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Y aura-t-il un nouveau managing partner dans le monde d’après ?

Par FLORENCE HENRIET

Le premier jour de la nouvelle vie des managing partners dans le monde d’après est-il enfin arrivé ? Vont-ils devoir se réinventer à l’aune des changements annoncés de longue date mais accélérés par la crise du Covid-19 ?

La crise sanitaire et ses conséquences sociales, sociétales et économiques pourraient modifier en profondeur le fonctionnement des cabinets d’avocats. Dans ce nouveau contexte, quel sera le rôle des managing partners (MP) ? Le choc du Covid-19 pourrait être l’agent accélérateur d’un management à réinventer sur de nouvelles bases. Mais le sujet est sensible. La preuve : certains managing partners ont accepté de nous parler mais uniquement en off.

Légitimité du managing partner : manager ou performer

L’organisation d’un cabinet d’avocats est particulière. Et celui qui en est le meneur a une position parfois compliquée. « La légitimité se mesure encore souvent à l’aune du chiffre d’affaires généré dans un cabinet. Est-ce le bon critère ? Sans doute pas. Mais celui qui facture peu ne sera pas pour autant un meilleur manager », indique Patrick Tardivy, office leader d’Orrick. « Les tops performers ne deviennent pas forcément des top managers. Mais la performance de l’avocat confère toujours une autorité accrue au manager », ajoute Mathieu Remy, son homologue chez Clifford Chance.

Au sein des grandes banques d’affaires, l’organisation est plus pyramidale. Les dirigeants se focalisent sur les attentes de leurs clients, ce qui leur confère une vision et donc un vrai leadership. Être à l’écoute du client et du marché ne se limite pas à facturer et à rester dans l’opérationnel. Les directions juridiques ont quant à elles, désormais mis à leur tête des leaders auxquels on ne demande pas d’être des experts d’un droit particulier. Ils doivent avoir une vue d’ensemble, être à la pointe de la géopolitique, de la digitalisation, des changements dans le monde. « La légitimité du pouvoir réside dans la relation clients à haut niveau de l’entreprise. Quand les experts parlent aux experts, ils ne sont pas en contact avec les réels dirigeants », précise Olivier Chaduteau, associé-fondateur, Day One. Toutefois le directeur juridique bénéficie d’un CDI. Ce n’est pas le cas pour le dirigeant d’un cabinet d’avocats, même si l’on peut considérer qu’une sorte de CDD lui est confié par ses associés. Dans la grande majorité des cas, il est élu ou nommé pour un nombre d’années déterminé dans les règlements internes. Il est tributaire des changements de gouvernance, les reconductions de mandats peuvent être limitées. Ce rôle lui donne tout de même une plus grande visibilité sur le marché, en tant qu’avocat, que celle de ses partenaires. Mais le salut n’est que temporaire et il garde à l’esprit le jour où il redeviendra un associé parmi d’autres. « Le MP de demain saura faire évaluer sa plus-value. La valeur induite d’un bon management, la reconnaissance de son cabinet au sein de son réseau et sur son marché sont générateurs de business. Le MP doit assumer un rôle qui navigue entre l’institutionnel, le stratège et le VRP. Il doit également garder un certain volant de business pour ne pas se couper des réalités et des contraintes du métier. L’enjeu, c’est de trouver le juste équilibre », reconnaît Rémy Blain, MP de BCLP.

Certains admettent qu’il devient de plus en plus délicat de ne pas être MP à plein temps. Le type de gouvernance rend compliquée l’acceptabilité d’une réelle professionnalisation de ce métier qui déboucherait sur un rôle entièrement détaché de l’opérationnel. Si certains admettent d’un côté la nécessité de se consacrer pleinement à ces fonctions, ils craignent aussi que la « professionnalisation » ne les détache de l’opérationnel et ne donne d’eux une image de « super administratifs » plutôt que de « leaders ». « Je suis une associée comme les autres la moitié de la journée et MP l’autre moitié. Je peux me le permettre car je m’appuie sur une équipe exceptionnelle », précise Mahasti Razavi, MP d’August Debouzy.

Dans d’autres entreprises de services, l’organisation peut être plus verticale car le niveau de délégation est plus important. L’avocat, même star, reste très près de l’opérationnel avec moins d’effets de leviers.

Une gouvernance plus agile parce que plus verticale  ?

