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« Le rôle du Compliance Officer dans la CJIP : acteur-clé ? »

Par La rédaction

 

L’évolution du cadre répressif et de conformité depuis l’introduction des conventions judiciaires d’intérêt public a fait évoluer la place du compliance officer. Fabien Ganivet et Gaëlle Thuault, du cabinet DLA Piper, respectivement ancien magistrat du Parquet devenu avocat associé et ancienne chief compliance officer d’un grand groupe
du CAC 40 devenue avocat counsel, mettent en perspective les enjeux
de cette fonction stratégique au sein de la dynamique de conformité portée par la CJIP.

En quoi la CJIP reconfigure-t-elle la réponse pénale applicable aux personnes morales ?

FG : Il s’agit d’un mécanisme qui est apparu, certes, innovant en France lorsqu’il a été introduit en 2016 dans notre arsenal procédural répressif, mais qui était déjà largement répandu dans les pays anglo-saxons à travers le Deferred Prosecution Agreement (DPA), d’inspiration très proche. À l’initiative du procureur de la République, la CJIP permet à une personne morale de mettre fin, sous certaines conditions strictes, à des poursuites en matière d’atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, fraude fiscale), leur blanchiment et les infractions connexes, ainsi que pour certaines infractions au code de l’environnement. En y souscrivant, l’entreprise manifeste sa volonté de rompre avec des pratiques répréhensibles passées tout en s’engageant dans une dynamique de remédiation et de conformité renforcée. Sur le plan procédural, la CJIP offre une voie de résolution qui éteint l’action publique sans avoir les mêmes effets qu’un jugement, puisqu’elle n’emporte ni déclaration de culpabilité ni condamnation juridictionnelle. Elle favorise ainsi la continuité de l’activité économique, notamment en préservant l’accès aux marchés publics ainsi que la poursuite des partenariats commerciaux, déjà établis ou en cours de développement.

GT : Pour l’entreprise, l’intérêt de la CJIP consiste en sa célérité et son approche globale, car elle facilite la gestion des conséquences opérationnelles tout en réduisant les incertitudes et lenteurs inhérentes à une procédure juridictionnelle classique. Au plan réputationnel, la CJIP tend à être appréciée de manière moins défavorable qu’un jugement de condamnation, bien qu’elle s’appuie également sur un principe de transparence : une fois homologuée par le juge, elle fait l’objet d’une publication assortie de l’ordonnance de validation et d’un communiqué du procureur de la République compétent. Si cette publicité institutionnelle peut parfois apparaître comme stigmatisante, elle n’en atteste pas moins de l’engagement de la personne morale dans une démarche de conformité structurée, fondée sur des principes de responsabilité, de remédiation et d’intégrité.

Quel rôle le compliance officer joue-t-il dans l’identification des faits susceptibles
de conduire à une CJIP et dans sa négociation ?

GT : Le compliance officer exerce une responsabilité opérationnelle à chaque étape du processus susceptible de conduire, in fine, à la mise en œuvre d’une CJIP. Il intervient en premier lieu lors de la phase de détection des faits, en participant activement à l’analyse des éventuelles défaillances organisationnelles ayant pu en permettre la survenance. Il assure ou supervise la conduite des enquêtes internes initiées à la suite d’un signalement ou lancées d’initiative par l’entreprise pour déterminer le périmètre et la teneur des manquements et, partant, le risque pénal susceptible d’en découler. Cette mission, parfois conduite avec le concours d’avocats externes, implique l’application de standards méthodologiques garantissant la fiabilité des investigations entreprises, la traçabilité des éléments recueillis, le respect des règles applicables en matière de droit du travail ou de données personnelles – autant d’éléments pour lesquels l’expérience et la rigueur du compliance officer pourront être clefs lorsqu’il s’agira par la suite de démontrer le sérieux et l’engagement de l’entreprise à détecter les défaillances internes et à s’engager dans une démarche efficiente de mise en conformité.

FG : Au stade ultérieur des pourparlers relatifs à la mise en œuvre d’une CJIP, que le procureur de la République en ait pris l’initiative ou que le représentant de la personne morale ou son conseil lui aient fait connaître son souhait de bénéficier de ce mécanisme transactionnel, le compliance officer n’est pas systématiquement l’interlocuteur au sein de l’entreprise qui s’exprime en son nom dans les échanges avec les autorités – une mission dévolue plus classiquement au directeur juridique. Le compliance officer n’en apporte pas moins souvent un concours technique essentiel, notamment en matière de démonstration de la coopération de l’entreprise, lorsqu’il s’agit par exemple de rassembler et de transmettre les éléments circonstanciés relatifs aux mesures correctives mises en œuvre à la suite de la découverte des manquements, ou de décrire de manière approfondie l’état de développement du dispositif de conformité.

