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Brevet unitaire et juridiction unifiée des brevets : rebattre les cartes de la protection des entreprises

Par Mathilde Rauline, head of greater Europe patent litigation, Sanofi ; Camille Pecnard, associé, Lavoix ; Catherine Ménès, expert IP, Stellantis ; Thierry Lautier, associé, Reed Smith ; Stanislas Roux-Vaillard, associé, Hogan Lovells ; Sophie Plaisant, head of patent team, ArcelorMittal ; Ina Schreiber, associée, Plasseraud IP ;

Le brevet unitaire et la juridiction unifiée des brevets devraient voir le jour au printemps 2023. La réforme prévoit d’obtenir une protection du brevet dans 25 États membres de l’Union européenne et de défendre son titre, en cas de litige, devant une juridiction européenne unique. L’objectif affiché est de renforcer la sécurité juridique à l’échelle européenne et lui permettre de rester une zone compétitive. Comment les entreprises doivent-elles s’y préparer ? Quels changements la réforme implique-t-elle pour elles et leurs conseils ? Autant de questions abordées par les experts réunis par la LJA.

Un nouveau système pensé pour les justiciables

THIERRY LAUTIER : Le brevet unitaire (BU) constitue une avancée importante pour le système des brevets en Europe car elle permet aux titulaires de brevets, pour la première fois, d’obtenir une protection uniforme dans plusieurs pays européens en même temps. Au départ, cette protection couvrira 17 pays, avec des formalités relativement allégées, notamment en termes d’exigences de traduction et de paiement d’annuités. Aujourd’hui, la plupart des brevets européens couvrent cinq ou six pays. Demain, la couverture pourra donc être plus large, plus facilement et potentiellement à moindre coût, conférant donc davantage de valeur aux portefeuilles de brevets des entreprises. En contrepartie de cette protection unitaire, les entreprises devront accepter que le brevet soit soumis à la compétence exclusive de la juridiction unifiée du brevet (JUB), ce qui comporte certains avantages et inconvénients selon les cas.

CAMILLE PECNARD : Précisons que le brevet unitaire ne remplace pas le brevet européen qui continuera d’exister. C’est une option supplémentaire proposée aux titulaires de droits.

THIERRY LAUTIER : Absolument. Il avait été longtemps question d’un brevet communautaire. La première avancée a été la création en 1977 de l’Office européen des brevets (OEB), qui proposait d’examiner de façon centralisée les demandes de brevets pour le compte de 38 pays. Mais une fois que le titre était délivré, il fallait encore accomplir des formalités dans les pays où une protection était souhaitée. L’examen était européen, mais la protection in fine était nationale. Le BU constitue donc une avancée certaine avec une protection unitaire sur la majeure partie du territoire de l’UE – et, à terme, sur tout le territoire de l’UE.

CATHERINE MÉNÈS : Mais le terme peut être encore très loin…

 

INA SCHREIBER : Certains pays européens demeurent en effet récalcitrants à la réforme.

CATHERINE MÉNÈS : La Pologne et l’Espagne, notamment, n’y sont pas favorables. Et au niveau de la ratification, aucun pays d’Europe de l’Est n’a encore effectué les démarches. Ils préfèrent attendre de voir ce qui va se passer en pratique.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Les pays de l’Est ne se sont pas encore plongés dans la réforme, ce ne sont peut-être pas ceux que l’on attendait en premier. Il fallait d’abord que les principaux pays déposants – l’Allemagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas – en soient parties prenantes.

CAMILLE PECNARD : L’entrée en vigueur dans 17 pays est déjà un cap formidable.

CATHERINE MÉNÈS : Absolument et, pour les entreprises, l’impact sur les coûts sera non négligeable.

CAMILLE PECNARD : Compte tenu de la façon dont le système est conçu, il y aura quand même des générations de droits qui se succéderont avec des champs territoriaux différents.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Le système est tout de même convergent et le but est que, d’ici environ 14 ans, l’ensemble des États membres de l’Union européenne ait ratifié le texte.

INA SCHREIBER : L’avantage du brevet unitaire se révèlera à la fin de cette période transitoire. Car un brevet validé classiquement dans un de ces pays, sera forcément soumis à la compétence de la JUB.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : En réalité, le brevet unitaire est une progression par rapport à ce qui a été mis en place avec le brevet européen. Ce qui manquait principalement en Europe, c’était la possibilité de mettre en oeuvre et de protéger judiciairement les brevets de façon centrale. Il fallait agir pays par pays, ce qui impliquait beaucoup de temps et de coûts pour le titulaire, sans parler des incertitudes. En couplant le brevet unitaire à une juridiction unique, le système est simplifié et sécurisé. C’était, selon moi, la bonne direction à choisir et nous devons tous oeuvrer à son succès.

