Réformer le droit français de l’arbitrage
Remis le 20 mars 2025 au garde des Sceaux, le rapport du groupe de travail sur la réforme du droit français de l’arbitrage, co-présidé par le magistrat François Ancel et le professeur Thomas Clay, avec le concours de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS), a été publié le 26 mars sur le site de la Chancellerie. Il propose l’adoption d’un code de l’arbitrage, qui comporte 146 articles et 40 propositions pour rendre l’arbitrage plus autonome, plus efficace et plus attractif. L’objectif étant de rassembler les textes applicables en un seul corpus indépendant pour formaliser l’autonomie de l’arbitrage et ne plus enfermer l’arbitrage dans une enclave de procédure civile. Pourquoi ce rapport ? Quelles en sont les grandes lignes ? Quelles conséquences potentielles pour les entreprises ?
Le contexte de travail
Flore Poloni : Pour débuter le débat, il convient de rappeler le décret de 2011, qui a été très utile car il a permis d’intégrer dans le code de procédure civile un certain nombre de principes jurisprudentiels. Il représentait alors une avancée considérable. Avant ce décret, il faut bien le dire, le droit de l’arbitrage était assez illisible : les praticiens devaient se référer à une jurisprudence abondante, qui n’était pas nécessairement en cohérence avec les textes. Le décret de 2011 a donc marqué une étape importante, et la France dispose aujourd’hui d’un excellent droit de l’arbitrage.
L’objectif du rapport Ancel-Clay n’est pas de remettre en cause ce qui a été fait en 2011. Il ne s’y oppose pas. Il s’inscrit plutôt dans un contexte plus large, celui d’une volonté affirmée, exprimée d’ailleurs par Gérald Darmanin lui-même, d’inscrire l’arbitrage dans une stratégie d’influence par le droit. Il s’agit de repositionner Paris comme un centre névralgique du droit, notamment dans le champ de l’arbitrage international, qui est sans doute l’un des domaines juridiques les plus visibles sur la scène internationale. Ce rapport est donc un outil qui vise à rappeler au monde entier pourquoi Paris est une place incontournable en matière d’arbitrage. L’objectif est de renforcer encore notre attractivité, non pas parce que nous serions à la traîne, mais justement parce que nous devons continuer à avancer, à anticiper la concurrence internationale croissante. Rendre notre droit encore plus lisible, plus souple, plus adapté et plus efficace.
Ana Vermal : L’ambition du rapport n’est pas de faire table rase du passé. Et d’ailleurs, même si l’on s’accorde en France pour saluer les acquis du décret de 2011, il faut reconnaître qu’une jurisprudence abondante s’est développée depuis. Presque quinze ans après, se posait donc naturellement la question : fallait-il intégrer ces nouveaux acquis jurisprudentiels dans les textes de loi, ou au contraire, les laisser évoluer en marge des dispositions réglementaires ? Ce projet fait le choix de les intégrer, non sans sélection. La portée de certaines décisions n’a pas été reprise dans le projet, ce qui ne constitue pas nécessairement un désaveu, mais on laisse à la jurisprudence la possibilité de poursuivre son travail sur ces points-là. Par ailleurs, dans un contexte où plusieurs pays réforment actuellement leur droit de l’arbitrage, l’Angleterre l’a récemment fait, en Allemagne une réforme est en cours, il paraissait pertinent que la France engage à son tour une réflexion sur la mise à jour de ses règles.
L’idée était à la fois de faire évoluer certains points du décret existant, d’incorporer une partie de la jurisprudence, et de clarifier le tout. Ce qui me paraît peut-être le plus marquant dans cette réforme, c’est la volonté d’isoler le droit de l’arbitrage dans un corpus identifié sous l’appellation de « code », pour lui donner de la visibilité internationale. Tous les pays ne disposent pas d’un code.
