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De nouvelles perspectives pour le droit des marques, dessins et modèles

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES MAGAZINE

Entre Brexit, crise sanitaire et réforme du droit des marques, les derniers mois ont été agités en matière de propriété industrielle. Aurélia Marie et Emmanuelle Machinet, associées du cabinet de CPI Beau de Loménie, expliquent les points d’attention à retenir.

Quelles sont les conséquences du Brexit sur la protection des marques ?

Aurélia Marie : Obtenir une protection en Union européenne et au Royaume-Uni nécessitera désormais de procéder à deux dépôts, l’un auprès de l’EUIPO et l’autre auprès de l’Office britannique. Les marques de l’UE enregistrées à la date 31 décembre 2020 ont été automatiquement clonées en marques comparables dans le registre du Royaume-Uni. La marque comparable UK bénéficie de la date de dépôt, de priorité, voire d’ancienneté de la marque de l’UE. Les détails de la marque clonée sont accessibles dans la base de données de l’Office britannique, sans qu’aucun certificat d’enregistrement ne soit délivré. Une marque comparable UK, donc une marque nationale, est également créée pour les désignations UE de marques internationales octroyées à la date du Brexit.

Pour chaque marque de l’UE venue à échéance à partir du début d’année 2021, il devra désormais être procédé au renouvellement auprès de l’EUIPO et au renouvellement de la marque comparable UK auprès de l’Office britannique. Les marques de l’UE expirées au 1er janvier 2021, mais susceptibles d’être renouvelées dans le délai de grâce de six mois, ont aussi été clonées, permettant ainsi au titulaire de la marque de l’UE de renouveler sa marque de l’UE et le droit comparable anglais.

Plusieurs points de vigilance sont néanmoins à noter. Il est important que les titulaires de marques, ou leur conseil, s’assurent que les données de la marque comparable UK (date de dépôt, de priorité voire d’ancienneté, identité du titulaire, libellé de produits et/ou services, classes) figurant dans la base de données de l’Office britannique sont conformes à celles de la marque de l’UE puisqu’aucun certificat d’enregistrement n’est délivré. En cas d’incohérence, il convient de contacter le centre d’information britannique.

L’échéance d’une marque comparable UK d’une désignation postérieure UE d’une marque internationale est calculée à partir de la date de cette désignation postérieure et non la date d’enregistrement de la marque internationale. Si la marque de l’UE a été renouvelée par anticipation, la marque comparable UK doit néanmoins être renouvelée. Les demandes d’inscription de transfert de propriété de marques de l’UE en cours au moment du Brexit ne seront pas reportées sur la marque comparable UK. Il est donc nécessaire d’effectuer une inscription directement auprès du registre britannique. Les licences et gages inscrits sur une marque de l’UE ne sont pas reportés sur la marque comparable UK. Le titulaire dispose d’un délai de 12 mois à compter du 1er janvier 2021 pour procéder à cette même inscription auprès de l’Office britannique en conservant la date de l’inscription correspondante portée sur la marque de l’UE.

Emmanuelle Machinet : S’agissant des procédures en cours, en cas de procédure d’annulation ou de déchéance d’une marque de l’UE engagée au plus tard le 31 décembre 2020 et aboutissant effectivement à l’annulation ou à la déchéance, la marque comparable UK subira le même sort. Si la procédure d’annulation ou de déchéance d’une marque de l’UE sur la base d’un droit antérieur britannique est pendante au 1er janvier 2021, l’action s’éteindra, sans conséquence pour la marque de l’UE attaquée. Il sera cependant possible de demander l’annulation ou la déchéance de la marque comparable UK en engageant une action à cette fin au Royaume-Uni.

Les marques de l’UE déposées mais non enregistrées au 1er janvier 2021 n’ont pas été clonées en marques comparables UK. Les déposants peuvent procéder au dépôt d’une marque UK dans un délai de 9 mois à compter de la fin de la période transitoire, en revendiquant la date de dépôt ou de priorité de la marque de l’UE (voire une date d’ancienneté au Royaume-Uni). Les deux marques doivent être identiques (même titulaire, même signe, produits et services identiques ou inclus dans ceux de la marque UE). La demande de marque UK sera examinée par l’Office britannique comme une demande nationale indépendante de la demande de marque UE. Les taxes de dépôt d’une marque UK devront être acquittées.