CAMILLE PECNARD : Tous domaines confondus, avoir une nouvelle juridiction et un nouveau droit en même temps est sans précédent en Europe. La JUB telle qu’elle est proposée, avec une première instance, une cour d’appel et même un centre d’arbitrage et de médiation, est un système très complet.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Le siège de la JUB est officiellement à Paris. Si elle est européenne pour le contentieux de la contrefaçon, elle demeure très parisienne et allemande pour le contentieux de la nullité. Un procès fictif a été organisé, en novembre dernier, par l’UJUB – l’Union pour la juridiction unifiée du brevet. Les plaidoiries ont été organisées dans une salle très moderne du tribunal de commerce de Paris, proposant une belle démonstration du cadre dans lequel auront lieu les audiences. L’exercice a été, d’après moi, une réussite et constituait la preuve que la France est capable de proposer une offre judiciaire de qualité, répondant aux attentes des justiciables. Le nouveau système est d’abord pensé pour ces derniers.

CAMILLE PECNARD : Les récentes nominations révèlent la grande qualité des équipes de cette juridiction, surtout en ce qui concerne les juges. Ceci a déjà rassuré la place.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Elle est une nouvelle preuve de la robustesse de la JUB

CATHERINE MÉNÈS : La Pologne et l’Espagne, notamment, n’y sont pas favorables. Et au niveau de la ratification, aucun pays d’Europe de l’Est n’a encore effectué les démarches. Ils préfèrent attendre de voir ce qui va se passer en pratique.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Les pays de l’Est ne se sont pas encore plongés dans la réforme, ce ne sont peut-être pas ceux que l’on attendait en premier. Il fallait d’abord que les principaux pays déposants – l’Allemagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas – en soient parties prenantes.

CAMILLE PECNARD : L’entrée en vigueur dans 17 pays est déjà un cap formidable.

CATHERINE MÉNÈS : Absolument et, pour les entreprises, l’impact sur les coûts sera non négligeable.

CAMILLE PECNARD : Compte tenu de la façon dont le système est conçu, il y aura quand même des générations de droits qui se succéderont avec des champs territoriaux différents.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Le système est tout de même convergent et le but est que, d’ici environ 14 ans, l’ensemble des États membres de l’Union européenne ait ratifié le texte.

INA SCHREIBER : L’avantage du brevet unitaire se révèlera à la fin de cette période transitoire. Car un brevet validé classiquement dans un de ces pays, sera forcément soumis à la compétence de la JUB.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : En réalité, le brevet unitaire est une progression par rapport à ce qui a été mis en place avec le brevet européen. Ce qui manquait principalement en Europe, c’était la possibilité de mettre en oeuvre et de protéger judiciairement les brevets de façon centrale. Il fallait agir pays par pays, ce qui impliquait beaucoup de temps et de coûts pour le titulaire, sans parler des incertitudes. En couplant le brevet unitaire à une juridiction unique, le système est simplifié et sécurisé. C’était, selon moi, la bonne direction à choisir et nous devons tous oeuvrer à son succès.

CAMILLE PECNARD : Tous domaines confondus, avoir une nouvelle juridiction et un nouveau droit en même temps est sans précédent en Europe. La JUB telle qu’elle est proposée, avec une première instance, une cour d’appel et même un centre d’arbitrage et de médiation, est un système très complet.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Le siège de la JUB est officiellement à Paris. Si elle est européenne pour le contentieux de la contrefaçon, elle demeure très parisienne et allemande pour le contentieux de la nullité. Un procès fictif a été organisé, en novembre dernier, par l’UJUB – l’Union pour la juridiction unifiée du brevet. Les plaidoiries ont été organisées dans une salle très moderne du tribunal de commerce de Paris, proposant une belle démonstration du cadre dans lequel auront lieu les audiences. L’exercice a été, d’après moi, une réussite et constituait la preuve que la France est capable de proposer une offre judiciaire de qualité, répondant aux attentes des justiciables. Le nouveau système est d’abord pensé pour ces derniers.

