Connexion

Médiation des affaires : un vent de liberté souffle sur la gestion des différends internationaux

Par Table ronde animée par Ondine Delaunay

Les succès médiatiques récents de la médiation des affaires ont mis en lumière ce mode alternatif de règlement des conflits. La médiation est même considérée, par certains groupes, comme une opportunité face à des délais de traitement judiciaire de moins en moins compatibles avec la vie des affaires. Le recours à ce mode alternatif de règlement des litiges ne doit pas être improvisé, mais être impérativement préparé pour ne pas être voué à l’échec. Comment bien aborder la médiation et maximiser ses chances de succès ? Quelle place aujourd’hui dans les conflits internationaux ? Comment bien choisir son médiateur ?

Avec : Laetitia Ménasé, secrétaire générale, groupe Canal + ; Pierre Servan-Schreiber, médiateur CMAP, Equanim, CEDR, CPR, CiArb ; Frank Gentin, président de Paris place de droit, médiateur ; Jérémie Fierville, associé, cabinet Fierville Ziadé ; Vonnick Le Guillou, associée, cabinet DLA Piper, médiateur accrédité CEDR ; Gérard Mestrallet, président exécutif de l’Agence Française pour le développement d’AlUla, membre fondateur d’Equanim International ; Antoine Chatain, associé, cabinet Chatain & Associés ; Denis Musson, médiateur, senior advisor d’Equanim International ; Mathilde Lefranc-Barthe, associée, cabinet Winston & Strawn.

 

 

Le développement de la médiation des affaires dans les litiges complexes et internationaux

GÉRARD MESTRALLET : Ma vision de la médiation est nourrie de mon expérience de chef d’entreprise. J’ai vu des contentieux durer des années, avec recours sur recours, devant les tribunaux ou en arbitrage. Je citerais un exemple particulièrement marquant de ma vie industrielle : celui du conflit qui a opposé Suez Environnement au gouvernement argentin, après sa résiliation unilatérale du contrat de gestion des eaux de Buenos Aires, par la filiale Aguas Argentinas. Le conflit datait de 2002 et il aura fallu attendre 2015 pour que le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) finisse par trancher - et condamne l’Argentine à verser 380 M€ au titre du préjudice subi. Suez Environnement avait tout de même perdu 700 M€, ce qui avait ébranlé le groupe, son cours de Bourse et le siège du président. La médiation offre une voie desortie précieuse pour les parties : c’est une solution que chacune contribue à élaborer et valide, une solution sur-mesure, qui permet de gagner du temps par rapport aux voies judiciaires classiques ou d’arbitrage, et souvent l’argent colossal que coûte le recours aux conseils dans la durée. Sans oublier le gain en termes d’image, de réputation, de plus en plus dommageable vis-àvis des clients, des actionnaires et des marchés.

DENIS MUSSON : Tout le monde se focalise sur les honoraires des avocats, les frais de justice ou de l’arbitrage, mais il ne faut pas non plus sous-estimer les coûts internes du contentieux pour
l’entreprise. Ils incluent notamment le temps des équipes, du management, de la recherche des documents au sein de l’entreprise, sans oublier, bien sûr, le coût induit par les délais de procédure sur la poursuite normale de ses activités.

GÉRARD MESTRALLET : La médiation est une solution adaptée à la nature des différends économiques actuels, quelle que soit leur ampleur, et aux attentes des acteurs. La complexité croissante des échanges et des marchés impose que le règlement des différends puisse intégrer ces caractéristiques techniques, commerciales et juridiques. Seule la médiation offre, à ma connaissance, le moyen aux parties d’être entendues sur l’ensemble de leurs enjeux respectifs, avec une approche sur-mesure et une solution trouvée collectivement.