Philippe Coen : Ce rapport apporte plus de souplesse, plus de règles lisibles et de prévisibilité : ce sont des éléments très positifs pour les entreprises. Je formulerai cependant quelques réserves pour contribuer positivement à la réflexion. Ce qui frappe, c’est le risque d’indifférenciation vis-à-vis de la justice et du contentieux classique et judiciaire. Lorsqu’une entreprise choisit entre la voie judiciaire et l’arbitrage, c’est en principe parce que ces deux systèmes offrent des avantages différents, des stratégies distinctes.
À mes yeux, cette réforme a tout du reflet d’un excellent coup de communication. Je perçois plutôt cela comme si l’on cherchait à faire rentrer dans le rang des règles de conduites de résolution de conflit peut être un petit peu « débridées » ce qui explique l’intérêt et la volonté de cette réforme.
Cela dit, je comprends l’ambition de placer Paris comme une place de droit international plus attractive et le projet est tout à fait louable dans ce sens. C’est légitime, notamment pour les entreprises qui ont besoin de repères et de clarté de certaines règles. Je pense notamment aux sujets de nomination des arbitres, etc… Mais ce qui me préoccupe, c’est la perte de différenciation entre arbitrage et procès classique.
Autre réserve : j’ai une impression de mise sous tutelle plus marquée qu’auparavant des arbitres par le corps judiciaire. Certes, cela permet une plus grande clarté, mais cette volonté de « remettre dans le rang » le corps arbitral me semble introduire une forme d’infantilisation, contraire à l’esprit qui a historiquement caractérisé l’arbitrage. Je ne pense pas qu’il y ait eu une telle déperdition de confiance qui justifierait le recours à un encadrement aussi appuyé du système. J’avance cet argument en toute conscience, quitte à paraître provocateur, mais il me semble essentiel qu’un véritable contre-argumentaire puisse exister dans ce débat.
Daniel Mainguy : De manière générale, toute réforme présente deux effets principaux. Le premier est positif : elle permet de faire évoluer une situation juridique antérieure. Le second, plus délicat, réside dans la crainte du changement : ce qui est nouveau est, par nature, difficile à anticiper et suscite toujours des incertitudes, des craintes d’effets pervers d’une innovation, etc.
En ce qui concerne la question de l’attractivité du droit français de l’arbirage, je partage totalement l’avis de Flore Poloni : la France bénéficie, à cet égard, d’atouts considérables. On dit souvent que Paris est la capitale mondiale de l’arbitrage, ce qui repose sur plusieurs éléments. D’abord, il y a un facteur historique presque fortuit : le siège de la CCI (Chambre de commerce internationale) se trouve à Paris. Elle attire mécaniquement un volume important d’arbitrages, qui, sans elle, ne se dérouleraient peut-être pas ici. Mais ce positionnement ne tiendrait pas sans une tradition juridique ancienne et solide.
En 2025, nous célébrons d’ailleurs le centenaire de la reconnaissance légale des clauses compromissoires, consacrée par la loi de 1925 dans le code de commerce. Cette réforme a été fondatrice. Elle a permis l’essor d’un arbitrage commercial international qui s’est développé en parallèle du code civil et du code de commerce. C’est ce qui donne au droit français une originalité certaine. Depuis lors, la jurisprudence française a été extrêmement favorable au développement de l’arbitrage, en particulier en affirmant la notion d’autonomie. Cette autonomie s’exprime à plusieurs niveaux.
C’est l’essence même de l’arrêt Dalico, que je considère comme l’un des plus marquants de la jurisprudence française par son audace, son originalité et sa portée. Il ne s’agit pas uniquement d’affirmer une autonomie juridique : la jurisprudence française reconnaît également l’autonomie de la sentence arbitrale, notamment en acceptant son exequatur en France, même en cas d’annulation dans un autre État. C’est une affirmation puissante de la souveraineté de la justice arbitrale. Paris reste l’une des rares places où se tiennent des arbitrages véritablement internationaux, c’est-à-dire des procédures où aucune partie, aucun arbitre, aucun intérêt n’est français. Ce n’est possible qu’à Paris, Londres, en Suisse ou à Stockholm par exemple. Et cela confère une responsabilité juridique majeure à nos juridictions, notamment en matière de reconnaissance et d’exécution des sentences.
