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Maintenir la relation avec le client malgré la crise

Par Aurélia Granel

La crise sanitaire et surtout le confinement ont contraint les cabinets à modifier leur approche de Business Development pour maintenir la relation avec le client. Comment les cabinets se sont-ils adaptés ? Quelles nouvelles pratiques ont émergé ?

Analyse croisée de Sébastien Robineau, associé fondateur de RBO Consulting, et Marina Lott, business development senior manager, cabinet Latham & Watkins

Quelles sont les faiblesses en matière de BD révélées par la crise sanitaire et le confinement ?

Sébastien Robineau : Le métier d’avocat n’est, à l’origine, pas tourné vers le BD. La crise sanitaire et le confinement l’ont démontré. Lorsque nous avons été confinés au printemps dernier, l’urgence a été de poursuivre l’activité. La peur du lendemain s’est avérée importante, mais rapidement, les équipes BD ont pris le relai pour permettre aux avocats de maintenir du lien avec leurs clients, même si certains cabinets ont inondé les boîtes mails de newsletters parfois anxiogènes. Les difficultés ont été accrues pour les structures qui ne possédaient pas d’équipe BD, interne ou externe.

Marina Lott : Le confinement a mis en exergue certaines faiblesses en matière de BD. L’intuitu personæ étant encore prégnant dans les relations entre les avocats et leurs clients, l’absence de relations sociales a constitué un frein, au moins dans un premier temps. Fort heureusement, les avocats sont créatifs et se sont adaptés. La situation a peut-être été plus facile pour ceux qui occupent une place reconnue sur leur segment de marché. Leurs clients ont continué à se tourner vers les avocats avec lesquels ils avaient l’habitude de travailler. La situation que nous avons traversée a révélé l’importance de connaître son client et d’être présent à ses côtés comme un véritable business partner.

Sommes-nous passés d’une approche de masse à une personnalisation de la relation client ? Est-ce l’avènement du « one to one engagement » entre l’avocat et son client ?

M. L. : En période de crise, plus que jamais, les avocats se doivent d’être à l’écoute de leurs clients, de connaître leurs préoccupations, pour les aider à évaluer les risques et anticiper. Le mode de communication doit être adapté à ce contexte, être ciblé. Même s’il était important d’informer les clients sur les nombreuses évolutions réglementaires durant le printemps dernier, une balance a dû être trouvée sur la méthode à suivre. Chez Latham & Watkins, nous avions déjà adopté une approche beaucoup plus ciblée. Nous avons renforcé cette démarche.

S. R. : La connaissance du client est le nerf de la guerre en BD. Nous avons recommandé aux avocats de profiter de cette période pour contacter leurs clients. Un simple appel évoquant leurs problématiques suffisait parfois à ces derniers à se sentir épaulés et soutenus. L’avocat fournit des prestations juridiques à ses clients et résout leurs différends, mais n’oublions pas qu’il a aussi un rôle déterminant de partenaire. Nous ne pouvons parler d’avènement du « one to one engagement » entre l’avocat et son client, mais bien d’une renaissance du « one to one engagement ». Cette crise permet de renouer la relation de qualité et de confiance entre un avocat et son client. Il est désormais sélectionné pour sa compétence mais aussi pour sa disponibilité.

Les avocats ont-ils une fine perception des attentes de leurs clients ou cette crise a révélé un gap entre perception et réalité ?

S. R. : Les avocats ayant une relation de partenaire avec leurs clients, grâce à une véritable stratégie de BD, ont nécessairement une fine perception de leurs attentes. Pour les autres, la crise a été un révélateur de ce gap entre perception et réalité. Certains ont réalisé qu’ils ne connaissaient leurs clients qu’à travers les missions qui leur avaient été confiées avant cette crise.

M. L. : La situation est telle que les cabinets d’avocats ont été touchés par la crise au même titre que leurs clients, ce qui a facilité le partage d’expérience et d’information. D’une certaine façon, cela nous a rapproché.

Les cabinets se sont majoritairement appuyés sur les outils digitaux. Comment construire une véritable stratégie BD avec ces outils ?