ANTOINE CHATAIN : À la différence d’un arbitrage, qui aboutit à une sentence tranchant un litige remis aux mains d’un tiers, la médiation est un processus qui permet de parvenir à un accord, de trouver une solution amiable. En outre, elle présente l’avantage, dans les dossiers très complexes, d’intégrer énormément de sujets dans les débats : ceux portant, tout à la fois, sur le droit du travail, le droit commercial, les conflits entre actionnaires ou avec les dirigeants, ou encore sur des questions de nature pénale. La médiation permet de traiter un grand nombre de sujets, contrairement à l’arbitrage qui, comme une action judiciaire, se limite au traitement de la demande. Dans les conflits d’actionnaires traités par voie judiciaire, il n’est pas rare que, soient traitées en parallèle, cinq ou six procédures, chaque juge se concentrant sur la partie du litige pour laquelle il est saisi. La médiation permet de tout examiner.

VONNICK LE GUILLOU : Dans la plupart des pays anglo-saxons, la médiation est bien plus ancrée dans les habitudes que dans les systèmes de civil law, au sein desquels elle n’a émergé que relativement récemment. Les juges anglo-saxons imposent rapidement, dans la procédure, le recours aux fameux ADR (alternative dispute resolution). Dans les litiges internationaux, l’arbitrage
est une forme de contentieux dont la sentence est rendue par un juge privé, alors qu’un contentieux classique donne lieu à un jugement prononcé par une juridiction étatique ; les arbitres ou les juges sont strictement liés par les termes du litige qui leur est soumis. L’intérêt de la médiation est, au contraire, de faire ressortir la partie immergée du litige. Le rôle du médiateur est de mettre en lumière le sous-jacent du problème à l’origine du litige, qui va permettre aux parties de trouver une solution en élargissant la discussion, par exemple en discutant de contrats ou projets futurs, etc.

PIERRE SERVAN-SCHREIBER : C’est l’un des grands avantages de la médiation que de ne pas se limiter aux quatre coins de l’assignation et d’explorer d’autres sujets. Je me souviens d’avoir eu à traiter un conflit entre deux sociétés sur un problème de contestation de brevets qui s’est terminé par un accord sur le rachat de l’une par l’autre. Ce que, bien évidemment, le juge n’a ni le pouvoir de faire, ni même de discuter.

DENIS MUSSON : Ce que j’apprécie justement dans la médiation, c’est cette liberté retrouvée par les entreprises de contrôler à la fois le temps des débats, la désignation de la personne adaptée à leur différend, à la recherche d’une solution, mais également les termes de l’accord final. Le médiateur est chargé de susciter la créativité des parties, d’ouvrir de nouveaux horizons, d’agir en deal maker.

FRANK GENTIN : Un litige d’affaires est d’abord un problème économique avant d’être juridique. Régler un différend consiste à mener une transaction économique grâce à l’intervention d’un intermédiaire. La question est d’abord de savoir qui sera le bon intermédiaire et si l’accord sera exécuté. En général, dans les médiations, l’exécution ne pose pas de difficulté. Le médiateur peut en outre aborder des sujets annexes, s’il les estime utiles au traitement de la transaction. Et bien sûr dans une confidentialité totale. ANTOINE CHATAIN : La médiation permet en effet de régler les mésententes en toute discrétion. Dans les sociétés familiales, il ne faut pas sous-estimer l’aspect psychologique des conflits entre actionnaires.

FRANK GENTIN : J’ajoute que les coûts de transaction sont sans commune mesure avec ceux des autres voies de règlement des litiges. Je suis par exemple intervenu, en tant que médiateur, dans un dossier international, dans lequel des dizaines de millions d’euros avaient déjà été dépensés par les deux parties. Il existe de nombreuses situations dans lesquelles le médiateur est un bon intermédiaire pour permettre aux parties de mener une transaction économique, mais c’est particulièrement le cas dans les litiges internationaux.

LAETITIA MÉNASÉ : Notre groupe a recours, de plus en plus fréquemment, à la médiation, puisque les juges la proposent de façon quasi-automatique désormais. Il me semble important de
rappeler qu’aller vers la médiation est une décision des deux parties. Ce n’est pas une façon dilatoire de perdre du temps dans le contentieux, car le médiateur ne laisse tenter une transaction donne une dynamique un peu particulière au dossier. Je n’ai pas eu l’occasion de recourir à la médiation dans des contentieux internationaux car, pour l’instant, la plupart sont laissés à l’arbitrage, avec tous les travers que l’on connaît s’agissant des coûts et de leur durée. Je suis très favorable à cette plasticité de la médiation qui permet de sortir des règles de droit. Le litige est en effet une question avant tout économique et, bien souvent, la règle de droit est assez octogonale avec le problème économique. La médiation permet de transiger et de dégager les carcans. Elle est vue comme une opportunité de régler des conflits en faisant émerger le sous-jacent, de mieux comprendre les positions pour construire une solution voulue par les deux parties. Jusqu’au dernier moment, elles ont ainsi l’impression de maîtriser ce qui se passe. C’est la grande différence avec le contentieux judiciaire, et avec l’arbitrage, qui dépossèdent les parties du litige.

