’intérêt général (entreprises, monuments historiques ouverts au public), il suffirait d’instituer un sursis de paiement, qui prendrait fin si les héritiers vendent les biens ultérieurement, ce qui constituerait une puissante incitation à les conserver. Une telle imposition qui ne frapperait que des plus-values n’ayant pas encore été taxées, et non le patrimoine total du défunt, serait beaucoup plus acceptable en termes de consentement à l’impôt. Un tel système existe déjà dans certains états tel le Canada qui n’applique pas d’impôt spécifique sur les successions, mais dont le régime de la « disposition réputée » revient à considérer fictivement que le défunt vend ses biens, un instant de raison avant son décès, ce qui permet d’imposer les plus-values latentes. Un tel dispositif n’est bien sûr concevable que dans l’hypothèse d’une suppression totale des droits de succession et non en cumul.

« J’adapterais le pacte Dutreil à la logique entrepreneuriale »,

Stéphane de Lassus, associé, cabinet Charles Russell Speechlys

La transmission d’une entreprise est une étape charnière, qui soulève d’importants enjeux économiques et humains susceptibles d’impacter sa pérennité et donc les emplois qui y sont liés. Le dispositif Dutreil, qui permet déjà de diminuer le coût de la transmission d’une entreprise individuelle ou d’une société, revêt ainsi une importance majeure, en particulier dans le contexte économique actuel, mais n’est pas toujours adapté. En pratique, on constate une diminution du nombre de reprises d’entreprises, laquelle, mise en parallèle avec le vieillissement des dirigeants d’entreprise, menace la préservation du tissu économique français, qui joue pourtant un rôle central dans la création et le maintien de l’emploi.

Pour faciliter la transmission des PME et des ETI, le pacte Dutreil devrait être modulable pour pouvoir s’adapter aux besoins d’entreprises qui obéissent à des politiques entrepreneuriales et des stratégies financières différentes selon les secteurs d’activité, tailles, actionnaires, etc. Pour rappel, le régime Dutreil, applicable en cas de transmission à titre gratuit, permet de réduire de trois-quarts la valeur imposable des parts ou actions d’une société exerçant une activité économique opérationnelle. Cette réduction de la base imposable est toutefois subordonnée au respect d’un certain nombre de conditions, notamment celle pour les héritiers, donataires ou légataires de conserver les titres transmis pendant au moins quatre ans, voire six ans. Une telle durée fait obstacle à l’utilisation du régime Dutreil pour la transmission des start-up, dont l’actionnariat a vocation à être fréquemment modifié, notamment lors des levées de fonds. Pour répondre aux exigences des « serial entrepreneurs », il pourrait être créé un « Dutreil start-up », avec des échéances de conservation plus courtes (2 à 3 ans), mais ayant pour contrepartie l’obligation de réinvestissement du produit de cession dans de nouvelles structures.

Parallèlement, pour les ETI et PME s’inscrivant dans un cadre familial et obéissant davantage à une logique de long terme et de stabilité de l’actionnariat, il serait envisagé un Dutreil à échéances plus longues (6/8/10 ans), mais ouvrant droit à une exonération plus importante, voire totale, de la base imposable (de 75 à 95 % d’exonération). Adapter le pacte Dutreil à la logique entrepreneuriale propre à chaque type de société permettrait de moderniser ce dispositif et ainsi de favoriser la transmission d’entreprises dans des conditions assurant leur pérennité. L’obligation de réinvestissement pour les start-up ou l’allongement de la durée de conservation pour les entreprises familiales devraient constituer des conditions suffisamment rigoureuses pour éviter la censure du Conseil constitutionnel.

