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« Should I stay or should I go ? » : les collaborateurs face aux mouvements d’associés

Par Florence Henriet

Si les transferts d’associés agitent les esprits, on s’intéresse plus rarement au sort de leurs collaborateurs. Le titre de cette chanson culte des années 1980 illustre bien le sujet, le nom du groupe, The Clash, rappelle la situation parfois compliquée des équipes quand leur « boss » a la bougeotte.

Selon le baromètre des mouvements d’associés édité chaque année par Day One, cabinet de conseil en management spécialisé dans les métiers juridiques, un associé retrayant entraîne avec lui en moyenne deux collaborateurs. En 2018, le baromètre recensait 256 mouvements d’associés et 77 mouvements d’avocats devenus associés. Les avocats que nous avons rencontrés ont évoqué les nombreuses considérations qui les ont amenés à faire un choix souvent cornélien. C’est, sans doute la raison pour laquelle certains d’entre eux – s’ils se sont ouverts à nous avec beaucoup de sincérité  – ont préféré ne pas être mentionnés dans cet article.

Le business case d’un associé repose sur son équipe

Il faut en premier lieu évacuer une fausse idée : l’associé ne fait pas une fleur à son équipe en lui proposant de l’accompagner dans une nouvelle aventure. Les collaborateurs sont au cœur du « business case » de l’associé. Si son équipe le suit, ses clients - rassurés sur le fait qu’il sera servi de façon identique dans le nouveau cabinet – ont plus de chances de lui être fidèles. Plutôt que de parler de « suivre » son associé, il s’agit donc en réalité de « renforcer » sa capacité d’attraction sur le mercato des cabinets d’avocats d’affaires. « Il est rare de voir des cabinets recruter des associés sans collaborateur. Le modèle économique est fondé sur les équipes avec l’effet de levier des collaborateurs afin de pouvoir continuer à délivrer un conseil qualité-coût acceptable pour le client », souligne Yves Boissonnat, conseil en recrutement. Olivier Chaduteau, associé fondateur de Day One, le confirme : « Quand un associé bouge, il s’engage souvent sur un chiffre d’affaires à réaliser dans les toutes premières années. Travailler avec son équipe lui permet d’avoir confiance dans la production des dossiers. Il va donc bénéficier de plus de temps et d’énergie pour sécuriser ses clients et développer son chiffre. »

Toutefois, la frilosité d’un cabinet à l’idée d’accueillir une équipe peut relever de différents facteurs : sa volonté d’investir réellement sur la pratique, son positionnement ou, encore, la présence d’une équipe déjà en place à la suite, notamment, du départ à la retraite ou en entreprise d’un associé. « Certains cabinets fonctionnent avec un levier important d’autres avec un très faible : un collaborateur pour un associé. Dans ce dernier cas, le cabinet d’accueil ne sera pas prêt à accueillir une équipe pléthorique », précise Yves Boissonnat.

Un critère qui change la donne : l’ancienneté

Le critère qui va réellement changer la donne, c’est le nombre d’année d’expérience au compteur du collaborateur. Avec moins de 5 ou 6 ans de barreau, a priori sans clientèle, l’avocat a encore beaucoup de choses à apprendre. Loin d’une perspective d’association, il suit donc sans trop hésiter. D’autant plus si, au sein du cabinet, chaque associé travaille exclusivement avec sa tribu. Les associés restants ne seront sans doute pas prêts à accueillir le rescapé à bras ouverts car il ne fait pas partie de ceux qu’ils auront formés à leur main. « Pour les juniors, tout dépend de la taille et de la structure du cabinet. Plus les équipes fonctionnent en silos, plus la situation du collaborateur junior est compliquée en cas de départ d’associé », confirme Dominic Jensen. Toutefois un « stay » pourra être envisagé sérieusement si le cabinet d’accueil n’est pas conforme aux attentes en termes de développement et/ou reconnu pour son ambiance épouvantable versus le cabinet de départ qui fait la danse du ventre au junior en assurant qu’un autre mentor va le prendre sous son aile et que sa vie sera plus belle encore. Cela suppose qu’il soit apte à répondre à la promesse d’un avenir appuyé sur – rêvons un peu – un plan de progression daté.