 

Quel est le bon moment pour débuter une médiation ?

MATHILDE LEFRANC-BARTHE : La médiation permet de parvenir à une solution lorsque la problématique à traiter est encore actuelle. Car dans le contentieux judicaire ou l’arbitrage, les parties doivent parfois attendre de nombreuses années avant de savoir qui a raison ou tort, alors que bien souvent le conflit est dépassé et que les acteurs qui en étaient à l’origine ne sont plus dans les entreprises. Sous l’influence des avocats, les entreprises font évoluer leurs pratiques et insèrent dans leurs contrats des clauses de résolution amiable préalable. Et, quand ce n’est pas prévu par les contrats, le juge nous y aide. Il est aujourd’hui acteur du développement de ces modes amiables en encourageant les parties et leurs avocats à les mettre en oeuvre.

JÉRÉMIE FIERVILLE : Il existe plusieurs facteurs clés de succès en médiation, et le timing en est un essentiel. Il appartient aux conseils, en lien avec leurs clients, d’identifier les fenêtres d’opportunité pour entrer en médiation, qui varient d’un litige à l’autre. Et l’expérience montre que la médiation peut être efficace à tout moment : lorsque le litige est encore en germe, mais aussi après plusieurs années de procédure judicaire ou d’arbitrage. Depuis peu, la Cour de cassation propose, elle aussi, des médiations. Nous assistons en ce moment un client dans le cadre de la première médiation ordonnée par le Président de la première chambre civile de la Cour de cassation. Cette nouvelle orientation de la Cour a soulevé plusieurs questions : un litige qui par hypothèse dure depuis des années peut-il être résolu de manière amiable ? Le président de chambre est-il dans son rôle lorsqu’il apprécie en son for intérieur l’opportunité de proposer une médiation au regard des faits du litige ? Pour ma part, je suis très favorable à cette nouvelle opportunité de trouver une issue amiable, car la médiation a démontré qu’elle est un outil idéalpour sortir par le haut de situationsles plus difficiles.

FRANK GENTIN : Un litige est souvent un jeu à somme négative. Dans une situation dans laquelle les parties agissent sous le contrôle d’un régulateur par exemple, le risque de perte d’une opportunité d’affaires existe. La médiation permet de transformer cette difficulté en jeu à somme positive, par exemple en sortant du périmètre initial du litige. C’estpour quoi j’estime que la médiation est possible à tous moments, en tout cas dès lors que les décideurs prennent conscience de l’opportunité.

PIERRE SERVAN-SCHREIBER : Il n’y a pas de mauvais moment pour commencer une médiation. De la naissance du différend, jusqu’à la veille du prononcé du jugement définitif, tout est possible.

ANTOINE CHATAIN :L’ordonnance du 27 novembre 2020 a octroyé au juge le pouvoir e proposer aux parties de médier. Depuis un nouveau texte du 25 février 2022, il peut désormais enjoindre les parties de rencontrer un médiateur. Je l’ai récemment vécu dans un conflit notarial devant le tribunal judiciaire de Paris, qui a enjoint les parties de rencontrer un médiateur, ce qui leur a d’ailleurs permis de régler leur litige. Les juges utilisent donc ces outils, même s’ils ne peuvent pas obliger les parties à transiger.

LAETITIA MÉNASÉ : Mais l’injonction plante tout de même un décor un peu particulier et ne me semble pas en adéquation avec l’esprit de liberté qu’offre la médiation. JÉRÉMIE FIERVILLE : De mon expérience, à l’audience, le juge a toujours commencé par proposer une médiation. Ce n’est que lorsque l’une des deux parties s’y est opposée qu’il a décidé de l’ordonner.