CAMILLE PECNARD : Les récentes nominations révèlent la grande qualité des équipes de cette juridiction, surtout en ce qui concerne les juges. Ceci a déjà rassuré la place.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Elle est une nouvelle preuve de la robustesse de la JUB

La réorganisation des équipes pour anticiper la mise en oeuvre de la réforme

SOPHIE PLAISANT : Pour les entreprises, le premier besoin est de se former aux règles de fonctionnement de cette nouvelle juridiction. La réforme n’impliquera pas, pour les équipes des groupes, de se réorganiser. Elle touchera davantage les cabinets de conseil, car l’une des caractéristiques de cette réforme est de prévoir des délais de procédure extrêmement courts. En deux ans et demi maximum (y compris l’appel), toute la procédure doit être terminée.

MATHILDE RAULINE : En plus de la formation de leurs équipes, les entreprises devront scanner leur portefeuille de brevets, mais également leur portefeuille contractuel (celui existant et celui que l’on négocie en ce moment). L’objectif est de comprendre qui a le pouvoir de décider de l’opt-out en cas de copropriété par exemple. Dans les contrats R&D, il y a souvent un « maître de la procédure d’acquisition de droits » et un « maître du contentieux ». Or qui a le pouvoir de choisir de rester dans le système actuel ou d’aller devant la JUB ? Est-ce un acte de procédure ou une décision de contentieux ? C’est un point important à trancher.

CAMILLE PECNARD : Les questions liées aux copropriétés sont également importantes dans les contrats, car les mécanismes de désignation de la nationalité du brevet à effet unitaire sont divers. Les multiples cas de figure appellent à la vigilance. J’ajoute que la mise à jour des portefeuilles de droits, par les inscriptions aux registres, doit être effectuée car elle entraîne un certain nombre d’implications nouvelles.

THIERRY LAUTIER : Le travail de préparation, comme l’a dit Sophie, est primordial pour les conseils. Les délais de procédure prévus devant la JUB seront très courts. En première instance, l’objectif de la JUB est de rendre une décision sous 12 mois. Le défendeur n’aura qu’un mois pour soulever des objections préliminaires (par exemple, sur la compétence de la JUB) et trois mois pour déposer ses défenses au fond. Dans l’hypothèse où un titulaire de brevets engage une action sur la base de plusieurs brevets (ce qui arrive déjà fréquemment), le défendeur ne disposera que d’un trimestre pour préparer sa défense, ce qui sera sans doute très difficile. Les avocats devront être à la fois réactifs et capables d’absorber cette charge de travail dès qu’une action est lancée contre leurs clients.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Cette réforme va redéfinir le marché des avocats spécialisés en PI. Les cabinets devront avoir des équipes bien plus étoffées qu’auparavant. Dans des dossiers de pharmacie, par exemple, les contentieux sur les brevets ont des enjeux extrêmement importants. Dans d’autres secteurs, comme en matière télécoms, certains groupes détiennent des centaines de brevets et sont susceptibles de se faire assigner ou d’assigner sur trois ou quatre brevets en même temps. Il faudra alors que nos cabinets soient dotés de cellules paneuropéennes, capables d’absorber les multiples procédures en un an suivant le souhait exprimé dans le préambule de l’Accord sur la JUB.

CAMILLE PECNARD : Et demain, lorsque la JUB réunira les 25 États membres de l’UE, on peut imaginer la taille des procédures…

STANISLAS ROUX-VAILLARD : Tous les types de cabinets peuvent tirer leur épingle de cette nouvelle donne. L’important n’est pas la taille locale de tel ou tel bureau de la firme d’avocats, mais bien la force et l’intégration du réseau du cabinet.

INA SCHREIBER : Les structures de conseil vont devoir travailler différemment et redéfinir leur réseau. Depuis le protocole de Londres, les conseils échangent moins en Europe. Nous allons devoir réintensifier nos échanges pour s’assurer de garder une capacité d’adaptation et une agilité. Cette réforme est une vraie chance pour de bonnes boutiques ayant une vision internationale et des outils de réflexion ou d’analyse exportables.

CAMILLE PECNARD : Le critère principal est d’avoir un groupe mobilisable rapidement, qu’il soit intégré ou pas. Par-delà les firmes internationales, une multitude de réseaux est possible en mutualisant, ou pas, les dossiers. L’important sera d’avoir des équipes pluridisciplinaires.

MATHILDE RAULINE : Les cabinets vont aussi devoir accélérer leurs vérifications de conflits d’intérêts. Les délais prévus sont si courts que l’entreprise ne peut pas laisser une semaine à ses conseils pour faire les conflict checks.

