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Stratégie RSE et cabinets d’avocats : un marché à deux vitesses

Par Ondine Delaunay

RSE - Responsabilité sociétale des entreprises. Les temps sont à l’engagement des groupes. Mais qu’en est-il des cabinets d’avocats ? Les firmes anglo-saxonnes sont à l’avant-garde en la matière, tandis que dans les cabinets français, la politique RSE tourne souvent à de l’affichage marketing. Quelles bonnes pratiques mettre en place pour une action efficace ? Entretien avec Sébastien Robineau, managing partner de RBO Consulting, et T. Alexander Brabant, co-managing partner de DLA Piper.

À quoi correspond la RSE en cabinet d’avocats ?

Sébastien Robineau : Les cabinets n’ont pas la même acception de la RSE en fonction de leur origine. Certains bureaux parisiens ont à cœur de mettre en place une véritable politique de responsabilité sociétale et environnementale en étant parfois influencés par leurs clients, ou bien dans l’objectif de pouvoir répondre aux appels d’offres soumis au Code des marchés publics. Je rappelle en effet que le critère de respects des engagements de RSE est vérifié de manière objective par le donneur d’ordres publics. Force est néanmoins de constater que, dans les cabinets français, la RSE relève bien souvent de la cosmétique.

Le mouvement est très différent dans les cabinets anglosaxons, surtout aux États-Unis où les firmes sont très en avance dans leur démarche. La notion a vraiment du sens outre-Atlantique, depuis plusieurs années déjà. Et cette avance a été conservée. La RSE fait partie de l’ADN des firmes américaines.

Alexander Brabant : La firme DLA Piper est investie dans les sujets RSE depuis sa création. Issu de la fusion de DLA, Piper Rudnick et Gray Cary en 2005, le cabinet s’est construit sur un socle d’origine anglaise et américaine. Le pro bono a ainsi toujours été au cœur des préoccupations du cabinet notamment au travers de son partenariat avec l’Unicef. Loin d’être une démarche cynique, c’est un héritage de la culture américaine qui consiste à « rendre » à la communauté. Plus récemment, le cabinet a avancé sur le sujet de la RSE sur divers sujets, par exemple : par une redéfinition et, surtout, une promotion de ses valeurs, notamment centrées autour du « travailler ensemble » et par la fixation d’objectifs annuels en matière de diversité et d’inclusion. Avec actuellement 21 % d’associées femmes, DLA Piper s’est fixé comme ambition de porter ce nombre à 30 % en 2025 et à 40 % d’ici 2030. En outre, la moitié des promotions internes d’associés doivent provenir de groupes sous-représentés (ethnicité, genre, handicap et neurodiversité, origine, mobilité sociale, orientation sexuelle et personnes travaillant à temps partiel). Sur la majorité de ces points, le bureau parisien n’est pas en reste. Nous comptons actuellement 46 % de femmes associées dans nos effectifs, par exemple. Nous avons également créé un comité environnemental qui traque tous les sujets où nous pouvons améliorer notre contribution à la protection de l’environnement, par exemple : le tri de nos déchets, l’utilisation de papier recyclé, le remplacement de bouteille et gobelets jetables par l’utilisation de bouteilles en verre et de tasses, recyclage mégots de cigarettes, etc.

La crise du Covid-19 a-t-elle eu un effet sur l’installation de la RSE dans les cabinets ?

S.R. : Depuis plusieurs années, je remarque une évolution de la perception de la RSE dans les cabinets, du fait du renouvellement des générations d’avocats et de salariés. Les jeunes sont sensibles au positionnement sociétal de leurs structures d’exercice. Je le constate d’ailleurs tous les jours dans les recrutements qui me sont confiés. Auparavant, ce qui faisait sens pour les collaborateurs c’était la structure en elle-même, sa marque, son organisation, son internationalisation. Aujourd’hui, le respect de la RSE fait partie de leurs points d’attention. Pour attirer les beaux profils, les cabinets sont désormais obligés d’établir une stratégie sociétale et environnementale.

