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Réussir sa négociation

Par Aurélia Granel

Puisque l’ouvrage de stratégie militaire chinois L’art de la guerre n’est très certainement pas enseigné à l’EFB et que celui de Donald Trump sur l’art de la négociation ne perce décidément pas en France, les avocats d’affaires ont dû apprendre à débattre les clauses d’une transaction dans l’intérêt de leurs clients. Certains ont accepté de livrer quelques tips à la LJA.

Être un bon négociateur implique tout d’abord un grand travail de préparation du dossier, rien ne pouvant être laissé de côté. L’exercice suppose également d’être instinctif, réactif et doté d’une capacité d’adaptation lors des discussions. « Se préparer est crucial, afin d’avoir toujours un coup d’avance et d’imprimer son propre rythme. Cela impose de définir en amont ses propres objectifs, c’est-à-dire le résultat attendu, ainsi que les “lignes rouges” qui ne devront jamais être franchies et les concessions que notre client ne souhaitera pas faire dans le cadre de la négociation, explique Rodolphe Elineau, associé de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton. Cet exercice donne à chaque conseil ses marges de négociation et permet d’anticiper les situations et réactions de la partie d’en face, de réagir très rapidement, et de ne pas subir les négociations ». Plus il aura travaillé en amont avec son client, plus l’avocat saura répondre avec habileté aux sujets dont sa contrepartie va lui parler, même ceux dont il ne s’attendait pas à être mis sur la table. Il convient également de travailler sa créativité et ne pas partir avec des idées préconçues. « Le rôle du conseil est aussi d’être créatif dans les négociations M&A lorsque les parties s’enferment dans un schéma qui les amène à une opposition frontale, souligne Benoit Marpeau, associé du cabinet Peltier Juvigny Marpeau & Associés. L’avocat créatif est celui qui utilise sa technique pour sortir par le haut d’une situation de blocage, en trouvant une autre voie lorsque chaque partie campe sur ses positions ». Cette issue évitera à l’une des parties d’avoir l’impression d’avoir fait une trop grande concession. Mais attention à ne pas se laisser lobotomiser par les pratiques de marché, arguments parfois portés par les avocats lors des négociations M&A. « En smid cap, les fees sont peu élevés et il y a par conséquent un manque d’activisme de la part des conseils à faire évoluer la documentation standard recopiée parfois sans discernement. Ils n’ont pas les moyens de perdre du temps à faire du sur-mesure, explique Philippe Rosenpick, associé du cabinet Desfilis. Cela peut être une force pour la partie adverse ou un cauchemar. Il vaut toujours mieux avoir un avocat brillant comme contradicteur et payé pour effectuer correctement son travail. Par ailleurs, nos métiers se sont hélas trop “commoditisés” en termes de pratiques. Les markets practices détruisent la créativité et la valeur ajoutée depuis une bonne dizaine d’années. Sortir des rails, c’est souvent se mettre pas mal d’acteurs à dos ». En private equity, le cadre des discussions est souvent assez normé. Les fonds d’investissement sont donc encore plus friands des pratiques de marché, car elles font gagner du temps aux négociations. Toutefois, en M&A, « Ce n’est pas parce qu’une solution a été adoptée dans un deal similaire, qu’elle doit l’être au cas d’espèce, car les parties n’ont jamais vraiment les mêmes objectifs, intérêts, ni ordres de priorité. Chaque situation est généralement assez spécifique et un attachement trop marqué, voire idéologique, à ces pratiques de marché peut mener à un blocage de la négociation, déclare Rodolphe Elineau. Être créatif et sortir de ces pratiques peut parfois apporter une nouvelle solution à nos clients et mettre fin à un blocage. En revanche, il est vrai qu’il demeure important de discuter de ces pratiques de marché avec nos clients, pour alimenter les réflexions en amont des négociations ».