M. L. : Les avocats capables de s’adapter dans un monde virtuel dès le mois de mars 2020 ont pu garder contact avec leurs clients, sans interruption. Aux États-Unis, les plaidoiries ont même été menées virtuellement, sans interruption des tribunaux ou presque. Les outils digitaux nous ont permis de continuer à exercer notre métier et à mener à bien négociations et transactions. Le digital est au cœur de la stratégie de développement en ce qu’il permet de mieux connaître nos clients, aussi bien en interne qu’en externe, mais il n’est qu’un outil. La définition d’une vision stratégique partagée et la planification restent nécessaires.

S. R. : La vertu de cette crise est d’avoir imposé la digitalisation. Certains cabinets ont numérisé leurs dossiers en urgence et créé un système de connexion à distance pour travailler. Tout le monde a été tenu de s’y mettre et l’activité de prestation de services s’est transformée. À l’image des magasins qui ont créé des site e-commerce pour survivre. Finalement, les avocats sont dans la même situation : ils se sont ouverts à d’autres manières de travailler, la visioconférence au premier rang. Ces outils digitaux permettent de créer une nouvelle relation. Certains clients sont passés des rendez-vous physiques hebdomadaires, à des réunions en visioconférence de manière bien plus fréquente. Sur des dossiers urgents, il est souvent plus facile d’être sollicité pour des réunions imprévues lorsqu’elles se tiennent à distance. Sans parler du gain de temps lié au fait de ne pas se déplacer. La digitalisation modifie le comportement dans la consommation de prestations de services.

Comment les process des appels d’offres sont-ils modifiés ?

M. L. : À l’exception de l’étape finale de la présentation, qui ne pouvait plus avoir lieu en présentiel, les appels d’offres ont peu évolué durant cette dernière année. Je ne pense pas que le principe même de sélection ait changé. Pour ce qui est de la présentation, il a été nécessaire d’adapter la phase de préparation au contexte virtuel, au-delà des recommandations usuelles (anticiper les questions, se coordonner, répéter…). Une bonne plaidoirie se prépare, c’est la même chose pour un pitch, d’autant plus lorsqu’on se présente en équipe. L’aspect financier a, quant à lui, quelque peu évolué : il est demandé aux avocats toujours plus de détails sur les différentes phases des dossiers pour avoir le maximum de visibilité financière possible.

S. R. : L’exercice du pitch est bien plus difficile en visioconférence. Tout le monde ne maîtrise pas forcément l’outil de visioconférence, comme le rythme de diffusion des slides d’une présentation sur Powerpoint. Le formalisme ainsi que la pression sont moindres en visioconférence car l’avocat se trouve dans son écosystème (son bureau, par exemple). Il n’a pas le stress de l’artiste qui monte sur scène et sera généralement moins performant dans cet environnement de confiance.

Par ailleurs, les comportements parfois inadaptés de l’auditoire sont plus facilement perceptibles par visioconférence, comme les personnes avachies dans leur fauteuil ou qui regardent leur téléphone durant la présentation. C’est déstabilisant pour l’avocat qui est en train de pitcher, tenu de garder son sang-froid malgré tout. À l’inverse, les prestations de mauvaise qualité sont plus rapidement relevées. Tous les participants remarquent instantanément les défauts de l’avocat, alors qu’ils se seraient probablement noyés dans la masse en présentiel.

Comment ne pas reproduire, demain, les mêmes erreurs ?

M. L. : Il faudra du temps pour absorber ces changements, mais j’espère qu’ils deviendront notre nouvelle approche. Même si elle est contraignante à bien des égards, la crise nous a confirmé l’importance des investissements dans le digital et nous a également démontré la formidable capacité d’adaptation des avocats. La définition de priorités et d’objectifs à moyen et long-terme et la mesure de la performance restent le fondement d’une stratégie de développement.

S. R. : Les cabinets tireront sûrement le meilleur parti de cette expérience surprenante. Tout le monde a trouvé, dans ce nouveau modus operandi, une zone de confort au quotidien. Plus rien ne sera comme avant. Je suis donc optimiste, voire plutôt satisfait de me dire que la pratique de la profession évoluera en ce sens. 

Sébastien Robineau Latham & Watkins RBO Consulting