 

INSTITUTIONS

« Je réformerais le Conseil constitutionnel »

François-Henri Briard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

Le contentieux constitutionnel se développe en France, notamment sous l’influence de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette mutation ne s’est pourtant pas accompagnée d’une évolution du Conseil constitutionnel et de ses procédures. Il est temps de consacrer celui-ci comme juridiction suprême de plein exercice. L’une des premières mesures serait de modifier les conditions de nomination des membres. Les nominations intervenues en février 2022 témoignent de l’incompréhension persistante en France de ce qui fait d’une cour suprême constitutionnelle une véritable juridiction. Nous continuons de nommer d’anciens responsables politiques, d’anciens Premier ministres et ministres, des hauts fonctionnaires, des personnalités sans aucune formation juridique…

Cette situation est navrante et paradoxale dans le pays qui a conçu la séparation des pouvoirs ; elle ruine le statut d’indépendance et d’impartialité du Conseil constitutionnel, dénature l’image de la France à l’étranger et altère surtout profondément la confiance que nos concitoyens devraient accorder à cette institution. Soulignons le caractère impérieux d’un changement de paradigme, notamment en prenant modèle sur la stricte tradition américaine de ne nommer que de solides juristes à la Cour suprême fédérale, pionnière du contrôle de constitutionnalité. La nomination exclusive de professionnels du droit devra s’accompagner de la création d’un véritable processus de confirmation par une commission spéciale multi-partisane. Une seconde mesure serait de sortir les anciens présidents de la République. L’alinéa 56 alinéa 2 utilise ces mots étranges « en sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens présidents de la République ».

Quelle singulière idée gaullienne et quelle confusion des genres d’avoir voulu ajouter, « en sus » des membres ordinaires nommés pour neuf ans, des membres surnuméraires de droit, présents à vie, qui ont exercé la fonction exécutive suprême. « En sus » est en réalité « en trop ». Cette présence baroque des anciens présidents de la République (non exercée par les présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande) est là aussi une offense à la séparation des pouvoirs et à la fonction juridictionnelle du Conseil constitutionnel. Il est urgent d’en finir. La troisième mesure serait de supprimer le filtrage des QPC par le Conseil d’État et la Cour de cassation. La révision constitutionnelle de 2008 n’aurait sans doute pu voir le jour sans que soient associées étroitement les deux juridictions suprêmes de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire.

Mais l’article 61-1 de la Constitution a vécu. Plus de dix ans après la mise en oeuvre de la réforme, il n’est plus concevable que le Conseil constitutionnel soit la seule juridiction constitutionnelle du monde à ne pas disposer de son propre agenda et que les affaires qui lui sont soumises soient laborieusement et parfois étrangement sélectionnées par d’autres juges, notamment quand il est demandé à ces derniers de saborder leur interprétation jurisprudentielle de la loi. Il faut un filtrage bien sûr, mais celui-ci ne peut être exercé que par le Conseil constitutionnel lui-même. Enfin, une dernière mesure serait de moderniser et renforcer l’institution. Le Conseil constitutionnel fêtera ses 70 ans en 2028. Il faut souhaiter que sa mutation en juridiction de plein exercice soit enfin accomplie : renforcement de la procédure contradictoire, notamment en contrôle a priori, introduction des opinions dissidentes ou concurrentes, création d’une véritable administration du Conseil, dotation de chacun des membres de moyens matériels et humains (chaque membre devra notamment disposer, comme sur Capitol Hill, d’une suite de bureaux et d’une équipe de juristes choisis).

 

« Je moderniserais le droit français dans sa fabrique »,

Marc Mossé, président sortant de l’AFJE

Dans une société qui exige protection et innovation, souveraineté et ouverture, il faut une réforme institutionnelle qui favorise un droit agile. Une piste serait de renforcer la qualité et les conséquences institutionnelles des études d’impact et des évaluations ex-post, dans le cadre de la procédure législative et de l’exercice du pouvoir réglementaire. Comment les améliorer ? D’abord, il conviendrait d’étendre le champ au-delà des projets de loi. Les propositions de loi, les amendements d’origine parlementaire ou gouvernementale et de portée substantielle, les textes réglementaires devraient être concernés. L’objectif de ces analyses devraient être clair : cette réglementation est-elle nécessaire ou non ?

Ensuite, il serait bienvenu que ces études soient réalisées suffisamment en amont, pour que les parties prenantes puissent être consultées ou tout simplement que ces études soient soumises à consultation publique. Pourquoi ne pas prendre exemple sur le droit de l’UE, dans lequel les rapports d’analyse d’impact sont soumis à consultation publique. Une fois le projet de réglementation finalisé, celui-ci et son étude d’impact sont soumis à une nouvelle consultation. À cet égard, il serait essentiel que la société civile et les entreprises notamment soient consultées au stade de l’élaboration des études. En effet, l’une des faiblesses des études d’impact à la française constamment relevée, tient à ce qu’elles sont préparées sans réelle interaction, voire confrontation, avec les destinataires de la norme envisagée.