Cela étant, depuis le décret de 2011, plusieurs éléments ont profondément changé. D’abord la réalité géopolitique du monde. L’ordre international dans lequel nous baignions en 2011 n’existe plus. Les « dividendes de la paix » ont cédé la place au « fracas des missiles ». Le contexte géopolitique est désormais profondément instable et fragmenté, avec des répercussions concrètes sur les arbitrages eux-mêmes. Ainsi, je rappelle que 25 % des arbitrages en cours devant la CCI concernent des personnes ou entités sous sanctions diverses.
En outre, la conception française du droit international a été bouleversée, d’abord par l’élargissement des éléments l’intégrant, de la corruption et autres délits associés au moment des affaires Belokon (Civ. 1re, 23 mars 2022, FS-B+B, n° 17‑17.981) et Sorelec (Cass. 1re chambre civile, 7 septembre 2022, n° 20‑22.118, Libye c. SORELEC) et par le contenu des conventions de Genève de 1949 et le droit international humanitaire faisant parties de l’ordre public international. Par ailleurs l’intensité du contrôle par le juge du recours s’est considérablement renforcé, avec soit la méthode des faisceaux d’indices, soit l’idée selon laquelle on puisse invoquer pour la première fois devant la cour d’appel de Paris un argument tiré de l’ordre public international qui n’aurait pas ou mal été évoqué devant les arbitres précédemment. Ce sont quand même des éléments de modification majeurs qui justifient que toutes ces nouvelles règles soient rassemblées dans un document qu’on va appeler code, mais qui aurait pu être appelé loi ou décret. Il sera cependant appelé code car cette appellation a un sens à l’international et que la France est le pays des codes.
C’est sans doute ce que Philippe Coen déplore, c’est-à-dire une forme de « tutellisation » de l’arbitrage ou des arbitres : cela peut apparaître dans le Livre II du Projet qui rassemble les règles procédurales applicables en cas de recours : l’essentiel repose sur des règles alternatives à la procédure d’appel. Ce n’est pas une tutellisation mais une émancipation.
Flore Poloni : Il était tout de même paradoxal de penser que les Français n’avaient pas de code, alors que les Anglais ont l’Arbitration Act de 1996.
Daniel Mainguy : Nous avions un droit de common law. Ce code rend désormais plus lisible le droit français de l’arbitrage international qui était jusqu’à présent difficilement compréhensible. Rappelons qu’une minorité des sentences rendues font l’objet d’un recours en annulation ou d’un appel après une ordonnance d’exequatur, et 20 ou 25 % sont réformées. La plupart des sentences sont exécutées spontanément, peut-être en raison du coût ou de l’incertitude des recours.
La polémique suscitée par le rapport
Flore Poloni : Je pense que c’est le rythme du groupe de travail qui a donné lieu à polémique, parce que les travaux sont allés très vite. Le groupe a travaillé en 3 ou 4 mois. Ce n’est pas très habituel. Il a été fait un peu fi de la collégialité au sens absolu. Chaque représentant des institutions qui y siégeait devait maintenir une forme de confidentialité sur les travaux vis-à-vis des autres membres de son organisation. Dès lors, d’autres membres de ces associations ont été un peu pris de court quand le rapport a été rendu public, beaucoup auraient voulu être consultés sur le projet.
Le décret de 2011 avait mis 11 ans pour être adopté, c’est un peu le texte de nos mentors, dans une communauté, où les praticiens se côtoient, se connaissent bien. Certains ont pu percevoir la méthode comme brutale. Il y a des tensions inévitables entre efficacité et brutalité.
Ana Vermal : Ce n’est pas tout à fait la même chose évidemment d’être consulté en amont d’un projet que d’avoir seulement l’opportunité d’apporter des critiques à un projet existant, même c’est ce qui se fait aussi dans d’autres domaines. La communauté de l’arbitrage est un peu différente des autres, chacun a quelque chose à apporter. Mais il faut sans doute choisir entre un processus inefficace où l’on consulte tout le monde, comme pour le décret de 2011, et un processus presque trop efficace comme cette fois-ci. À mon sens, il faut surtout regarder le résultat, qui n’est pas définitif pour l’instant, et apporter des critiques constructives.