MATHILDE LEFRANC-BARTHE :
Déjà avant l’adoption de ce texte, il n’était pas rare que les magistrats mettent une forme de pression sur les conseils pour que les parties se retrouvent et tentent de concilier leurs intérêts.

FRANK GENTIN : J’ai reçu un avocatpour un litige pendant devant la Cour de cassation, qui avait reçu une injonction de rencontrer un médiateur. J’ai très rapidement compris que l’une des parties n’avait pas du tout l’intention de transiger. On ne peut pas contraindre les parties à la négociation, c’est pourquoi je crois que ce nouveau pouvoir d’injonction ne changera pas grand-chose : l’enjeu est de convaincre, plus que d’enjoindre.

DENIS MUSSON : Le débat est également ouvert sur l’intérêt ou non d’avoir une clause de médiation obligatoire dans le cadre d’un contrat. Certaines entreprises lui préfèrent un simple rappel contractuel avec une incitation, à caractère facultatif, de recourir à la médiation.

 

Quel est le médiateur idéal ?

GÉRARD MESTRALLET : Le meilleur médiateur est celui auxquelles les parties acceptent de confier la résolution de leur conflit. Il n’a pas de profil idéal. Il doit d’abord être conscient que son rôle suppose un changement de posture au regard de son expérience passée : il doit intérioriser le fait ne plus agir comme le ferait un CEO, juge ou avocat, mais comme un tiers utilisant son expérience pour aider les parties à trouver un accord. Il est incontestable que les bons connaisseurs des entreprises (anciens CEO, directeurs juridiques ou avocats d’affaires) sauront certainement mieux anticiper ou comprendre les besoins opérationnels des parties. Les médiateurs peuvent également être des personnalités
politiques, qui ont une expertise dans les grands contentieux nationaux ou internationaux. Chez Equanim, nous avons quatre anciens premiers ministres, français, italien, suédois et belge, qui apportent leur sagesse et leur connaissance étatique dans ce type de dossiers.

FRANK GENTIN : L’une des valeurs ajoutées du médiateur repose sur sa capacité à aider les décideurs à prendre conscience de leurs biais cognitifs, voire de les corriger. Chaque partie, aidée par ses conseils, aura toujours tendance à survaloriser sa position - je mets de côté les postures de négociations évidemment. Dès lors, je sens que mon expérience de juge consulaire est parfois un atout dans mon rôle de médiateur, car j’observe immédiatement l’effet de mes propos sur les parties. Un ancien juge devenu médiateur a une casquette qui permet d’apprécier le biais de l’espérance de gain comme l’aléa - selon ma perception toujours sous-estimé -, outre le coût du temps gagné.

GÉRARD MESTRALLET : Souvent, le croisement des expériences et compétences des médiateurs permet de maximiser les chances d’accord. Equanim promeut ainsi le recours à la co-médiation dans les affaires complexes, afin de proposer un tandem de personnalités et d’expertises complémentaires.

PIERRE SERVAN-SCHREIBER : Au départ, je n’étais pas favorable à la co-médiation, estimant que l’ajout de compétences ne pouvait qu’aboutir à des blocages. À tort, puisque même si elle n’est pas fréquente, la co-médiationfonction ne très bien. Je m’en suis rendu compte dans quatre dossiers de ce type que j’ai eu à connaître. Parfois, la seule manière de faire accepter aux deux parties de recourir à une médiation est de nommer deux médiateurs, chacun proposant un nom. Si vous arrivez à développer, ce qui a toujours été mon cas, une bonne relation de travail avec le co-médiateur, vous établissez un double lien de confiance. Déjà, on voit des choses que l’autre n’aura pas forcément perçues et inversement. Ensuite, les co-médiateurs peuvent discuter ensemble des différentes hypothèses de solutions. Cet échange est susceptible de rassurer les parties. Nous traitons, en ce moment même, en tant que co-médiateurs, un dossier commun avec Marie-Aude Ziadé, cofondatrice du cabinet Fierville Ziadé. Elle a une expérience intéressante comme juriste d’entreprise et nous sommes donc très complémentaires.