Une consultation préalable des professionnels compétents et en particulier des organisations représentatives des juristes d’entreprise serait évidemment une mesure bienvenue. Par ailleurs, il importerait que les études d’impact comprennent – et en particulier pour tout texte à portée économique et sociale – une appréciation précise des conséquences du texte en cours d’élaboration sur la compétitivité et l’attractivité de notre économie. Il est peu de dire que les études d’impact telles que prévues ne remplissent pas leur fonction.

C’est le cas en Allemagne depuis 1996 et c’est, là encore, la situation au niveau de l’UE, puisque les incidences sur les PME et la compétitivité sont indispensables, en sus de celles sur l’environnement et les aspects sociaux et économiques plus largement entendus. Enfin, le droit à l’expérimentation permis par l’article 37-1 de la Constitution doit être davantage utilisé, de manière à établir les régulations nécessaires, tout en favorisant l’innovation. Cela peut être particulièrement utile dans les secteurs liés à la transition écologique, la transformation numérique ou bien encore pour permettre aux territoires et à leurs écosystèmes de porter des projets innovants. Bien sûr, le principe d’égalité et les principes fondamentaux de notre droit devraient être respectés en toutes circonstances. Ce pourrait être un moyen de faciliter les approches multi-parties prenantes pour aborder des questions nouvelles.

 

DROIT PENAL

« J’encadrerais le droit pénal fiscal »,

Emmanuel Dinh, associé, cabinet Couderc Dinh & Associés

La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est un objectif légitime, dans un contexte d’attrition des recettes publiques, et en regard des effets perturbateurs des comportements d’évitement fiscal sur la démocratie ellemême. C’est dans cette logique que, ces dernières années, le droit fiscal s’est montré plus répressif. Cette tendance doit toutefois être encadrée par une meilleure délimitation des frontières entre les comportements fiscaux frauduleux et les comportements fiscaux optimisants visés par l’abus de droit. La fraude fiscale est définie de façon large, à l’article 1741 du code général des impôts, comme la soustraction ou tentative de soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement de ses impôts, et est passible d’une peine de prison de cinq ans et une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, l’amende étant multipliée par cinq pour les personnes morales.

L’abus de droit, quant à lui, est défini à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales et permet l’inopposabilité à l’administration fiscale des actes fictifs (hypothèse de simulation), ainsi que des actes poursuivant un but fiscal exclusif et recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs (hypothèse de fraude à la loi) en même temps que l’imposition de sanctions administratives (majoration de droits de 80 %). La loi sur la fraude fiscale du 23 octobre 2018 a, pour sa part, aménagé le « verrou de Bercy » qui subordonnait la poursuite de la fraude fiscale au dépôt d’une plainte de l’administration, après avis favorable de la Commission des infractions fiscales. Désormais, l’administration est tenue de dénoncer au procureur les faits qui ont conduit à un redressement d’un montant supérieur à 100 000 € et à l’application d’une majoration de 100 %, 80 % et de 40 % (en cas de récidive dans les six ans). Sur le plan quantitatif, la transmission automatique augmente le nombre de dossiers fiscaux soumis au parquet (trois fois plus que par le passé). Sur le plan qualitatif, la typologie des dossiers auxquels les procureurs auront accès est différente.

Auparavant, l’administration ne déposait plainte qu’au titre des dossiers marqués au sceau de la fraude la plus évidente, tandis que les dossiers les plus techniques et complexes, concernant les grands groupes et les grandes fortunes, étaient réglés par voie de transaction ou de règlement d’ensemble. Aujourd’hui, le parquet aura à connaître de ces dossiers (prix de transfert, établissement stable, management packages). Dans ces conditions, un encadrement de la pénalisation du droit fiscal est souhaitable. Sur le fond du droit, il convient de mieux définir les contours des notions d’abus de droit et de fraude fiscale. L’abus de droit par simulation peut en principe faire l’objet de poursuites pour fraude fiscale, la fictivité étant le vecteur de la dissimulation. En revanche, les choses ne sont pas aussi évidentes s’agissant de l’abus de droit par fraude à la loi, qui met en jeu des actes parfaitement valides sur le plan juridique. Dans cette hypothèse, la soustraction « frauduleuse » à l’impôt ne peut provenir que de la méconnaissance de l’objectif de l’auteur du texte, comme l’exige l’article L. 64 du LPF. Or, en pratique, il est souvent difficile d’identifier un tel objectif.