Pour procéder à un dépôt de marque UK ou à des inscriptions dans le registre britannique, le déposant doit désormais désigner un représentant local (« address of service ») au Royaume-Uni. Cette représentation locale n’est pas requise pour le renouvellement d’une marque comparable UK ni, pour le moment, pour les droits comparables UK créés automatiquement.

La loi Pacte a pour objectif de mieux protéger les innovations des PME françaises en « offrant aux entreprises des standards de protection de leurs innovations à la hauteur de ceux des plus grands pays ». Quels en sont les principaux points ?

A. M. : Il nous semble important de revenir sur trois mesures majeures apportées par la loi Pacte. Les nouvelles procédures administratives ont été présentées comme plus accessibles, plus rapides et moins coûteuses que les procédures judiciaires. Les actions administratives en déchéance des marques, destinées à apurer le registre de marques, peuvent être engagées sans avoir à justifier d’un intérêt à agir. La potentialité de telles actions, à l’initiative de tout tiers, doit conduire les opérateurs économiques à conserver méthodiquement des preuves d’usage pertinentes de leurs marques. Les actions administratives en nullité des marques enregistrées sont des procédures qui semblent très accessibles. Toutefois, cette simplicité pourra n’être qu’apparente quand il s’agira pour le requérant de justifier par exemple de l’usage de sa marque dans les cinq années précédant le dépôt de la marque qu’il attaque en nullité.

La procédure d’opposition a été profondément modifiée, dans le but de permettre aux entreprises de mieux défendre leurs droits. Ouverte à de nouveaux droits opposables (marques de renommée, dénominations ou raisons sociales, noms commerciaux, enseignes, noms de domaine), renforçant l’impact de l’usage de la marque antérieure et instaurant un véritable débat contradictoire par l’échange d’arguments entre les parties, la procédure d’opposition nécessite une préparation minutieuse et sa conduite exige une grande expertise et une réactivité accrue. La preuve de l’usage ou de la renommée de la marque antérieure, la preuve du droit sur le nom de domaine ou sur les autres signes « dont la portée ne doit pas être seulement locale » constitueront ainsi autant d’embûches pour le requérant et de moyens de défense pour le titulaire de la marque contestée.

Ce volet vous semble-t-il complet ?

E. M. : La loi Pacte n’aborde pas les dessins et modèles. Cet outil est pourtant un élément essentiel de protection des créations de l’entreprise, très souvent utilisé en complément du brevet et de la marque. Alors que le nombre de dépôt de dessins et modèles est en constante progression auprès de l’EUIPO et de l’OMPI, il s’érode en France. À l’issue d’une consultation lancée fin 2019, la Commission européenne a publié son rapport sur le fonctionnement du système de protection des dessins et modèles en Europe en novembre dernier. Une réforme du Règlement et de la Directive sur les dessins et modèles, à l’instar du « Paquet Marques » est en chemin. La Commission recommande notamment de pouvoir déposer des reproductions sous forme de fichiers électroniques, y compris comprenant des vues dynamiques. Elle préconise aussi la création de procédures nationales administratives en nullité des dessins et modèles.

Le Contrat d’Objectifs et de Performance 2021/2024, signé en février entre l’État et l’INPI, fait écho à ces propositions puisqu’il préconise de « faciliter le dépôt et […] revoir les grilles tarifaires en cas de nombre élevé de reproductions, de permettre de nouveaux modes de dépôt, comme les reproductions en trois dimensions ou en vidéo… ». Une amélioration sur ces points serait une première étape très appréciée des déposants. En particulier, les déposants de dessins et modèles simplifiés, une spécificité française très populaire, notamment auprès d’acteurs de renommée internationale du secteur de la mode. Le COP envisage également une procédure administrative en révocation post-enregistrement. Ces perspectives sont encourageantes.