SOPHIE PLAISANT : C’est aussi aux entreprises de l’anticiper. Lorsqu’on a déjà été confronté à des litiges de PI, on a choisi ses conseils pour éviter les conflits d’intérêts.

CATHERINE MÉNÈS : Les grandes entreprises sont déjà conseillées par des cabinets fidèles et, pour la plupart, ont anticipé les besoins de réseau international. Le changement sera sans doute plus lourd pour les plus petites entreprises, qui auront à identifier des conseils susceptibles de les accompagner.

SOPHIE PLAISANT : Les entreprises qui ont déjà eu un litige en la matière auront une meilleure connaissance du marché des conseils. Le premier litige est fondateur. Il fait entrer l’entreprise dans ce monde de spécialistes de la PI et lui permet ensuite de se structurer. Donc pour celles qui connaissent ce type de contentieux, finalement la JUB constitue une juridiction de plus, intéressante, avec des dangers et des opportunités, mais elle ne change pas fondamentalement la donne. En tout cas, pas durant cette phase de transition dans laquelle il n’y a pas encore de jurisprudence. À l’heure actuelle, les groupes ont une idée claire des appréciations de chaque cour, on sait si les dossiers vont passer ou pas. Devant la JUB, on ne sait rien. Le point positif, c’est que les juges seront très expérimentés. Mais avec des antécédents différents et des cultures diverses. Même s’il s’agit d’une juridiction internationale, ce sont tout de même des cours nationales. Et il faudra une unité de ces décisions, qui prendra nécessairement du temps. taille locale de tel ou tel bureau de la firme d’avocats, mais bien la force et l’intégration du réseau du cabinet.

INA SCHREIBER : Les structures de conseil vont devoir travailler différemment et redéfinir leur réseau. Depuis le protocole de Londres, les conseils échangent moins en Europe. Nous allons devoir réintensifier nos échanges pour s’assurer de garder une capacité d’adaptation et une agilité. Cette réforme est une vraie chance pour de bonnes boutiques ayant une vision internationale et des outils de réflexion ou d’analyse exportables.

CAMILLE PECNARD : Le critère principal est d’avoir un groupe mobilisable rapidement, qu’il soit intégré ou pas. Par-delà les firmes internationales, une multitude de réseaux est possible en mutualisant, ou pas, les dossiers. L’important sera d’avoir des équipes pluridisciplinaires.

MATHILDE RAULINE : Les cabinets vont aussi devoir accélérer leurs vérifications de conflits d’intérêts. Les délais prévus sont si courts que l’entreprise ne peut pas laisser une semaine à ses conseils pour faire les conflict checks.

SOPHIE PLAISANT : C’est aussi aux entreprises de l’anticiper. Lorsqu’on a déjà été confronté à des litiges de PI, on a choisi ses conseils pour éviter les conflits d’intérêts.

CATHERINE MÉNÈS : Les grandes entreprises sont déjà conseillées par des cabinets fidèles et, pour la plupart, ont anticipé les besoins de réseau international. Le changement sera sans doute plus lourd pour les plus petites entreprises, qui auront à identifier des conseils susceptibles de les accompagner.

SOPHIE PLAISANT : Les entreprises qui ont déjà eu un litige en la matière auront une meilleure connaissance du marché des conseils. Le premier litige est fondateur. Il fait entrer l’entreprise dans ce monde de spécialistes de la PI et lui permet ensuite de se structurer. Donc pour celles qui connaissent ce type de contentieux, finalement la JUB constitue une juridiction de plus, intéressante, avec des dangers et des opportunités, mais elle ne change pas fondamentalement la donne. En tout cas, pas durant cette phase de transition dans laquelle il n’y a pas encore de jurisprudence. À l’heure actuelle, les groupes ont une idée claire des appréciations de chaque cour, on sait si les dossiers vont passer ou pas. Devant la JUB, on ne sait rien. Le point positif, c’est que les juges seront très expérimentés. Mais avec des antécédents différents et des cultures diverses. Même s’il s’agit d’une juridiction internationale, ce sont tout de même des cours nationales. Et il faudra une unité de ces décisions, qui prendra nécessairement du temps. taille locale de tel ou tel bureau de la firme d’avocats, mais bien la force et l’intégration du réseau du cabinet.

INA SCHREIBER : Les structures de conseil vont devoir travailler différemment et redéfinir leur réseau. Depuis le protocole de Londres, les conseils échangent moins en Europe. Nous allons devoir réintensifier nos échanges pour s’assurer de garder une capacité d’adaptation et une agilité. Cette réforme est une vraie chance pour de bonnes boutiques ayant une vision internationale et des outils de réflexion ou d’analyse exportables.