Dès lors qu’il existe une incertitude sur ce point, l’abus de droit devra être écarté, de même que la qualification de fraude fiscale (le contribuable n’ayant pas conscience de commettre un acte illicite). Ce n’est pas la tendance de la jurisprudence la plus récente. Je propose donc de compléter la formule de l’article L. 64 du LPF en prévoyant expressément, s’agissant de la fraude à la loi, que le non-respect des objectifs de l’auteur du texte doit être prouvé sur la base d’éléments objectifs (exposé des motifs, travaux préparatoires, etc.) et que cette démonstration est une condition substantielle du déclenchement du mécanisme. Sur le plan procédural, je propose une meilleure articulation des procédures pénale et fiscale, dont l’indépendance de principe a déjà été infléchie par les décisions du Conseil constitutionnel du 24 juin 2016, en fixant une obligation, pour le juge pénal, de surseoir à statuer tant qu’une instance fiscale est pendante, afin d’éviter la situation où un contribuable pourrait être condamné par un juge pénal pour fraude fiscale, avant d’obtenir une décharge devant le juge fiscal, ne lui laissant que la procédure de révision comme solution. Il en va du respect de la sécurité juridique et des droits fondamentaux des contribuables.

« J’étendrais la CJIP aux personnes physiques »,

Jean Tamalet, associé, cabinet King & Spalding

Le coup de tonnerre de l’affaire Bolloré, il y a déjà un an, suivi de plusieurs refus d’homologation, a permis de mettre en évidence l’absence de cohérence entre la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), réservée aux personnes morales, et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), réservée aux personnes physiques. Au cours d’une même audience, le tribunal judiciaire de Paris a refusé d’homologuer la CRPC des dirigeants, alors même que ce tribunal avait préalablement validé la CJIP de la société. Les personnes physiques ont ainsi été renvoyées vers une longue et coûteuse procédure d’instruction. Une telle différence de traitement est synonyme d’insécurité juridique pour les chefs d’entreprise et d’inefficacité de notre système judiciaire. Plus encore, si les deux procédures permettent à la personne physique (en cas de CRPC) et à la personne morale (en cas de CJIP) d’éviter une audience correctionnelle en négociant une mesure qui doit ensuite être homologuée par un juge, une différence majeure réside dans le caractère obligatoire de la reconnaissance de culpabilité de la personne physique pour bénéficier d’une CRPC.

La CJIP n’impose, en effet, quant à elle qu’une reconnaissance des faits en cas d’enquête préliminaire réalisée par le Parquet National Financier (PNF) ou une reconnaissance des faits et de la qualification pénale en cas d’information judiciaire. Une seconde différence – et pas des moindres – repose sur l’absence d’inscription au casier judiciaire en cas de CJIP, qui fait en revanche l’objet d’une publication sur le site de l’Agence française anticorruption et d’un communiqué de presse du parquet. Aussi, si les conséquences réputationnelles peuvent être parfois importantes en cas de CJIP compte tenu de la visibilité donnée, les conséquences professionnelles peuvent en revanche être bien plus dramatiques en cas de CRPC ; l’inscription au casier judiciaire étant susceptible d’écarter de facto les intéressés des marchés publics.