UTILISER DES TECHNIQUES DE NÉGOCIATION

« En général, les négociations se passent relativement bien et les situations difficiles, voire tendues entre conseils, restent toujours professionnelles », estime Rodolphe Elineau. Les claquages de portes sont donc, en principe, rares. Les conseils ne doivent pas donner à leurs clients l’impression d’être en opposition totale, car ceux-ci auraient l’impression que leur avocat n’oeuvre pas à la réussite des négociations. Ceux-ci les perçoivent, au contraire, de manière générale comme des facilitateurs d’opérations. Mais chaque avocat conserve son propre style de négociation : certains sont agressifs, tandis que d’autres sont aimables, détendus, constructifs, plutôt à solutionner les problèmes qu’à créer des tensions. Être capable de s’analyser soi-même, pour connaître son style, est primordial. « Chaque avocat imprime sa marque dans la négociation et doit bien se connaître - certains forcent parfois un peu leur nature -, alors qu’on est souvent meilleur dans ce que l’on sait faire, souligne Benoit Marpeau. Connaître son style ne veut pas dire ne jamais surprendre. Par exemple on peut être essentiellement calme et constructif, mais créer un effet de surprise efficace en devenant plus agressif sur un dossier ». S’il y a les avocats instinctifs, il y a aussi les joueurs d’échecs, pas toujours bien intentionnés. « Quelques avocats et certains acteurs diabolisent les conseils de l’autre partie. Ils instaurent un rapport de force permanent qui n’est parfois absolument pas à l’échelle du deal et essaient de convaincre de ce fait la partie adverse qu’elle n’a pas le bon avocat. Ils utilisent la stratégie du conflit permanent, de “la montée dans les tours”. Certains reviennent en boucle à plusieurs endroits sur les mêmes sujets pour que, de guerre lasse, on laisse passer au moins une fois leur demande, explique Philippe Rosenpick. D’autres envoient les documents au dernier moment, la veille au soir de la réunion ou le vendredi soir, ou essaient de créer un rythme pour noyer l’autre partie. Certains peuvent insérer une condition suspensive de financement de manière à s’abriter derrière les banques pour renégocier le prix à la toute fin en la faisant jouer. D’autres font traîner les négociations pour imposer leurs conditions, sachant que la partie d’en face n’aura pas les moyens de les faire durer ». Sans forcément les utiliser, tout avocat doit avoir en tête ces stratagèmes de négociation - ils sont généralement bien connus même si certains les maîtrisent mieux que d’autres - pour ne pas se laisser manipuler. Philippe Rosenpick recommande également de bien cerner la personnalité de ses interlocuteurs, tant de ses clients, que des contreparties, banquiers et avocats, car le choix des intervenants en dit beaucoup sur la personnalité des donneurs d’ordres et leurs contraintes. « Il convient d’identifier les forces et faiblesses de l’avocat et de la partie d’en face, ainsi que leurs contraintes familiales, affectives et financières, leurs contraintes de “policy interne”. Certains jouent aux durs mais n’ont pas les moyens que la négociation dure longtemps. Il faut faire tomber les masques et faire du temps son allié pour imposer le bon momentum le moment venu », indique l’avocat.

ÊTRE PROACTIF

Benoit Marpeau souligne le rôle variable du conseil lors d’une négociation : « L’avocat doit impérativement s’adapter à ses clients. Aujourd’hui beaucoup sont très aguerris, directifs et intervenants, et ont en interne des équipes M&A ayant un degré d’expérience similaire à celui d’un conseil. Si celles-ci prennent la main sur la conduite de la négociation, les clients attendent de leur avocat qu’il soit un support technique, apportant un éclairage sur un point particulier ou présent pour soutenir une position. C’est un rôle qui nécessite d’être passif la plupart du temps, mais très réactif. D’autres clients attendent au contraire de leur conseil que l’avocat conduise la négociation et mène la discussion. Ce sont eux qui se tiennent alors plutôt en retrait pendant l’essentiel des discussions, ne souhaitant intervenir que sur les sujets typiquement business ou pour trancher les points qui subsistent ». Quand surviennent des points de blocage, c’est généralement le moment où le conseil s’efface face à l’arbitrage qui doit être fait par son client. « Les clients sont souvent désireux de donner des lignes générales et de laisser les conseils négocier par la suite, note Rodolphe Elineau. Les conseils naviguent avec une certaine autonomie sur beaucoup de dossiers, dans un cadre défini par le client ». Et Philippe Rosenpick de nuancer : « Si c’est la première fois que l’avocat est conseil d’une structure, il ne pourra pas toujours faire valoir son point de vue et peser sur le deal, privilégiant sa propre relation commerciale sur la qua- P. Rosenpick lité du conseil, ce qui nécessite parfois un peu de courage ».