Philippe Coen : Il est tout à fait différent d’avoir un projet qui est amené à être commenté qu’un texte qui ressort d’une consultation publique. Je trouve tout à fait cavalier qu’il n’y ait pas eu de consultation publique dans un processus démocratique. Je note qu’aucune association de directeurs juridiques n’a été entendue. Les entreprises ont par ailleurs moins eu l’occasion d’exposer leur point de vue, même si des représentants ont pu donner leur voix.
Ce processus à marche forcée, qui d’ailleurs, ne s’applique pas juste à cette réforme, laisse à penser qu’il était nécessaire de sauver la maison arbitrage. Ce texte vise aussi à briser cet entre-soi, cette communauté amicale de l’arbitrage, et à mettre de l’équilibre et de l’oxygène dans un système qui depuis 100 ans méritait un grand toilettage. Cela étant, je dresse un bilan globalement positif du processus et du produit final. Cette réforme a bien sûr des vertus et ce qui aurait été pire c’est qu’il n’y ait pas de réforme, d’autant plus qu’on la lance à l’orée de l’été, qui n’est pas la période où les personnes intéressées sont les plus réactives. Elle me parait davantage obéir à un calendrier gouvernemental.
Daniel Mainguy : Rappelons que la réforme du droit des contrats, autrement plus importante pour le commun des mortels, s’est faite exactement dans les mêmes conditions, sans soulever de difficultés spécifiques. Le rapport donne une image très organisée, presque « commando » de la manière dont le groupe a travaillé, ce qui ne correspond pas du tout à la réalité. Au départ, le groupe de travail dont j’ai fait partie s’est divisé en 4 sous-groupes avec un objectif minimal visant à toiletter le droit de l’arbitrage et en rassembler des règles disséminées. Notre mantra était que les règles du droit de l’arbitrage, éparses dans différents codes, devaient être rassemblées en un seul endroit et être cohérentes.
Le groupe rassemblait 18 personnes venues d’horizons totalement différents : des magistrats, des professeurs de droit, des avocats, etc. Des auditions ont été menées et les débats ont été parfois intenses mais, au fur et à mesure, nous nous sommes rendu compte que nous avancions plus vite et plus intensément que prévu et nous avons alors convenu de proposer un code. Lors de la remise du rapport, le 20 mars, il a été affirmé clairement qu’il s’agissait d’un projet, désormais ouvert à la discussion et non d’une forme d’oukase à prendre ou à laisser. On ne peut pas dire que cette réforme a été faite dans une forme d’entre-soi. Ce n’est pas du tout l’état d’esprit. Il y a eu d’âpres discussions, des propositions qui ne sont pas passées parce qu’il y a eu des oppositions. Par exemple, dans les principes directeurs, une proposition a été repoussée selon laquelle la sentence arbitrale devait, en toutes circonstances, tenir compte des droits humains et du droit de l’environnement, c’est-à-dire consacrer une partie de la conception française de l’ordre public international. La majorité a voulu au contraire limiter le nombre de principes directeurs comparé au premier projet proposé.
Le débat a désormais lieu devant la DACS, c’est-à-dire devant l’autorité normative, comme pour la majorité des textes législatifs. L’avenir de ce rapport a été annoncé par le ministre Gérald Darmanin le 20 mars 2025 et réaffirmé lors du colloque de la PAW du 8 avril dernier. En septembre ou en octobre, est attendue une réforme du code de procédure civile par décret dont je ne connais ni l’ampleur, ni l’objet, sur la base du projet et des critiques qui ont pu être émises et retenue par le ministère. Au printemps, est attendue une loi pour tous les aspects qui posent une difficulté, notamment d’ordre constitutionnel (article 34), c’est-à-dire le déplacement des articles 2059 à 2061 du code civil et l’unicité des recours devant la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris. Exit donc les recours devant le juge administratif, qui sont un élément d’incompréhension pour les étrangers. Et ensuite enfin, un code clair et lisible du droit de l’arbitrage.