 

Quand le « go » donne accès au titre d’associé

Le titre d’associé sur une carte de visite – même si d’aucuns souligneront qu’il ne reflète pas la même réalité dans tous les cabinets - est indubitablement une belle opportunité de carrière. L’associé retrayant peut négocier, pour les perles de son équipe, le sacro-saint titre d’associé. Mais le cabinet d’accueil doit prendre en considération ses propres collaborateurs qui piaffent aux portes de l’association et réfléchir aux embouteillages au sein de sa structure. Il examine, donc, avec beaucoup de prudence cette exigence.

Vincent Brenot, aujourd’hui associé chez August Debouzy, faisait partie en 2010 de l’équipe droit public/environnement qui a quitté Freshfields Bruckhaus Deringer pour rejoindre Willkie Farr. « À l’époque, outre les liens qui m’unissaient à mon associé, j’ai envisagé ce move comme un accélérateur de carrière. Dans mon cabinet d’origine de l’époque, la course à l’association relevait du parcours du combattant. Dans mon cabinet d’accueil, en quelques réunions, j’étais promu au rang d’associé. »

Le cœur a ses raisons mais la confiance n’exclut pas le contrôle

Les collaborateurs qui ont suivi leurs associés peuvent en témoigner : faire partie de la même équipe, travailler pour les mêmes clients et être supervisé par le même associé peut donner l’illusion de ne prendre aucun risque. « Partir en équipe implique une réelle cohésion. Il faut que l’associé ait réussi à insuffler cet esprit », souligne Matthieu Guillou, associé du cabinet Chemarin & Limbour. Or les cabinets se distinguent par leur culture, leur structure et leur ambiance. Et c’est ce qui peut faire toute la différence. Adeline Roboam en témoigne d’ailleurs : « Quand on part seul, c’est plus simple de négocier pour son propre intérêt. Quand on part en équipe, on adhère plus à un projet qu’à des considérations individuelles. » Forte de treize ans d’expérience, elle a rejoint Winston & Strawn en tant qu’of counsel en octobre 2019. « Ma relation de confiance avec Mounir Letayf a été décisive. Il y a quelques années, je me suis posé la question de rester ou non dans la profession. C’est lui qui m’a convaincue de continuer », explique-t-elle. Toutefois, elle ajoute qu’elle a également pris en considération le projet entrepreneurial, le type de dossiers et de clients afin de s’assurer qu’ils correspondaient à ses aspirations professionnelles. « Ce mouvement vers un cabinet avec une plus grande équipe m’offrait l’opportunité enrichissante de rencontrer d’autres collaborateurs, d’autres associés, d’autres dossiers et d’autres façons de travailler. J’avais des échos positifs sur l’aspect humain et l’ambiance de travail de Winston & Strawn, complète Julia Brochet, collaboratrice depuis 2018, cabinet Winston & Strawn. Si je dois envisager un bémol à cette simplicité, c’est l’effet plug and play. Le temps d’acclimatation est relativement court, nous nous sommes remis au travail immédiatement. » Sidney Rosenberg, avocat au sein du même cabinet, témoigne quant à lui : « J’entretenais de très bons rapports avec K&L Gates mais j’étais encore plus proche des associés retrayants. La cohésion de l’équipe est très forte, nous déjeunons régulièrement ensemble, faisons des pauses-dîner quand nous travaillons tard le soir ». Cette ambiance de travail ne l’a pas empêché de s’intéresser aux chiffres du cabinet d’accueil : structure, business model, etc. « Mais aussi aux taux horaires pratiqués. Quand il est trop élevé, cela peut soulever des problèmes sur le nombre d’heures facturées surtout en private equity où la facturation au forfait est courante ».

