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Quand les avocats quittent la robe

Par Florence Henriet
Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires Magazine, N° 51 du 01/11/2017
Par Florence HENRIET

« La reconversion a les meilleures chances de réussir si vous êtes réellement convaincu que le prix du renoncement est beaucoup plus élevé que celui de l'audace. Alors, les efforts, les obstacles, les résistances vous paraîtront plus légers » expliquait François-Xavier Demaison dans un de ses interviews. La presse se fait souvent l’écho de personnalités célèbres issues du barreau. Sylvie Joly, Caroline Vigneaux, Andrea Bocelli, ou Sandrine Sarroche ont tous débuté leur vie comme avocats. Nous sommes partis à la recherche de ceux qui ne font pas la une des journaux mais ont également fait un virage à 180° pour entamer une seconde vie très loin de la première.

Candice Osenat-Boutet – Commissaire-Priseur, deux fois « maître »

« Cet interview m’amuse. La LJA je l’ai eue sur mon bureaux pendant huit ans » nous précise Candice au début de notre conversation. Au cours de sa première vie, Candice a été avocat chez Clifford Chance, Willkie Farr, Denton. L’éparpillement de son équipe concomitant avec la rencontre de son futur mari la fait réfléchir. « Soit on est dans la course au partnership, soit on devient « of counsel », je ne voulais pas être un pied dedans, un pied dehors.» Son père est propriétaire d’un des dix plus importantes études de commissaires-priseurs française. Il lui demande un coup de main. Elle intervient dans un premier temps comme DAF. Puis décide de passer le concours, concours qui exige d’avoir une double formation en droit et en histoire de l’art. Son passé l’aide, notamment sa capacité à parler anglais. « C’est un plus d’avoir travaillé dans les structures anglaises quand il faut décrocher une collection étrangère ». L’ancienne avocate et nouvelle commissaire-priseur joue la transversalité sur des sujets qui font appel à ses réflexes : succession, expertise, fiscalité des œuvre d’art, contentieux après-vente, réactivité sur les contrats, capacité à en rédiger des très personnalisés, etc.

Gilles Guiraud - Le boulanger, « déléguer vraiment »

En prêtant serment en 2008, Gilles choisit le droit un peu par hasard, la culture générale qui lui est attaché lui plait. Sa carrière marche bien : 3 ans collaborateur, 2 ans à son compte, 3 ans associé d’un des grands ténors du barreau de Toulouse. « Ce qui m’a plu dans ce métier, c’est l’humanité et ceci dès le premier dossier ». Le reste lui pèse plus : les procédures, l’administratif, le poids de la structure. Il rêve de voyages depuis longtemps. L’idée nait à Bombay chez l’une de ses amies indiennes « Elle était persuadée qu’une pâtisserie française basée dans son pays ferait un tabac ». Ses proches lui conseillent de s’essayer déjà en France. Comme un alignement des planètes, il retrouve après 15 ans un ami d’enfance, Lionel Fauré, qui va devenir son associé. «Nous avons investi tout ce que nous avions dans le projet. Nous sommes très complémentaires : lui la production, c’est un artisan d’exception. Je m’occupe de la vente, la gestion, le positionnement, la création de la société.» La boutique ne désemplit pas. Il se plait dans ce métier séculaire et est fier de son projet 100 % artisanal. L’entreprenariat et la pérennité sont aussi au cœur de ses ambitions. « L’idée c’est de déléguer vraiment. Aujourd’hui nous créons des emplois et une marque pour pouvoir la transmettre».

Fabien Nahum – Le brasseur de bière, « une aventure très collaborative »