Les propositions du rapport
Ana Vermal : Le rapport du groupe de travail évoque quatre piliers principaux. L’un d’entre eux prévoit l’insertion des principes directeurs de l’arbitrage. C’est une innovation importante, qu’invite presque le format adopté du code. Un autre est le quasi-abandon du traitement distinct de l’arbitrage interne et international, structurant dans le décret de 2011, et qui était à mon sens source de confusion et d’un certain manque de clarté. Réunir l’ensemble des règles applicables aux deux types d’arbitrage dans un corpus unique me semble bien plus pédagogique. Et limiter les domaines de différentiation, comme le fait le projet, apporte de la prévisibilité : dans certains cas, on n’est pas certain que le dossier relève de l’arbitrage international ou interne, d’autant que c’est au moment du litige, et non pas du contrat, que l’appréciation se fait. Même en réformant la définition de l’internationalité, le problème demeurera et donc plus les règles seront alignées, plus il y aura de clarté et de lisibilité.
J’imagine aisément qu’il a été difficile pour le groupe de travail de sélectionner les principes directeurs. Ceux qui ont été inclus sont fondamentaux et représentent ce qui caractérise la pratique française. J’accorde le plus d’importance à l’inclusion du principe de confidentialité. Il est enfin écrit que l’arbitrage est confidentiel, ce n’était pas le cas jusqu’à présent pour l’arbitrage international, et c’était un problème. Bien sûr, les conseils avisés recommandaient à leurs clients d’insérer une référence à la confidentialité dans la clause compromissoire, mais ce n’était pas toujours fait en pratique, de nombreuses entreprises et conseils non spécialistes supposant que la confidentialité était prévue par la loi. Ce sera désormais chose faite, et la confidentialité est même élevée au rang de principe directeur. Je rappelle que la réforme britannique ne l’a pas prévu.
J’ai été cependant plus surprise du principe directeur visant l’annulation de la sentence du lieu de l’arbitrage qui n’affecterait en rien la reconnaissance de la décision en France. Il s’agit, certes, du droit positif en France, qui se distingue de ce point de vue de nombreux autres pays, mais était-ce nécessaire de l’élever en principe essentiel ?
Flore Poloni : Je serais intéressée de savoir quels éléments de cette réforme intéressent les entreprises. En effet, il s’agit de débats de techniciens de la procédure. Par exemple, le fait de décider que la procédure du recours en annulation doit arrêter de ressembler à l’appel. Pour les avocats, c’est une disposition très intéressante car lorsque le décret Magendie a été pris, nous avons dû nous poser la question de savoir si les délais obligatoires, sous peine de forclusion, s’appliquaient aux recours en annulation. Nous sommes arrivés à la conclusion que tel était le cas, mais il s’agissait d’un débat qui engageait la responsabilité de l’avocat et qui méritait une réponse très claire. Autre exemple : la reconnaissance d’une sentence qui deviendrait indépendante de l’exequatur. Trancher ce sujet était important pour les praticiens, même si la nuance peut sembler faible, notamment dans le cas d’une entreprise placée sous procédure collective et condamnée à un paiement par une sentence.
Daniel Mainguy : C’est important également dans l’hypothèse d’une entreprise visée par des sanctions économiques.
Flore Poloni : Mais pour l’essentiel, ce sont des dispositions très techniques ! Le fait d’avoir inséré la jurisprudence Putrabali [sur la reconnaissance en France d’une sentence étrangère annulée par les juridictions du siège de l’arbitrage] dans le code est aussi très utile pour les praticiens. Cette réforme a donc le mérite d’apporter de l’efficacité aux pratiques, fortes de normes plus lisibles et plus adaptées.
S’agissant de la protection, certaines dispositions me semblent intéressantes. Par exemple le cas de la partie insolvable. L’introduction d’un dispositif permettant de palier l’impécuniosité réelle d’une partie permet d’éviter les arguments de mauvaise foi, et de vérifier des cas qui pourraient dériver en déni de justice.