Il est à mon sens trop tôt pour parler d’accélération de la tendance à la suite de la pandémie. Mais de toute évidence, la crise du Covid-19 a eu un impact sur le vécu des professionnels et sur leurs habitudes de travail. Tout porte donc à croire qu’il en sera de même pour leur approche de la RSE.

A.B. : Durant cette pandémie, les mentalités ont évolué en très peu de temps et il est difficile de savoir, pour le moment, l’ampleur durable de ces évolutions. Toutefois les cabinets d’avocats dans leur ensemble, c’est-à-dire les avocats mais aussi les populations de salariés qui travaillent à leurs côtés, ne veulent plus seulement des déclarations de bonnes intentions… La crise sanitaire, à cet égard, a été manifestement un catalyseur : si les actions se multiplient, c’est que les enjeux sociétaux et environnementaux se font fait plus pressants et présents. Par ailleurs, de leur côté, les clients attendent également de leurs avocats des actions qui vont rejoindre les leurs - et constituent d’ailleurs des éléments décisifs lors du choix de leurs avocats.

Cette crise que nous avons traversée a donc, me semble-t-il, amplifié ce phénomène, et sans doute accéléré l’évolution des attentes au sein des cabinets. Concrètement, cette évolution a inscrit, durablement, dans les cabinets une politique continue en matière environnementale, sociale et économique. Mais, encore une fois, ces politiques doivent être l’expression d’une démarche sincère et non pas d’une stratégie marketing.

L’autodiagnostic est une étape fondamentale dans la mise en place d’une politique RSE. Comment la mener à bien pour s’assurer de l’adhésion de tous ?

S.R. : Le bilan se fait naturellement en fonction de l’objectif poursuivi. S’agissant par exemple des questions environnementales, le cabinet peut faire état de la consommation de papier, du nombre d’impressions couleur, du nombre de bouteilles plastiques utilisées quotidiennement, de manière à exposer des données chiffrées aux équipes pour les alerter. Il peut également s’engager dans une démarche de compensation à travers son bilan carbone. Dans le cabinet Homère, que je dirigeais en tant que managing partner avant ma reconversion, nous avions entrepris de replanter le double de ce que nous consommions à travers un programme de reforestation. La mise en place d’une politique RSE a un effet bénéfique pour tous, elle insuffle un vent novateur, une volonté de transparence, qui encourage l’adhésion du groupe et la cohésion entre ses membres. Il est nécessaire qu’elle soit pilotée par le managing partner qui doit s’approprier le sujet pour en être le porte-parole.

A.B. : Je suis d’accord avec Sébastien. L’autodiagnostic peut également passer par le recours à des audits par exemple sur la réduction de notre consommation énergétique. L’ensemble de ces actions suscite l’adhésion quasiment immédiate de tous et en particulier des collaborateurs. À Paris, notre comité environnemental est composé de salariés et d’avocats qui présentent régulièrement leurs travaux à l’ensemble des effectifs. Le message est ensuite porté par les managers qui insufflent une dynamique au sein de leurs équipes respectives.

S’agissant des risques psychosociaux ou des questions de diversité, il s’agit surtout de sensibilisation au travers de campagnes d’information et de sensibilisation. La sincérité de la démarche est essentielle. Récemment, le cabinet a fait au niveau international une campagne de sensibilisation sur la question de la diversité. Ont ainsi été diffusées des interviews de membres du cabinet qui racontaient leur histoire par exemple sur les appréhensions, voire les difficultés qui peuvent être vécues dans le monde professionnel en fonction de son orientation sexuelle. Des témoignages courageux et vraiment émouvants qui ont eu un véritable impact sur tout le monde. À tout le moins, cela permet d’attaquer les préjugés et, partant, de construire des valeurs communes qui sont réellement vécues par tous. 

Sébastien Robineau Alexander Brabant DLA Piper RBO Consulting Responsabilité sociétale des entreprises (RSE)