Le MP consacre beaucoup de temps à la recherche du consensus entre les associés. Cette recherche du compromis peut entraver l’agilité de la prise de décision au sein du cabinet. Or, de fait, pendant cette période de crise, beaucoup ont dû prendre des décisions dans l’urgence en consultant moins largement des associés. « S’il faut toujours s’assurer d’un certain consensus, il faut aller plus vite. Être à la recherche permanente de l’accord de tous peut être un frein à la mise en œuvre de la stratégie. Issu d’une famille de militaires, pendant cette crise, j’ai retrouvé un peu de mon ADN. On nous a choisi pour tenir ce rôle, cela implique parfois de passer au-dessus de certaines réticences », souligne Rémy Blain. Patrick Tardivy s’interroge d’ailleurs « sur la bonne méthode pour prendre les décisions demain. Les processus plus agiles, parce que plus directifs, pendant la crise ont été très bien reçus. Agir par cercles concentriques plus restreints, en veillant à ce que des sceptiques soient toujours inclus dans ces derniers, pourrait être une piste ».

Selon certains, la consultation - exercice plus pédagogique que décisionnel – a souvent permis d’éviter les frustrations, pour arriver finalement au même résultat. Pendant la crise, les relations entre MP et associés se sont transformées, l’urgence ayant commandé que le gain de temps et l’efficacité prenne le pas sur la sacro-sainte collégialité. « Il faut savoir placer le curseur au bon endroit entre les décisions essentielles qui demandent un large consensus et les autres. C’est le secret de l’efficacité. Il faut convaincre plus que contraindre », explique Pierre-Sébastien Thill, président du directoire de CMS Francis Lefebvre Avocats et Executive Chairman de CMS. « Passer à un management trop vertical pour prendre des décisions plus rapidement peut générer des frustrations et une absence d’adhésion, ajoute Mathieu Remy. Le gain de temps ? On le retrouvera dans la mise en œuvre des décisions acceptées par le plus grand nombre ».

Quand Dominic Jensen, avocat associé du cabinet Librato Avocats, accompagne des cabinets sur les sujets de gouvernance, il recommande la création d’un comité exécutif avec l’attribution de vrais pouvoirs. Il explique : « C’est en donnant de vrais mandats à une équipe dirigeante et en valorisant les fonctions supports, qui devraient à cette occasion changer de nom, que le cabinet pourra se comparer à une véritable entreprise. » La crise du Covid-19 pourrait-elle accélérer ce mouvement ? Mais Patrick Vignaud, cofondateur de B-Harmonist, expert en culture et cohérence d’entreprise, tempère : « L’obstacle numéro un dans l’évolution de cette profession est le triptyque : système de rémunération, égo des associés et règles de gouvernance (décisions très collégiales, de moins en moins de fondateurs charismatiques qui fédèrent les troupes, etc.) ».

Demain : le champ des possibles entre structure et souplesse

Patrick Vignaud poursuit : « La crise joue un rôle d’accélérateur dans la modification de l’écosystème (révolution digitale, quête de sens et d’équilibre de la nouvelle génération, inter professionnalité, nouvelles attentes des entrepreneurs) et l’écart va se creuser entre les MP modernes et les MP dinosaures. » Le leadership et la capacité à décider sont essentiels pour une génération de jeunes avocats qui est en quête de nouvelles perspectives. Elle a également besoin de nouveaux modes de travail plus flexibles. La crise confirme toutes ces tendances. « Il va falloir beaucoup plus travailler autour du sens de la raison d’être et du développement durable. Le MP doit se projeter dans les tendances sociétales, c’est une très forte attente chez nos jeunes », note Pierre-Sébastien Thill.

Mahasti Razavi tient néanmoins à garder la tête froide : « Je suis convaincue que décider quoique ce soit maintenant c’est trop tôt. On ne décide pas en émotion. Prendre des bonnes décisions, c’est d’abord prendre le recul nécessaire pour développer un consensus intelligent. C’est le champ des possibles entre structure et souplesse ». Et Olivier Chaduteau enfonce le clou en s’interrogeant : « Le marché du top 100 des cabinets d’avocats d’affaires a doublé entre 2003 et 2017. Pourquoi changer de gouvernance ? ». « Nous sommes des enfants gâtés et la bonne santé de nos cabinets nous conforte dans une tendance au conservatisme », reconnaît aussi Pierre-Sébastien Thill. Force est en effet de constater que l’on agite le chiffon rouge des profonds changements de la profession de MP depuis déjà plusieurs années, sans qu’elle ne connaisse de réelles évolutions. 

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