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Fusion-absorption : la possible condamnation d’une société anonyme absorbante pour des infractions commises par la société anonyme absorbée

Par Thierry Dalmasso, avocat Fondateur, Dalmasso Avocats

La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 25 novembre 2020 un important arrêt qui marque un revirement de sa jurisprudence traditionnelle.

En effet, pour se conformer à la jurisprudence de la CEDH1, la Cour revient sur le principe d’intransmissibilité du passif pénal d’une personne morale à une autre personne morale en cas de fusion-absorption.

On rappellera brièvement que deux thèses s’affrontaient jusque-là :

• la thèse de la continuité de l’entreprise absorbée dans la personne de l’entreprise absorbante – thèse dite de la « continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise ». Malgré sa disparition juridique, l’entreprise de la société absorbée perdure dans la société absorbante.

La société absorbée transmet à titre universel l’actif et le passif de son patrimoine à la société absorbante et par la même occasion les amendes qui lui ont été infligées avant l’absorption.

De la même façon, la société absorbante se voit transmettre la culpabilité potentielle de la société absorbée et défendra sur l’action publique qui pourra être engagée contre elle puisque l’action publique ne sera pas éteinte du fait de la disparition de la société absorbée.

• la thèse traditionnelle de la chambre criminelle de la Cour de cassation fondée sur le principe selon lequel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (article 121-1 du Code pénal).

La société étant assimilée à un individu, la personne morale disparue (i.e. « la mort du prévenu » – article 6 du Code de procédure pénale) ne pouvait transmettre à ses héritiers, entendus ici comme la personne morale absorbante, ni la peine déjà prononcée contre elle et moins encore la condamnation à venir de la personne morale absorbante pour les faits commis par la personne morale absorbée.

C’est désormais le principe de continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise qui prévaut sur celui de la responsabilité du fait personnel.

Pour l’instant, le principe ne vaut qu’entre sociétés anonymes ou assimilées (SAS), puisque la Cour de cassation a posé cette interprétation en droit en référence à la Directive européenne 78/855/CE codifiée par la Directive UE2017/11/32 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 dont le champ d’application est strictement limité aux fusions-absorptions.

Cette décision nous paraît incongrue à plus d’un titre. Tout d’abord elle institue une inégalité de traitement entre les personnes morales, une distorsion sans justification autre que d’harmoniser le régime des fusions-absorptions dans les sociétés anonymes avec la jurisprudence européenne(1).

À y regarder de plus près, cette harmonisation pose plus de questions qu’elle n’en résout en particulier du point de vue de la récidive, de la révocation du sursis et plus généralement du casier judiciaire, les infractions « importées » venant grossir artificiellement le passif pénal de la personne morale absorbante(2).

Différence de régime de transmission du passif pénal entre les personnes morales

La Cour de cassation admet par ce revirement de jurisprudence que la culpabilité potentielle d’une SA soit transmise à la société absorbante qui sera jugée et éventuellement condamnée en lieu et place de la société absorbée qui disparaît.

Il est vrai que la personne morale absorbante, poursuivie en justice, pourra se prévaloir de tous les moyens de défense qu’aurait pu faire valoir la personne morale absorbée.

Cependant ce principe est restrictivement et limitativement appliqué en cas de fusion-absorption des sociétés anonymes, à l’exception de toutes les autres personnes morales qui viendraient à disparaître par fusion.

Si l’on considère que le principe adopté par la Cour de Cassation a notamment pour objet d’éviter que les tiers ne soient frustrés de l’opération de fusion-absorption qui fait disparaître leur créance (l’État en particulier pour le recouvrement des amendes), on ne comprend pas que le principe ne soit pas appliqué aux autres personnes morales (société civile, SNC, etc.) qui, au même titre que les sociétés anonymes, peuvent contrevenir au code du travail, au code de l’environnement, au code de la consommation, etc., et peuvent faire l’objet de condamnations à des amendes de tous ordres.

L’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020 introduit donc une inégalité de traitement entre les sociétés suivant leur forme, l’argument invoqué par les créanciers frustrés par l’opération de fusion-absorption étant par conséquent très relatif.

Mais la primauté de l’économique qui conduit à cette évolution jurisprudentielle n’est pas plus satisfaisante du point de vue des concepts purement pénaux auxquels il faudra bien trouver d’autres fondements doctrinaux.

L’aggravation artificielle du passif pénal de la personne morale absorbante

Dans la mesure où il est fait abstraction de la personne morale pour s’en tenir à l’entreprise perpétuée dans la personne morale absorbante, il semble que rien ne s’oppose à ce que la condamnation supportée par la personne morale absorbante produise ses effets sur son propre passif pénal.

Et la condamnation prononcée contre elle sera bien inscrite sur son propre casier judicaire.

La condamnation prononcée contre la personne morale absorbante du fait des infractions commises par la personne morale absorbée produira logiquement ses effets, totalement artificiels, dans la personne morale absorbante.

Il suffit d’imaginer que la SA absorbante a été définitivement condamnée à une peine avec sursis et qu’elle absorbe entre-temps une autre SA qui a commis une ou des infractions non encore jugées du fait de la disparition de la personne morale absorbée. Les nouvelles condamnations viendront grever le casier judiciaire de la personne morale absorbante pour peu qu’elles interviennent dans des délais compatibles avec la révocation d’un sursis ou de la récidive.

Il en résulte d’ailleurs que les justifications de la récidive, comme de la révocation du sursis, qui veulent que la personne morale déjà condamnée n’a pas tenu compte de l’avertissement solennel délivré par le précédent jugement de condamnation, deviennent totalement étrangères à la notion de récidive qui joue de façon purement mécanique.

On aurait tort de sous-estimer ce point, car les peines encourues par les personnes morales en cas de récidive2 sont évidemment très importantes étant du décuple des peines encourues par les personnes physiques :

• Pour des faits d’homicide involontaire dans le cadre du travail 450 000 euros d’amende,
• Pour des infractions à la prévention et à la gestion des déchets 750 000 euros d’amende,
• Pour des faits de corruption 10 000 000 euros d’amende.

Le plaideur ne manquera pas d’informer la juridiction de la circonstance qu’il n’existe en l’espèce pas de réitération de l’infraction pour éviter que les peines lourdes de la récidive soient prononcées.

Le conseil ne manquera pas pour sa part d’évaluer ce risque lié à la révocation du sursis et de la récidive à l’occasion de ses due diligence.

Enfin, la note explicative relative à l’arrêt du 25 novembre 2020(3) indique que le transfert de responsabilité pénale ne peut porter que sur des peines d’amende ou de confiscation, cette limitation s’imposant par :
« le fondement du transfert de responsabilité pénale qui découle de la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société absorbante… ».

Si cette précision a le mérite d’exclure de la transmission du passif pénal les peines d’interdiction diverses et variées infligées à la personne morale absorbée prévus par l’article 131-39 du Code pénal, on peut se poser la question de la peine de fermeture d’un établissement prévu par l’alinéa 4 de cet article qui dispose que :

« La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ».

On se demande si un ou des établissements de la personne morale font partie intégrante de son patrimoine transmissible auquel cas et dans l’affirmative on ne voit pas ce qui empêcherait la personne morale absorbante d’être condamnée à une peine de fermeture d’établissement(s) liée à l’infraction commise par la société absorbée.

La transmission du passif pénal d’une société à une autre, ne se limiterait donc pas à la seule transmission de la peine d’amende et de confiscation.

Notes :

1. CEDH, 1er octobre 2019, CARREFOUR France c/France – 37858
2. Article 132-14 du Code pénal
3. Note explicative relative à l’arrêt du 25 novembre 2020