Nouvelles politiques pénales du DOJ : quelles incidences sur les entreprises françaises ?
Le Department of Justice américain, après avoir suspendu les dispositions du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), pendant 6 mois, a annoncé sa remise en vigueur avec de nouvelles indications concernant son application et, plus généralement, sur les priorités que le DOJ compte appliquer dans sa politique pénale. Le point avec Margot Sève, associée à Paris, et Andrew Good, associé à Londres, du cabinet Skadden Arps, Slate, Meagher & Flom LLP..
Comment s’articulent les récentes communications du DOJ américain ?
Le DOJ a récemment publié deux documents : un memorandum du 12 mai 2025 présentant les priorités du DOJ en matière de répression des infractions en col blanc (le « memorandum de politique pénale ») et des lignes directrices, publiées le 9 juin 2025, relatives à la mise en œuvre du Foreign Corrupt Practices Act (les « Lignes Directrices FCPA »). Le DOJ a également modifié ses politiques en matière de poursuites, de monitorat et de lanceurs d’alerte. Prises ensemble, ces lignes directrices suggèrent que le DOJ concentrera essentiellement son action sur :
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les infractions ayant une incidence sur les intérêts des États-Unis, y compris celles ayant affecté le gouvernement, des consommateurs, des investisseurs ou des marchés américains ;
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les actes de soutien direct ou indirect à des groupes terroristes et à des organisations criminelles internationales affectant la sécurité des États-Unis ;
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les infractions particulièrement graves, telles que le versement de pots-de-vin importants, les actes sophistiqués de dissimulation de faits de corruption, les comportements frauduleux ou encore les mesures d’obstruction à la justice.
Les nouvelles priorités du DOJ ciblent-elles en particulier les entreprises étrangères ? Exemptent-elles les entreprises américaines de l’application du FCPA lorsqu’elles agissent dans l’intérêt des États-Unis ?
Bien que le memorandum de politique pénale et les lignes directrices FCPA précisent qu’une priorité essentielle du DOJ en matière de poursuites sera de favoriser les intérêts commerciaux américains et la sécurité nationale, ils n’écartent pas expressément la possibilité d’engager la responsabilité des entreprises américaines en cas de manquement. À cet égard, les Lignes Directrices FCPA précisent que le DOJ ne se focalisera pas sur la nationalité des personnes physiques ou morales poursuivies. Elles soulignent néanmoins que « [l]es schémas de corruption les plus flagrants ont historiquement été commis par des entreprises étrangères ». Cet extrait suggère que, bien que les entreprises américaines restent assujetties au FCPA et aux autres textes réprimant les infractions en col blanc, davantage de ressources seront allouées aux poursuites des entreprises étrangères, notamment lorsque leurs comportements portent atteinte à la compétitivité des entreprises américaines, impliquent des secteurs stratégiques (par exemple, le secteur de l’énergie, des infrastructures, ou de la technologie), ou profitent à des adversaires géopolitiques.
Certaines parties du memorandum de politique pénale ciblent les organisations chinoises. Pourquoi ?
L’actuelle administration Trump a signalé et/ou mis en place des mesures agressives à l’encontre de la Chine, que ce soit en matière de tarifs douaniers ou de visas étudiants. Le memorandum prévoit plusieurs dispositions ciblant les organisations chinoises – celles-ci sont identifiées en différentes matières (commerce, sanctions, défense nationale) comme des menaces systémiques aussi bien pour la protection des investisseurs américains que pour les intérêts stratégiques des États-Unis.
Quelles sont les conséquences du memorandum pour les entreprises françaises et quelles précautions doivent-elles prendre ?
Les entreprises européennes, en particulier celles opérant dans des secteurs stratégiques tels que les métaux rares, les ports, la défense ou le renseignement, pourraient faire l’objet d’une surveillance accrue des autorités américaines. Les entreprises françaises devraient se montrer proactives et évaluer les risques de poursuites à mesure que le paysage répressif évolue, aussi bien au niveau national qu’international. Outre une veille des politiques pénales des autorités ayant juridiction sur leurs activités, cela implique également la mise en place de contrôles internes robustes, notamment en matière d’évaluation des tiers, et le renforcement des programmes de formation des collaborateurs.