Le départ d’un associé leader au sein de sa pratique : impasse ou accélérateur de carrière ?

Le départ d’un associé leader de la pratique est par ailleurs à considérer de façon très différente selon que le collaborateur est junior ou senior. Dans le premier cas, lui et son cabinet vont être bien ennuyés s’il décide de rester. Qui va l’alimenter en dossier et continuer à le former ? « Dans mon cabinet d’origine, je travaillais à la fois en M&A et en private equity. La pratique private equity s’en allait avec les associés retrayants, rester m’aurait contraint à l’abandonner », reconnaît Julia Brochet.

Avec une expérience supérieure à 6 ou 7 ans, la situation est toute autre. L’avocat a déjà à l’esprit le jour de son association. Le départ de l’associé sonne-t-il la fin ou la réduction de son activité ou ouvre-t-il de nouveaux horizons, notamment la voie de l’association ? « Cela peut être le cas pour des collaborateurs seniors autonomes, des potentiels associés - a fortiori s’ils sont attachés à la clientèle », relève Dominic Jensen. « Quand le cabinet d’origine entretient des relations fortement institutionnalisées avec ses clients, c’est un argument pour rester », ajoute Olivier Chaduteau. Il s’agira alors d’avoir une idée assez précise des clients historiques de l’associé retrayant qui partiront avec lui et des clients attachés au cabinet qui continueront à assurer le chiffre d’affaires, socle d’un développement futur. Au sein du cabinet Dechert, Marie Fillon, associée junior au moment du départ de l’associée senior, se rappelle : « Rester a modifié mon positionnement dans le cabinet vis-à-vis des autres associés et des clients. Avec le recul, on grandit, on prend plus confiance en soi, on change. Rester évite parfois de demeurer ad vitam aeternam le second d’un associé senior ». Mais Vincent Brenot modère : « Entre la promesse d’association du cabinet d’origine – dont la fermeté est souvent impossible à évaluer – et l’engagement du cabinet d’accueil, il faut savoir peser le pour et le contre. »

L’occasion de se lancer dans l’entrepreneuriat

L’associé retrayant peut faire le choix de se lancer dans une aventure entrepreneuriale et monter son propre cabinet. Matthieu Guillou a commencé sa carrière aux côtés de Claudia Chemarin au sein du cabinet DS Avocats. En 2014, quand elle a décidé de partir, avec Alexandre Limbour, pour fonder sa boutique, l’avocat a considéré, fort de ses six ans d’expérience, que c’était le bon moment pour donner un coup d’accélérateur à sa carrière. « Si nous étions partis dans un autre cabinet, nous aurions refait plus ou moins la même chose ailleurs. Nous aurions été moins investis dans la gestion du cabinet, plus loin du centre de décision, se souvient-il. Nous participions à la création de notre univers de travail ». Matthieu est devenu associé en 2017 et n’a jamais regretté son choix. « C’est sans doute plus rassurant quand on se vend à un gros cabinet, mais tellement plus enrichissant de participer à une aventure entrepreneuriale. D’autant plus qu’en tant qu’avocat, nous sommes tous censés être des entrepreneurs. ».

Les règles

Les règlements intérieurs peuvent comporter des dispositions concernant la responsabilité financière de l’associé retrayant vis-à-vis de ses collaborateurs. En matière de contentieux, le départ des collaborateurs est rarement un sujet car dans une vaste majorité de cas, le cabinet quitté souhaite voir partir les charges attachés à l’associé retrayant. « Toutefois si le cabinet d’origine souhaite garder les collaborateurs, l’associé retrayant voulant conserver son équipe doit veiller à ce qu’on ne puisse lui reprocher de désorganiser le cabinet en fragilisant une activité, sur le fondement de la concurrence déloyale, du principe de loyauté et de confraternité », explique Dominic Jensen, associé, cabinet Librato avocats, spécialisé dans les questions liées à l’exercice professionnel des professions règlementées.

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