JÉRÉMIE FIERVILLE : L’un des grands principes de la médiation est la neutralité du médiateur. Or la difficulté, lorsque la co-médiation consiste non pas à choisir un duo de médiateurs complémentaires, mais à ce qu’un médiateur soit nommé par chaque partie, est d’éviter toute défiance envers le médiateur qui a été choisi par l’autre partie. J’ai déjà vécu cette situation et elle n’a pas été évidente à gérer. Le rôle des conseils a été déterminant pour rassurer les parties sur le fait qu’il n’y avait pas d’orientation de la part du médiateur opposé.

PIERRE SERVAN-SCHREIBER : Se pose bien sûr la question du choix du médiateur. Dans un très grand nombre de cas - neuf sur dix -, lorsqu’un nom est suggéré par l’une des parties, l’autre partie le refuse, par principe. La co-médiation peut résoudre ce genre de difficultés.

ANTOINE CHATAIN : D’où l’intérêt des centres de médiation, qui proposent des profils, avant d’évoquer des noms de médiateurs. Je crois qu’il est intéressant d’opter pour un médiateur qui comprenne les sujets, objets du litige. Par exemple, sur un litige financier, relevant du secteur de la construction, ou de l’informatique, sont recherchés des médiateurs qui ont une appétence - pas forcément juridique - sur les aspects techniques.

MATHILDE LEFRANC-BARTHE : Recourir à la co-médiation est très pertinent dans le cadre de contentieux touchant aux secteurs réglementés, ou plus largement lorsque les parties ont besoin de faire appel à des médiateurs ayant une expertise sectorielle et technique. Celle-ci n’est pas indispensable, mais rassure les parties. N’est-ce pas l’objectif ?

DENIS MUSSON : Une alternative à la co-médiation peut consister, pour le médiateur, à se faire assister d’un expert technique ou scientifique. Il faut bien entendu que les parties l’acceptent. Dans certains différends à caractère très technique, l’intervention d’un expert en appui du médiateur peut s’avérer très utile pour atténuer un point technique de désaccord, rapprocher les parties et ouvrir la voie à une solution négociée. Une originalité d’Equanim est de tisser un large réseau d’experts, mobilisables en cours et en appui d’une médiation, avec l’accord des parties.

MATHILDE LEFRANC-BARTHE : Effectivement, cet attelage de compétences fonctionne très bien, notamment en matière de valorisation de titres, ou en matière patrimoniale.

LAETITIA MÉNASÉ : J’exerce dans un secteur très régulé enFrance. Nous, juristes d’entreprise, sommes des experts de nos matières et attendons du médiateur de justement sortir du carcan de cette expertise. Toutes les médiations qui ont abouti à un accord faisaient appel à quelqu’un d’externe au sujet, qui aidait à élargir le spectre et à prendre du recul et de la hauteur, pour parvenir à une solution négociée. Nous ne souhaitions pas avoir un degré supplémentaire de technicité, car les parties sont déjà expertes de leur secteur.

VONNICK LE GUILLOU : Dans le domaine aéronautique dans lequel je suis spécialisée, les problématiques contentieuses sont souvent très techniques. Et je partage votre opinion : les parties n’attendent pas du médiateur une expertise sur le plan sectoriel, mais il doit pouvoir comprendre leurs discussions et négociations sur des achats ou des projets envisagés dans le cadre de la recherche d’une solution amiable. La personnalité du médiateur est cruciale dans le déroulement d’une médiation. Pour autant le médiateur n’est pas qu’une personnalité. En général, il met en oeuvre une technique de médiation, auquel il est formé, visant à conduire les parties à trouver elles-mêmes une solution qui leur convienne.

 

Prendre du recul sur le dossier

VONNICK LE GUILLOU : Le recours à la médiation permet aux parties de mûrir leur dossier. Elles confrontent leur dossier à un tiers, qui livre son point de vue sur la situation. Son analyse est également utile à l’avocat qui a tendance, en travaillant en vase clos avec l’équipe de défense du client, à s’auto-convaincre de la vision du litige, aussi objectif et professionnel soit-il. Confronter le dossier à un médiateur permet de mesurer ses chances de succès et surtout son risque, autrement que par une analyse purement juridique.

