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Le marché du third party funding avance ses pions en France

Par Ondine Delaunay

Fonds spécialisé dans la dette d’entreprise, dont l’une des poches d’investissement est dédiée au tiers-financement, IVO Capital Partners est l’un des rares financeur actif sur les contentieux en France. Pour l’accompagner sur des points juridiques, l’équipe a recours aux conseils de certains cabinets, dont BCTG Avocats. Augustin Nicolle, associé du cabinet d’avocats, et Hugo Lestiboudois, gérant chez IVO Capital Partners, témoignent de l’évolution de la matière en France.

En France, le third party funding (TPF) est plus développé dans le monde de l’arbitrage que dans la sphère judiciaire. Comment l’expliquez-vous ?

Hugo Lestiboudois : L’explication tient d’abord à la nationalité des principaux financeurs. Comme tout type de financement de projet, le financement de procédures légales nécessite une analyse approfondie et technique. Les financeurs étant principalement étrangers, l’arbitrage international leur offre plus de repères qu’un arbitrage CCI siège à Paris, à New York ou Hong Kong, les mêmes règles s’appliquent, les mêmes arbitres peuvent intervenir, le même corps de jurisprudence se pose et la barrière de la langue se fait moins ressentir. L’arbitrage présente en ce sens moins d’obstacles d’analyse que le contentieux pour un investisseur étranger. J’entends souvent dire que ce déséquilibre serait également lié au potentiel de gains moins importants devant les judiciaires françaises. Il s’explique plutôt selon moi par un besoin de financement plus immédiat en arbitrage dû aux frais administratifs et d’arbitres ainsi qu’au recours quasi systématique à des expertises techniques onéreuses. Les sommes à financer en contentieux sont plus faibles et étalées dans le temps, ce qui pose un problème aux fonds anglo-saxons qui doivent investir des centaines de millions de dollars dans un temps restreint. Pourtant, bien que les contentieux en France soient moins coûteux, le risque d’épuisement financier reste important du fait de leur durée et les victimes doivent pouvoir compter sur une source de financement de proximité adaptée à leurs besoins.

Dans quelle mesure la doctrine Champerty fait-elle obstacle au développement du TPF en France ?

Augustin Nicolle : L’objectif de cette doctrine était d’empêcher que des personnes mal intentionnées et trop puissantes ne puissent faire pression sur la justice. Elle concerne aujourd’hui exclusivement les pays de Common law mais est finalement devenue assez théorique. Seule l’Irlande y fait encore référence.

En France, la question de l’indépendance des juges et des arbitres est bien distincte de celle posée par la puissance financière des parties impliquées dans le dossier. L’indépendance relève plus du conflit d’intérêts et, à cet égard, le poids de la déontologie des avocats constitue déjà une réponse aux excès susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de la justice. L’Ordre a par exemple incité les parties à révéler qu’elles sont financées de manière à encourager la transparence sur les intérêts en présence. À l’image des attestations d’impartialité et d’indépendance signées par les arbitres au début d’un dossier, il pourrait exister des déclarations similaires pour les fonds, à supposer que leur existence soit révélée. C’est une approche déontologique légitime pour éviter les conflits d’intérêts.

Quels sont les avantages du recours au TPF pour une entreprise ?

A.N. : Le TPF est une solution facile à mettre en place et confortable pour suivre un dossier ou lancer une procédure judiciaire ou arbitrale lorsque l’entreprise n’en a pas les moyens. Mais elle peut aussi constituer un outil efficace de gestion de trésorerie et intéresser, au-delà de la seule direction juridique, la direction financière et plus globalement la direction générale. Le temps est aussi une composante essentielle de la réflexion financière que l’entreprise doit avoir dans l’élaboration de sa stratégie contentieuse. Lorsqu’un litige survient, il relève du devoir de conseil de l’avocat de réfléchir à ces questions et, si cela peut constituer une solution adaptée, de proposer à son client l’opportunité de recourir à un tiers financeur pour aller chercher l’indemnisation.