Une telle dissymétrie se justifie d’autant moins que les dirigeants de la personne morale doivent coopérer activement lors de l’enquête pour permettre à la société de bénéficier d’une CJIP ; entraînant généralement implicitement une reconnaissance du rôle joué par la personne physique. Ainsi, en cas d’échec de la CRPC et de renvoi devant la juridiction d’instruction ou le tribunal correctionnel et malgré l’interdiction de prendre en compte la déclaration de culpabilité en cas d’échec de la CRPC prévue à l’article 495-14 du code de procédure pénale, il est à craindre que les juges s’en tiennent aux éléments établis dans le cadre de la CJIP, notamment sur le rôle joué par le dirigeant. Face à de tels risques, les personnes physiques seront moins enclines à recourir à cette justice négociée que le législateur a pourtant appelée de ses voeux. Il semble dans l’intérêt, tant de la manifestation de la vérité que des droits de la défense, de traiter de manière similaire personne physique et personne morale dans les cas où elles sont toutes les deux mises en cause et liées l’une à l’autre. Une telle réforme permettrait à l’autorité judiciaire de désengorger les tribunaux et de favoriser la coopération. Les dirigeants pourraient quant à eux s’éviter des délais de procédures extrêmement longs et coûteux et surtout préserver leur réputation en contrôlant leur communication dès lors qu’aucune reconnaissance de culpabilité ne serait en jeu. Il nous faut franchir une nouvelle étape en faveur d’une justice plus adaptée, rapide, cohérente et efficace.

 

SOCIAL

« Je repenserais le mode de calcul des dommages et intérêts du licenciement sans cause réelle et sérieuse »,

Déborah Fallik Maymard, associée, cabinet Redlink

Si certains conseils de prud’hommes font l’objet d’une importante surcharge, il est constant que, depuis l’ordonnance ayant instauré, le 22 septembre 2017, le barème « Macron » (article L. 1235-3 du code du travail), la répartition de cette surcharge est inégale. En effet, les praticiens constatent un engorgement particulier des sections encadrement dont les demandeurs peuvent espérer une indemnisation significative en cas de décision favorable. Les raisons sont relativement simples : le principe indemnitaire, notamment en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, est déterminé en mois de salaire.

L’idée, louable, est de réparer le préjudice de la perte d’emploi en fonction du niveau de vie du demandeur. Toutefois, compte tenu de la réforme de 2017, ce principe a clairement défavorisé les salariés non-cadres percevant de faible rémunération. À titre d’exemple, en cas de licenciement injustifié intervenant après 5 années d’ancienneté et moins de 6 années, les demandeurs peuvent prétendre à une indemnisation maximale de 6 mois. De même, après 2 années d’ancienneté et moins de 3 années, les demandeurs peuvent prétendre à une indemnisation maximale de 3,5 mois. À l’inverse, un salarié bénéficiant d’une rémunération importante peut espérer bénéficier d’une indemnisation qui, en réalité, sera bien au-delà de la réparation de son préjudice. Si le barème permet clairement de sécuriser les rapports juridiques entre employeur et salarié, il aurait été opportun de fixer également des minimums et des maximums chiffrés, afin de limiter les écarts de traitement significatifs entre les cadres et les non-cadres.

À cela, s’ajoutent également les demandes récurrentes (qui peuvent être justifiées au demeurant) de rappel d’heures supplémentaires exécutées et non payées (adossées parfois à des demandes de nullité des conventions de forfait en jours). En pratique, beaucoup de contrats de travail, de cadres notamment, ne définissent pas de durée du travail particulière, impliquant l’application de la durée légale de 35 heures par semaine. Or, en cas de litige, certains salariés percevant d’importantes rémunérations n’hésitent pas à solliciter des heures supplémentaires non payées. Si le raisonnement juridique est implacable en l’état actuel du droit, il interroge en équité. En effet, un salarié peut-il raisonnablement solliciter le paiement d’heures supplémentaires lorsque, occupant un poste à responsabilité, il perçoit une rémunération supérieure à 10 000 € bruts mensuels par exemple ?

La question mérite d’être posée car, loin d’être théorique, elle peut aboutir à des décisions lourdes et incomprises des employeurs, notamment des TPE et PME ne disposant pas de service juridique ou RH dédié. Ainsi, si tous les salariés doivent se voir appliquer la réglementation afférente à la durée du travail, on pourrait imaginer que, au-delà d’une certaine rémunération mensuelle chiffrée, aucune demande d’heures supplémentaires ne pourrait être formulée ou, à tout le moins qu’elle soit plafonnée. Cela n’empêcherait pas une indemnisation spécifique liée à la violation d’une obligation de sécurité en cas de surcharge manifeste.

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