FRANK GENTIN : Dans certaines situations, l’avocat tend une perche au médiateur et suscite ses propos pour aider son client à « prendre conscience ». Il peut se développer une connivence entre l’avocat et le médiateur pour se répartir les messages à faire passer au client. Cela nécessite du médiateur, non pas qu’il soit un expert, mais qu’il comprenne le modèle économique en jeu.

PIERRE SERVAN-SCHREIBER : Ne sous-estimons pas non plus les enjeux de pouvoir. Je pense par exemple au dirigeant de l’entreprise qui ne veut pas paraître faible vis-à-vis de son adversaire, ou bien au directeur juridique et à l’avocat qui craignent les critiques de la hiérarchie s’ils proposent des concessions. Lorsque la proposition vient du médiateur,
tout le monde est exonéré de cette responsabilité. Il est donc fondamental que ce dernier capte les signaux faibles des conseils ou des parties.

JÉRÉMIE FIERVILLE : Les échanges libres avec la partie adverse permettent également de faire émerger ses contraintes propres, qui peuvent par exemple être opérationnelles ou financières. Leur prise en considération donne un nouvel axe de lecture pour la résolution du litige, et permet de proposer des solutions créatives et pérennes. C’est particulièrement le cas lorsque les parties sont en relation d’affaires permanentes, tels que les donneurs d’ordres et les sous-traitants dans certains secteurs spécialisés. DENIS MUSSON : Se développe aussi parfois une forme de simultanéité. Les parties sont déjàdans l’arène judiciaire ou arbitrale, mais une médiation - par nature confidentielle - se déroule
également en parallèle et pas nécessairement avec les mêmes acteurs. J’ai vécu récemment cette situation aux États-Unis. Les gladiateurs sont dans l’arène judiciaire, où tous les coups y sont permis, alors qu’une médiation chemine à côté avec d’autres équipes.

FRANK GENTIN : J’ai observé des situations dans lesquelles il y avait des désaccords internes qui amenaient le décideur final à ne pas vouloir se justifier, voire des négociations en aveugle qui se sont terminées par un deal totalement confidentiel.

 

L’indispensable préparation de la médiation

DENIS MUSSON : Avant de s’engager dans une voie de règlement des conflits, les parties doivent consacrer le temps suffisant pour se préparer avec leur conseil aux options envisageables, et notamment scénariser les différentes issues possibles de leur conflit. Souvent, les conseils alimentent la confiance de leur client dans la qualité de son dossier et ses
chances de succès devant les juridictions, enclenchant un processus d’auto- persuasion qui perd en objectivité. Il relève du devoir de conseil de rappeler au client l’importance de l’aléa judiciaire, qui est toujours présent, et de bien établir en amont avec lui sa best alternative to a negotiated agreement (BATNA). Le client sera alors en capacité d’apprécier
les options possibles et décider quelle voie est la plus raisonnable à emprunter en priorité pour trouver une solution à son conflit.

JÉRÉMIE FIERVILLE : Le travail de préparation est un autre facteur clé de succès en médiation. Certains de nos clients l’ont bien compris, et nous sollicitent désormais en dehors de tout litige pour sensibiliser leurs équipes afin qu’elles adoptent les bons réflexes. L’objectif est d’améliorer leur taux de succès dans la résolution amiable des litiges. Lorsque la médiation est engagée, la préparation consiste d’abord à impliquer toutes les parties prenantes, juristes, dirigeants et opérationnels par exemple. Ensuite, le rôle de chacun, les arguments développés et les solutions proposées en réunion de médiation sont précisément définis en amont. Ce travail de préparation minutieux, différent de celui mené lors de contentieux ou d’arbitrages, est fondamental pour le succès d’une médiation.

MATHILDE LEFRANC-BARTHE : La médiation ne s’improvise pas. Ni du côté des clients, ni du côté des avocats qui doivent être formés aux diverses techniques. Par exemple, un client qui ne sait pas qu’il y aura des apartés, qui n’en connaît pas l’enjeu, peut être très mal à l’aise. Les BATNA ou MESORE [meilleure solution de rechange, NDLR] ont révolutionné
ma pratique et, désormais, qu’on aille en médiation ou pas, je l’utilise systématiquement en début de dossier pour poser tous les enjeux avec mes clients et qu’ils les comprennent. C’est comme une discussion de vérité. Charge ensuite à eux de faire leur choix entre la voie judiciaire ou la médiation.