H.L. : Le principal avantage pour une entreprise est de ne pas avoir à choisir entre développer son activité ou faire valoir ses droits et cela sans prendre de risque d’endettement, de dilution capitalistique, ou de détérioration du résultat d’exploitation. C’est un financement sans recours, donc le financeur ne pourra pas se retourner vers l’entreprise si la procédure financée ne lui permet pas de récupérer son investissement. L’entreprise bénéficie à ce titre d’une asymétrie très intéressante puisque le transfert du risque est total, tandis que le transfert des intérêts économiques n’est que partiel et que l’entreprise conserve un contrôle absolu sur sa procédure et donc sur son image et sa réputation.

Une entreprise peut y avoir recours à tout moment de la vie d’une procédure. C’est intéressant surtout dans le contexte actuel où l’épuisement lié à la durée et au coût de certaines procédures se ressent plus que d’habitude : le financement peut couvrir des frais déjà encourus et ainsi regénérer de la trésorerie qui peut être réinvestie dans l’activité, ou simplement venir renforcer les réserves pour faire face à l’incertitude conjoncturelle.

Quelle est la législation du TPF en France ?

H.L. : Il n’existe pas en France de législation, ni d’ailleurs dans quasiment aucun autre pays. Mais le seuil de protection réglementaire est important grâce au contrôle de l’AMF. IVO Capital Partners est régulé et a obtenu un agrément pour financer des procédures. Le tiers-financement n’étant ni plus ni moins que du financement, il est tout à fait normal que la régulation en matière de financement de sociétés et de projets s’applique. Le déséquilibre entre le besoin de capitaux et l’offre disponible est massif, ce qui fait que les victimes en France n’ont d’autre choix que de subir le coût d’accès à la justice. La régulation ne doit pas restreindre la quantité de capital mais plutôt augmenter les liquidités disponibles pour les victimes potentielles en France et les coûts du financement s’en trouveront réduits.

A.N. : L’excès de réglementation est rarement facilitateur pour encourager le développement des pratiques. Les différents barreaux de France ont eu des réflexes sains en la matière, notamment dans une résolution de 2017 qui a encadré précisément la relation entre l’avocat du dossier et les tiers financeurs. L’Ordre considère ainsi que les réunions entre ces derniers en l’absence du client sont impossibles. Les tiers financeurs font d’ailleurs preuve d’une grande vigilance dans leurs contacts : leur interlocuteur est l’entreprise cliente et non son avocat. Les avocats savent que le secret professionnel est absolu et qu’ils ne peuvent pas en être relevés, même par leur client. Il en résulte techniquement que le conseil du dossier ne pourra pas communiquer directement au financeur des informations sur la stratégie mise en œuvre, sauf en présence du client et nécessairement à sa seule discrétion.

Quelles relations avec l’entreprise durant le dossier ?

H.L. : Le fonds fait des points d’étape réguliers avec l’entreprise pour lui permettre de suivre l’évolution du dossier. La majorité de son travail a lieu au moment de la due diligence, mais aussi lors de l’exécution de la sentence. Si l’entreprise le souhaite, le tiers financeur peut être relativement passif. Cependant, IVO Capital Partners met à la disposition de l’entreprise toute son expérience et son réseau développé au cours de la cinquantaine de procédures financées, ce qui a permis de débloquer des situations complexes. Nous proposons également de transmettre à l’entreprise l’analyse indépendante réalisée par notre conseil. En général, elle donne lieu à des discussions intéressantes pour le dossier.

A.N. : L’idée n’est pas d’organiser des réunions plénières entre les avocats du fonds et ceux du dossier pour essayer de rediscuter de la stratégie. Le dossier est seulement conduit par l’entreprise et son avocat. IVO Capital Partners le finance et apporte son expertise sur certaines questions. Une implication excessive du fonds poserait un problème de responsabilité, qu’il doit éviter.

La note d’analyse que le fonds peut partager avec l’entreprise peut permettre à celle-ci d’ajuster son argumentaire de manière à mettre toutes les chances de son côté pour remporter le litige. Il s’agit d’apporter des idées pertinentes pour étayer la voie d’action établie par l’entreprise et son conseil, ce qui peut constituer une aide utile et objective au moment où l’entreprise élabore sa stratégie. L’avocat qui fournit ce conseil n’est pas concurrent de l’avocat du dossier puisque son client est le tiers financeur et, comme je l’ai indiqué, il ne pourra s’impliquer sur le fond du dossier. 

BCTG Avocats Augustin Nicolle Hugo Lestiboudois  third party funding IVO Capital Partners