La souplesse dans les formalités qui est en outre proposée me semble être dans l’air du temps. La notification, la signature sous format électronique… Ce sont des détails pratiques mais qui, pour nous praticiens, constituent notre quotidien.
Philippe Cohen : Ces dispositions visant à la souplesse, à la visibilité, sont extrêmement positives. La transparence également : l’obligation d’avoir un nombre impair d’arbitres est plus logique et louable. La clarification de l’encadrement des recours était indispensable pour les entreprises qui ont besoin d’avoir une certaine visibilité sur les contestations possibles. Je salue également la partie du rapport proposant de former les magistrats à ce qu’est l’arbitrage. Il y a encore un écart de compréhension en pratique au sein du corps judiciaire. Il y a beaucoup d’éléments positifs dans ce rapport. Finalement, ces principes désormais posés permettent d’éviter les critiques sur un monde arbitral souvent taxé d’entre soi qui nuisait occasionnellement à son attractivité
Les omissions du rapport
Philippe Cohen : Je regrette cependant qu’il n’y ait pas eu un encadrement plus clair sur les coûts. Le sujet du portefeuille des justiciables semble plus ou moins éludé par le rapport.
Daniel Mainguy : L’article 14 du rapport prévoit que « Le tribunal arbitral s’efforce d’adopter une procédure adaptée à la complexité et à l’enjeu des litiges ».
Philippe Cohen : Ce n’est pas liant ni précis et ce n’est pas rassurant pour les entreprises.
Daniel Mainguy : Non en effet ce n’est pas liant. Mais la fonction d’arbitre n’est pas une profession réglementée et n’a pas vocation à le devenir. On ne pourrait pas imaginer un barème comme pour les notaires.
Philippe Cohen : Pourquoi ne pas plafonner le coût du litige, c’est-à-dire avoir un système proportionnel des coûts en fonction du montant du litige ? Le problème des entreprises porte principalement sur les frais engendrés par l’arbitrage. On a beaucoup de mal à convaincre les dirigeants de s’engager dans une telle procédure qui est très onéreuse. Est-ce que le système tel qu’il est pensé est attractif par exemple pour une PME ?
Daniel Mainguy : L’alternative est d’aller devant un juge étatique qui consacrera un temps et une attention indéterminée à ce litige. La voie arbitrale permet à l’entreprise d’être certaine que son dossier sera traité, par des professionnels, dans un laps de temps très raisonnable. Or, consacrer du temps à un dossier a bien sûr un coût, qui dépendra moins de la taille de l’entreprise que du litige en lui-même. Cela relève de la culture du chef d’entreprise, de la manière dont il pense le risque juridique en amont et en aval.
Flore Poloni : Dans la pratique, je constate que ce sont surtout les frais des conseils qui entraînent des conséquences sur les coûts de l’arbitrage. Les frais des institutions sont plus faibles en comparaison.
Philippe Coen : Un des avantages de la place judiciaire de Paris est d’être l’une des moins onéreuses. Même encore aujourd’hui depuis l’instauration d’un droit d’entrée devant les TAE. C’est aussi le cas parce que les conseils français sont moins chers qu’aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Mais cet avantage compétitif de la place de Paris ne me semble pas avoir été suffisamment exprimé dans ce rapport.
Ana Vermal : Il me semble difficile de contrôler les coûts par une loi ou un décret. Une procédure judiciaire en France est effectivement moins onéreuse qu’une procédure arbitrale, qui, elle, reste moins coûteuse qu’un contentieux devant les tribunaux judiciaires américains. Tout se joue en réalité au niveau de la complexité de la procédure, que les arbitres doivent contrôler. Peut-être d’ailleurs qu’ils ne le font pas suffisamment. Certaines institutions, comme notamment la CCI, vont veiller à la proportionnalité entre honoraires des arbitres et de l’institution et montant en litige. Mais le coût principal reste celui des avocats, et dépendra de la complexité de la procédure. Finalement, c’est aux avocats et à leurs clients de se limiter, de décider s’ils doivent réellement présenter les 22 arguments à leur disposition ou s’ils ne devraient pas plutôt se limiter aux 5 arguments réellement importants. Il faut dans la présentation d’un cas savoir faire la part des choses entre les sujets essentiels et ceux qui sont mineurs, n’ont pas vocation à impacter le résultat, mais risquent de complexifier le débat.