ANTOINE CHATAIN : La différence entre ces deux modes de règlement des litiges, c’est que dans la procédure judiciaire, le client n’est pas présent. Il n’existe pas. Tandis que dans la médiation, il tient le premier rôle. L’avocat accompagne et prépare, mais il n’est pas en première ligne.

VONNI CK L E GUI L LOU : S’agissant du déroulé de la médiation, je trouve que les médiateurs français font plus de réunions plénières. C’est une forme de psychothérapie de groupe. Les Anglo-Saxons, eux, ont plutôt tendance à réunir toutes les parties lors d’une première réunion, pour ensuite favoriser les apartés (caucus) dans des salles séparées.

GÉRARD MESTRALLET : Les phases en aparté sont essentielles à plusieurs égards. Elles permettent de travailler plus spécifiquement avec chacune des parties pour faire avancer les négociations, ainsi qu’échanger des informations avec le médiateur dont les autres parties ne doivent pas avoir connaissance. Tant les parties, que le médiateur, ne doivent pas hésiter à y recourir. Lorsque la communication frontale est définitivement impossible entre les parties, les apartés peuvent être l’unique moyen de mener la médiation.

DENIS MUSSON : Durant ces phases, les parties peuvent sortir de leur posture. Elles expriment vraiment les objectifs qu’elles poursuivent. Ces temps d’échanges confidentiels constituent un énorme avantage du médiateur sur l’arbitre et le juge. Le médiateur a accès aux vérités, aux intérêts et aux besoins des deux parties. Il est primordial que ces phases soient entourées d’une confidentialité absolue, garantie par la loi comme en France, renforcée par un règlement de médiation, mais également par la mise en oeuvre de toutes les précautions pratiques et matérielles nécessaires et adaptées à chaque affaire !

PIERRE SERVAN-SCHREIBER : Il m’est arrivé de mener des médiations sans que les parties ne se croisent à aucun moment. À l’inverse, une médiation où tout est négocié en plénière me sembleillusoire, c ar les parties ont besoin de se confier au médiateur en aparté avant de pouvoir avancer.

JÉRÉMIE FIERVILLE : Les apartés sont essentiels pour permettre au médiateur d’identifier les zones de convergence entre les parties, et les aider ensuite à élaborer des solutions à leur litige. Le médiateur dépasse ainsi les positions affichées par les parties et va à l’essentiel, au coeur de la problématique.

PIERRE SERVAN-SCHREIBER : Dans les litiges des groupes familiaux, ces phases d’aparté permettent de faire éclore des discussions qui relèvent de l’humain, du psychologique et seront finalement utiles à la résolution du différend.

FRANK GENTIN : Ces phases sont également très importantes dans les contentieux internationaux, notamment lorsque les parties sont de nationalités différentes et ont des cultures différentes. Le levier est de parvenir à développer une relation de confiance avec le médiateur. Lorsque j’ai à connaître d’un dossier avec des parties étrangères, cette relation de confiance est moins spontanée. Elle nécessite un peu de temps et se cristallise avant tout grâce aux apartés. J’estime que 80 % de la valeur ajoutée du médiateur est durant l’aparté. Une médiation ressemble finalement à une négociation de contrat : pour franchir la ligne d’arrivée, il arrive qu’on se parle par téléphone quatre fois par jour. C’est intense.

MATHILDE LEFRANC-BARTHE : Les apartés sont aussi pertinents lorsque le représentant d’une partie en réunion plénière a besoin d’en référer à son board. Il semble toutefois plus utile que les décideurs finaux soient au coeur de la discussion pour éviter de parvenir à un accord qui ne serait pas validé par la hiérarchie.

FRANK GENTIN : Pour le succès d’une tentative de médiation, il est en effet fondamental que le médiateur, avec l’aide de chaque partie, identifie bien le mécanisme de prise de décision interne.