CAMILLE PECNARD : Le critère principal est d’avoir un groupe mobilisable rapidement, qu’il soit intégré ou pas. Par-delà les firmes internationales, une multitude de réseaux est possible en mutualisant, ou pas, les dossiers. L’important sera d’avoir des équipes pluridisciplinaires.

MATHILDE RAULINE : Les cabinets vont aussi devoir accélérer leurs vérifications de conflits d’intérêts. Les délais prévus sont si courts que l’entreprise ne peut pas laisser une semaine à ses conseils pour faire les conflict checks.

SOPHIE PLAISANT : C’est aussi aux entreprises de l’anticiper. Lorsqu’on a déjà été confronté à des litiges de PI, on a choisi ses conseils pour éviter les conflits d’intérêts.

CATHERINE MÉNÈS : Les grandes entreprises sont déjà conseillées par des cabinets fidèles et, pour la plupart, ont anticipé les besoins de réseau international. Le changement sera sans doute plus lourd pour les plus petites entreprises, qui auront à identifier des conseils susceptibles de les accompagner.

SOPHIE PLAISANT : Les entreprises qui ont déjà eu un litige en la matière auront une meilleure connaissance du marché des conseils. Le premier litige est fondateur. Il fait entrer l’entreprise dans ce monde de spécialistes de la PI et lui permet ensuite de se structurer. Donc pour celles qui connaissent ce type de contentieux, finalement la JUB constitue une juridiction de plus, intéressante, avec des dangers et des opportunités, mais elle ne change pas fondamentalement la donne. En tout cas, pas durant cette phase de transition dans laquelle il n’y a pas encore de jurisprudence. À l’heure actuelle, les groupes ont une idée claire des appréciations de chaque cour, on sait si les dossiers vont passer ou pas. Devant la JUB, on ne sait rien. Le point positif, c’est que les juges seront très expérimentés. Mais avec des antécédents différents et des cultures diverses. Même s’il s’agit d’une juridiction internationale, ce sont tout de même des cours nationales. Et il faudra une unité de ces décisions, qui prendra nécessairement du temps. Les décisions de la JUB auront – et c’est inédit – un caractère exécutoire dans 17 pays en même temps, avec la possibilité d’obtenir notamment des interdictions contre des produits concurrents ainsi que des dommages-intérêts couvrant les ventes réalisées dans tous ces pays. La JUB devrait donc être très intéressante d’un point de vue commercial.

Les leçons du mock trial organisé en novembre 2022

MATHILDE RAULINE : Un procès fictif a été organisé, en novembre dernier. La procédure de la JUB a été, pour l’occasion, encore plus raccourcie, parce qu’au lieu d’un délai de trois mois, nous disposions de deux semaines pour rédiger les conclusions et fournir les pièces. Cela a montré l’importance d’avoir un dossier très complet dès les premières écritures. Le dossier comprenait à la fois des points de droit des brevets très classiques, et des points sur la compétence de la JUB. L’affaire a même été jugée par des magistrats qui siègeront à la JUB.

STANISLAS ROUX- VAILLARD : L’exercice était réussi et reflétait bien ce à quoi l’on peut s’attendre demain. Les juges étaient de différentes nationalités et les conseils étaient très internationaux. Il y avait des conseils en propriété industrielle, des juges techniques, des ingénieurs de divers horizons. Les débats étaient de haute volée et il m’a semblé que les points techniques et juridiques étaient d’ores et déjà assez bien identifiés. L’ensemble m’a paru très positif pour la place de Paris et de la France. J’ai été frappé par l’enjeu de la langue de la procédure car elle tient les parties. Beaucoup se joue entre les langues de travail de l’OEB. Dans tous les cas, lorsque l’on choisit la langue de la procédure, il faut que le conseil soit capable à l’oral de convaincre par son message dans cette langue-là. Je crois qu’il serait donc bon que nos équipes soient constituées pour s’exprimer simplement et clairement dans ces langues de façon à pouvoir, ensuite, s’exprimer parfaitement devant la cour.

CAMILLE PECNARD : Ces questions se posent déjà devant l’OEB.

INA SCHREIBER : Ce point de la langue va devenir plus important dans nos recrutements. La connaissance des trois langues, voire d’autres comme l’italien, sera un avantage indéniable.