Philippe Coen : Autre point d’attention du rapport qui m’a interpellé : pourquoi ne pas avoir inséré dans cette réforme un code de déontologie des arbitres ? Un tel code n’existe pas au niveau international.
Daniel Mainguy : La déontologie des arbitres est la philosophie même de l’arbitrage !
Flore Poloni : Mais pourquoi demander un code de déontologie alors que vous affirmiez tout à l’heure que l’arbitrage ne devait pas être mis sous tutelle ?
Philippe Coen : Le fait de soumettre un professionnel à des règles de déontologie n’impose pas une tutelle. Les avocats, les magistrats et même les juristes sont soumis à des règles déontologiques.
Daniel Mainguy : Mais les règles d’indépendance et d’impartialité qui s’appliquent aux arbitres sont bien plus radicales. Il faut également rappeler l’application presque systématique des IBA rules.
Philippe Coen : Il n’existe pas de code déontologie urbi et orbi qui lierait tous les arbitres concernés. Il manque un référentiel. Or l’un des troubles de l’entreprise est bien l’absence de clarté sur qui les juge.
Daniel Mainguy : S’il y a un code de déontologie, la profession deviendra libérale. Il faudra un examen pour y rentrer, un ordre et son conseil, et l’équivalent d’un bâtonnier. Cet ordre, c’est la cour d’appel de Paris.
Philippe Coen : Je ne pense pas. Les juristes ont un code déontologie détaillé depuis 15 ans et ce n’est pas une profession libérale.
Daniel Mainguy : Il existe en outre un encadrement par une jurisprudence implacable pour que le tribunal soit valablement constitué.
Philippe Coen : Un code permettrait d’affirmer les principes cardinaux de déontologie de l’arbitre. Se contenter d’affirmer l’indépendance et l’impartialité peut sembler un peu embryonnaire.
Daniel Mainguy : Mais les conséquences sont immédiates. L’arbitre partial est immédiatement sorti de la sphère arbitrale.
Philippe Coen : Cet aspect « club » ou « cénacle » arbitral fait partie des points faibles de l’image susceptible d’être perçue du secteur.
Daniel Mainguy : L’arbitre désigné doit être majeur, ne doit pas exercer une profession incompatible avec celle de l’arbitrage, et être indépendant et impartial. Et il faut le prouver à travers une déclaration, contrôlée par les parties et l’institution, des procédures, posées par une institution d’arbitrage ou un juge d’appui permettent la récusation d’un arbitre et, enfin, l’irrégularité de la constitution du tribunal est une cause d’annulation de la sentence, emportant la responsabilité de l’arbitre, en cas de faute lourde. Il n’y a pas beaucoup de professons, ou plus exactement de fonctions professionnelles, qui soient aussi solidement responsabilisées et contrôlées.
Ana Vermal : Ayant siégé six ans à la Cour internationale d’arbitrage de la CCI, je peux confirmer que la CCI étudie avec beaucoup d’attention des demandes de récusation qui remettent en question l’impartialité de l’arbitre. L’arbitre qui ne serait pas indépendant ou impartial risquerait d’abord sa présence au sein du tribunal et, plus largement, d’abîmer sa réputation dans le milieu. Mais dans la majorité des cas, il ne s’agit pas d’une interrogation sur l’éthique de la personne ; la question qui se pose est plutôt celle de savoir si la confiance des parties dans cet arbitre a pu raisonnablement être ébranlée.
Flore Poloni : Il y a également un problème sur l’internationalité. Comment imposer un code de déontologie aux arbitres français et pas à ceux des autres nationalités ? Bien sûr le modèle français doit être exemplaire, mais en termes d’application un tel code de déontologie me paraît délicat. Ce qui serait utile dans un tel cas, serait d’adopter également un code de déontologie des avocats représentant les parties à l’arbitrage qui s’appliquerait globalement.