Le compliance officer peut-il influencer
l’évaluation de l’amende d’intérêt public ?

GT : Dans le cadre de la détermination du montant de l’amende, c’est d’abord et avant tout le parquet, et bien sûr pas l’entreprise, qui évalue à la fois la part restitutive, correspondant à l’avantage économique tiré des manquements, et la part afflictive, destinée à sanctionner l’infraction. Toutefois, dès lors que la qualité de la coopération de l’entreprise, dans la mise à jour puis dans la correction des manquements, constitue un élément important de l’appréciation par les autorités de l’opportunité du recours à la CJIP, le rôle du compliance officer ne saurait en aucun cas être sous-estimé. Par la conduite des investigations internes, la formalisation des mesures correctives subséquentes, le contrôle de l’efficacité du dispositif de conformité et les propositions présentées pour le renforcer au regard des manquements constatés, sa contribution est, à l’évidence, essentielle pour évaluer la sincérité et l’effectivité de la démarche de conformité de l’entreprise au regard des exigences intrinsèques à la CJIP.

Quel rôle opérationnel le compliance officer exerce-t-il dans le cadre de l’exécution d’une CJIP ?

FG : Lorsque la CJIP prévoit la mise en œuvre d’un programme de conformité, celui-ci est exécuté, pour une durée maximale de trois ans, sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (AFA) en matière d’atteintes à la probité et de fraude fiscale ou, s’agissant des infractions environnementales, sous le contrôle des autorités publiques spécialisées compétentes. Ce programme visant à corriger les défaillances identifiées et à prévenir leur réitération, le respect des engagements souscrits dans la convention à cet égard fait l’objet d’un suivi effectif par les autorités publiques, en particulier au travers d’échanges réguliers avec la personne morale. Dans la phase d’exécution de la CJIP, le compliance officer joue donc un rôle central, en assurant le renforcement du programme de conformité, en veillant à la cohérence des mesures de prévention et de remédiation déployées en interne et en produisant régulièrement les éléments d’analyse et la documentation permettant de contrôler l’effectivité des mesures de conformité adoptées.

Comment garantir que le compliance officer puisse exercer pleinement son rôle dans l’exécution d’une CJIP ?

GT : Le compliance officer assume une fonction structurante dans le cadre d’une CJIP, en étant associé, comme cela a été rappelé, à toutes les étapes du processus : identification des faits, conduite des investigations internes, définition des mesures correctives, préparation ou participation aux échanges avec les autorités, pilotage du programme de mise en conformité lorsqu’il est prescrit dans le cadre de la convention. À ce titre, il constitue un acteur clef dans cette résolution transactionnelle des litiges pénaux à forts enjeux pour l’entreprise, en assurant la traduction opérationnelle des engagements souscrits en actions concrètes, traçables et évaluables par les autorités compétentes. La substance et l’effectivité de son rôle dépendent néanmoins très étroitement de son positionnement au sein de la gouvernance de l’entreprise. Pour exercer pleinement les fonctions qui sont les siennes, le compliance officer doit bénéficier d’un rattachement hiérarchique approprié lui garantissant une réelle indépendance fonctionnelle, d’un accès direct aux instances dirigeantes, ainsi que de ressources proportionnées à l’importance des enjeux. Ces conditions ne relèvent pas de considérations théoriques : elles sont déterminantes pour qu’il puisse intervenir de manière proactive, participer aux décisions stratégiques, et assurer la qualité du dispositif de prévention, de détection et de remédiation.

En quoi la CJIP favorise-t-elle une culture éthique dans l’entreprise ?

FG : La CJIP s’inscrit clairement dans une logique de remédiation, en ce qu’elle engage la personne morale à mettre en œuvre les mesures correctives de nature à prévenir la réitération des manquements constatés par le passé. Cette dynamique implique une forme de lucidité et d’humilité quant aux insuffisances organisationnelles qui, souvent, n’ont pas permis de prévenir ou de détecter à temps les défaillances en cause, mais également une démarche de volonté et de responsabilité, avec une détermination sincère à faire évoluer les pratiques internes et à donner une place centrale au programme de conformité. En ce sens, elle apparaît comme un levier pour opérer une requalification des principes éthiques au sein de l’entreprise qui, de normes internes à valeur avant plus ou moins prescriptive, se transforment désormais en standards opérationnels de conformité. Parce que la CJIP est une manière de conjuguer efficacement la réponse pénale avec la pérennité des activités de l’entreprise, il est ainsi logique qu’elle impacte durablement les modes de gouvernance pour le présent et pour l’avenir.