Il faut noter que le memorandum ne doit pas être interprété comme un signal que le DOJ sera moins actif dans d’autres domaines que ceux énumérés dans le document : les autres dispositions législatives en matière de droit pénal des affaires restent en vigueur et toute violation des textes exposera les entreprises à des risques de sanctions.
Le memorandum de politique pénale tout comme les lignes directrices FCPA indiquent par ailleurs une préférence pour que les poursuites dans des dossiers ne présentant pas d’incidence significative sur les intérêts américains soient laissés aux mains des autorités étrangères. Pour autant, le DOJ continuera de coopérer avec ses homologues étrangers pour défendre leurs intérêts. Les entreprises françaises peuvent ainsi s’attendre à ce que les autorités nationales profitent de la politique pénale américaine pour étendre leurs pouvoirs en matière de poursuite. La « task force » anti-corruption récemment créée par le Parquet national financier français, le Serious Fraud Office britannique et le Ministère public de la Confédération Suisse en est le parfait exemple.
La nouvelle politique pénale est-elle plus « business friendly » ?
Le memorandum invite les procureurs à ne pas prendre de mesures qui « sanctionneraient la prise de risque et entraveraient l’innovation ». Les lignes directrices FCPA mettent aussi l’accent sur les fautes les plus graves, et invitent les procureurs à éviter de se focaliser sur des comportements impliquant des « pratiques commerciales courantes » ou des « gestes commerciaux de faible valeur ». En outre, les différentes lignes directrices du DOJ encouragent fortement la révélation spontanée. Elles prévoient en ce sens trois modalités clairement identifiées permettant d’obtenir automatiquement l’absence de mise en œuvre de l’action publique : la révélation spontanée des faits, la pleine coopération avec les autorités et la mise en place de mesures de remédiation. La politique du DOJ encourage par ailleurs les procureurs à n’avoir recours à des moniteurs indépendants que dans certaines circonstances.
Ces développements témoignent donc d’une approche plus « business friendly » des autorités américaines. La politique du DOJ apporte davantage de clarté et de prévisibilité aux entreprises, encourage une prise de contact avec le gouvernement dès les premiers soupçons d’une violation, et incitent les comportements proactifs en matière de mesures correctives. Dans le même temps, elle réprime plus sévèrement la responsabilité pénale des auteurs d’infractions graves n’ayant pas révélé les faits identifiés, en particulier lorsque la sécurité nationale ou les intérêts économiques américains sont en jeu.
Le programme de lanceurs d’alerte du DOJ a-t-il également été mis à jour ?
Oui. Le DOJ a également renforcé son programme en matière de lanceurs d’alerte, qui s’applique aussi bien aux « whistleblowers » américains qu’étrangers. Le programme, qui se limitait précédemment à certaines infractions, y compris le FCPA, a été élargi à d’autres domaines, notamment celui des sanctions économiques. Les récompenses importantes proposées par le DOJ—jusqu’à 30 % des premiers 100 M$ restitués par l’entreprise – contrastent nettement avec la politique européenne de ne pas rétribuer les lanceurs d’alerte, créant une incitation pour les whistleblowers non-américains de contacter directement le DOJ en cas de manquement identifié.
Comment les entreprises françaises peuvent-elles appréhender les nouvelles politiques du DOJ ?
Le DOJ, tout comme certaines autorités françaises, incite fortement les entreprises à la révélation spontanée et à la coopération. Le DOJ a également renforcé son programme de lanceurs d’alerte.
Pour bénéficier à plein de ces politiques, les groupes internationaux français devraient revoir et, le cas échéant, mettre à jour leurs procédures d’enquêtes internes, de lanceurs d’alerte, de remédiation, et de prise de décision, afin d’en évaluer la crédibilité et l’adéquation aux attentes des autorités. Les entreprises pourront ainsi, au besoin, démontrer aux autorités la rapidité avec laquelle elles ont pris connaissance, investigué et remédié certains manquements.