Philippe Coen : Ce rapport serait une bonne occasion pour explorer la question.
Flore Poloni : La communauté arbitrale se prend tout de même en main. Les différents guides et règles publiés par l’International Bar Association (IBA) sont pris très au sérieux, notamment les IBA Guidelines on Party Representation. Ce sont de bons instruments qui sont visés par les conseils. Peut-être serait-ce le rôle des institutions d’arbitrage qui ont un pouvoir indirect de sanction de non re-nomination de l’arbitre ?
Daniel Mainguy : L’objet « éthique » des arbitres existe et il est extrêmement puissant. Il me semble limpide dans le rapport.
Les améliorations possibles
inspirées de l’étranger
Daniel Mainguy : C’est surtout le modèle français qui inspire les droits étrangers en matière arbitrale. Par exemple, la réforme de l’English administration Act de 1996 a examiné un hiatus majeur sur la loi applicable à la convention d’arbitrage. En France, nous disions que, sauf choix contraire des parties, la loi applicable était celle du siège de l’arbitrage. Les juges anglais prévoyaient une application de la loi du contrat, notamment quand il s’agissait du droit anglais. Ils viennent de changer pour s’aligner sur notre position. Le modèle français irradie, de manière ponctuelle ou massive, y compris par la négative, les droits étrangers, comme l’application de la jurisprudence Putrabali reprise dans quelques circuits américains. Ce ne sont pas des règles pour la beauté du geste français. Elles sont réellement inspirantes pour les pratiques étrangères.
J’ajoute qu’en raison des litiges internationaux qui se déroulent en France, la cour d’appel de Paris prend la forme de petite cour internationale de justice. Elle doit résoudre des cas spectaculaires. L’affaire Oschadbank par exemple, revenait fondamentalement à savoir si la Russie avait raison d’envahir la Crimée. L’affaire Nioc relevait de l’état de guerre déclaré entre l’Iran et Israël après la chute du shah. L’affaire du sultan de Sulu était l’occasion pour la cour d’appel de Paris de régler un litige entre la Malaisie et les Philippines. L’affaire DNO Yemen pose le problème de l’interprétation des sanctions de gels de fonds. Les exemples sont légion. La cour est investie d’un rôle véritablement international au sens le plus noble, tout en résolvant un litige privé. C’est une prouesse en termes de politique judiciaire.
Ana Vermal : Il aurait pu être intéressant de reprendre les critères posés par les lignes directrices de l’IBA tant sur l’obligation de révélation de l’arbitre que sur les causes de récusation relatives à son devoir d’indépendance et d’impartialité. Notamment parce qu’elles sont très connues et référencées à travers le monde, et constituent donc notre meilleur espoir pour que les différentes places d’arbitrage aillent dans un sens commun, ce qui serait source de prévisibilité pour les parties. L’IBA fait une différence entre les critères objectifs ou subjectifs et impose de révéler toutes circonstances qui pourraient donner lieu à un doute aux yeux des parties (le critère subjectif) sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre.
Je pense qu’il aurait été bénéfique de faire référence à la notion de doute. La formulation française fait craindre à l’arbitre que ce qu’il révèle implique une suspicion sur son impartialité. Je préfère la formulation des règles IBA qui fait référence au fait que ces éléments peuvent susciter un doute.
Flore Poloni : S’agissant du processus de travail sur ce rapport, la France s’est tout de même inspirée de Singapour en proposant un code à marche forcée, en privilégiant l’efficacité. D’ailleurs, la place de Singapour est aujourd’hui véritablement internationale puisqu’elle traite de tous les litiges asiatiques, alors qu’il y a un peu plus d’une dizaine d’années personne ne la connaissait. La place de Riyad se positionne également, sans parler de l’institution arbitrale égyptienne qui tente de capter tous les litiges du nord de l’Afrique. Je pense donc que la France a été inspirée de passer un cap d’efficacité pour conserver son attractivité.