THIERRY LAUTIER : C’est d’autant plus important que les plaidoiries devraient être interactives, c’est à dire que nous ne pourrons pas simplement préparer et délivrer notre message dans la langue choisie. Les magistrats auront la possibilité de nous interrompre, de demander des précisions sur un point particulier et de poser des questions. Il faudra donc être extrêmement réactif et bien connaître son dossier. On ne pourra pas se contenter de lire ses notes.

CAMILLE PECNARD : Il y a déjà une évolution devant les tribunaux français à cet égard, les monologues de trois heures deviennent rares. Les avocats sont déjà interrogés, challengés sur le dossier, on s’approche, on regarde les dessins, les éléments. C’est beaucoup plus intéressant aujourd’hui.

INA SCHREIBER : Il sera intéressant d’avoir des équipes pluridisciplinaires composées d’avocats et de mandataires européens. Car même si vous avez bien préparé votre dossier, il y a des questions techniques que vous ne pouvez pas anticiper. Ce sera un bon exemple de mélange des genres et des pratiques.

CAMILLE PECNARD : Pendant le mock trial, on voyait effectivement que le niveau d’anglais, l’aisance personnelle et les réponses aux questions techniques étaient des éléments tout aussi importants. Une adaptation est nécessaire.

MATHILDE RAULINE : Je crois qu’il n’est pas toujours bénéfique d’avoir un conseil de langue maternelle anglaise parce que, pour la majorité des juges, l’anglais ne sera pas leur langue maternelle.

INA SCHREIBER : En effet, il y a un niveau de vocabulaire, un accent et un débit auquel les juges ne sont pas forcément habitués.

MATHILDE RAULINE : Autre point positif de cette expérience, c’est la vitesse de la procédure. La décision de première instance au fond sera rendue en 12 mois. Ceci implique que s’il y a référé, il sera extrêmement rapide.

THIERRY LAUTIER : Le critère pour obtenir une interdiction en référé risque d’être d’autant plus strict. Je pense en particulier au critère de proportionnalité, puisqu’il faudra des mesures sollicitées qui devront couvrir 17 pays européens. Il faudra donc sans doute d’autant plus justifier de leur nécessité.

STANISLAS ROUX-VAILLARD : L’enjeu de ces référés sera de savoir si, dans l’attente d’une décision au fond, un concurrent puisse se voir interdire d’accéder au marché de 17 puis bientôt 25 pays de l’Union Européenne.

SOPHIE PLAISANT : Un autre point positif, c’est la présence des juges techniques qui sont en général remarquables et permettent d’écarter tous les faux-semblants du défendeur, d’aller droit au but et d’éclaircir rapidement certains points techniques. C’est ce qui me plaît le plus dans la réforme.

CAMILLE PECNARD : La présence de juges techniques ne sera pas automatique.

INA SCHREIBER : S’il y a une question de nullité soulevée, ce qui est le plus souvent le cas, on peut tout de même s’attendre à ce qu’ils soient présents.

MATHILDE RAULINE : Evoquons les coûts, et les risques : un litige devant la JUB sera probablement plus cher qu’un contentieux national, mais moins cher qu’un contentieux dans plusieurs pays. Et si le marché du concurrent se limite à un seul pays, risquer l’annulation de son brevet dans les 17 pays de la JUB est un risque important. C’est un peu à double tranchant.

STANISLAS ROUX- VAILLARD : Le système est asymétrique. Quand on est en demande, on obtient une décision en un an et c’est formidable car on a tout anticipé. Quand on est en défense, le litige peut ne pas avoir été anticipé et là, la situation devient extraordinairement compliquée.

INA SCHREIBER : Si le défendeur est par exemple, au Japon, les délais peuvent être assez longs ce qui pourrait compliquer la situation dans certains cas !

MATHILDE RAULINE : Le système est prévu pour que les arguments et moyens de preuves soient échangés dès les premières écritures : chacun arrivera au procès avec ses arguments, ses pièces et ses rapports d’expertise… et il faudra de bonnes raisons pour compléter son dossier. On a trois mois pour tout boucler, et pas vraiment de deuxième chance.

SOPHIE PLAISANT : Et si vous recevez l’assignation fin juillet il faut déjà compter un mois de moins.

CAMILLE PECNARD : Cette réforme devrait rationnaliser le contentieux et éviter les attaques d’acteurs tous azimuts qui ont la possibilité d’assigner facilement et quasiment gratuitement, en France, en demandant 1 Md€ de dommages et intérêts sans réelle justification. Devant la JUB, le ticket d’entrée devrait limiter ce genre de dossiers.