Fabien a fait ses classes chez CVML, Orrick Rambaud Martel et Bird & Bird. Après une première expérience dans le Nord de la France, il commence à brasser chez lui, s’essaye à la dimension manuelle loin du sérieux des études de droit et sous les yeux amusés de sa compagne, avocate. Il se lance en avril 2014 « Je n’avais pas de business plan élaboré mais j’aimais cet artisanat simple au cœur d’un moment de partage». Pendant un an, il élabore sa propre recette à partir de malts d’orge et de blé, associés à des houblons nord-américains qu’il baptise « Batignolle ». Il ouvre un magasin rue des Moines en novembre 2014. La Batignolle y côtoie d’autres bières produites par différents petits brasseurs français et étrangers. « J’ai à cœur de garder la bière de mes confrères. Il y a une forme de coexistence vertueuse, c’est une aventure très collaborative ». L’ancien avocat préfère désormais les contrats oraux aux longs écrits. Son passé l’aide sur la dimension contentieuse : « Je lâche prise plus facilement pour aller sur le terrain de négociation ». Dans le cadre de sa levée de fonds, il a co-rédigé le pacte d’associés. « Je comprends la matrice juridique d'une relation commerciale, elle m'aide à structurer mon approche théorique. Mais je dois la laisser dans ma poche si je veux construire. Je dois dépasser cette grille de lecture juridique car elle fige l’intelligence des relations ».

Hugh Crisp – Cinq vies en une, « Je ne fais que du travail qui m’intéresse »

Associé spécialisé en M&A du cabinet Freshfields durant sept ans, nommé Chief Executive en 2004, Hugh quitte la firme en 2008. Il partage depuis sa vie entre cinq différents postes. Au board de Knight Frank, une institution en matière de conseil immobilier, il challenge les associés sur leur stratégie. Il rejoint en 2008 l’Oxford University’s Said Business School, sorte d’INSEAD anglais, pour faire bénéficier de son expérience aux groupes dédiés aux services professionnels : formation au management, accompagnement les futurs dirigeants pour pérenniser leurs entités. Il siège également au board et gère le comité d’audit des « Presses universitaires d'Oxford ».

« Au travers de nos ouvrages, nous diffusons le savoir de l’université dans 190 pays dans le monde en 102 langues ». Au sein de Manchester Square Partners Conseil, il accompagne les dirigeants les plus seniors pour les aider à exprimer leurs doutes et leurs attentes. A Oxford, il est le Président de l’Emmaüs local. « Je ne fais que du travail qui m’intéresse avec des gens qui me plaisent. Je me sers de mes expériences pour aider des personnes aussi différentes que les compagnons d’Emmaüs ou les dirigeants de grandes sociétés ».

Stéphanie Yon – Maire de Saint Contest, « je dois défendre mes électeurs »

Le droit de la concurrence a été l’univers de Stéphanie pendant plus de 10 ans. D’abord au sein de la Commission européenne, puis chez Freshfields et Allen & Overy, et enfin à l’Autorité de la concurrence. C’est en 2010 que sa vie prend un nouveau tournant. Elle suit son mari en Normandie. « On me propose de prendre la tête de liste aux élections municipales. J’ai pensé que c’était une belle expérience humaine.» Stéphanie est élue maire de Saint Contest, une ville de 2600 habitants. En 2015, elle est élue vice-présidente du Conseil départemental du Calvados. Elle est également vice-présidente de la communauté urbaine pour la mer. « Deux mois après mon élection à la mairie, le sous-préfet m’appelle pour discuter des modalités d’installation d’un campement sur sa commune pour des SDF, migrants, femmes battues». S’engage alors un bras de fer avec les autorités compétentes. « Ce n’est pas ma spécialité mais j’ai gardé des réflexes. Comme un avocat, je dois défendre mes électeurs ». Elle a parfois l’impression de retrouver les mêmes situations qu’en cabinets : la nécessité de prendre du recul, l’astreinte au politiquement correct, un taux de testostérone élevé, des égos et une somme d’intérêts individuels à gérer. La différence ? « Je suis moins bien payée » sourit-elle.

Marie de Labarre – productrice de films, « mes compétences allaient servir un objet que j’aime »

Marie a débuté comme collaboratrice en M&A chez Willkie Farr. Très vite, elle réalise que son ambition n’est pas là. « Je n’aimais pas l’activité que je servais, qui me semblait participer à la financiarisation de la vie économique ». Au bout de trois ans, elle décide de quitter la profession. Lors de son pot de départ, beaucoup se demandait comment elle pouvait abandonner ce fabuleux métier pour celui de « saltimbanque ». « J’ai démissionné sans point de chute mais je savais où je voulais aller. » Grâce à une relation dans une société de production, elle effectue un stage puis est engagée. Elle teste différents métiers de la production : régisseuses, assistante de production, assistante de réalisation … Un choix à la fois instinctif et réfléchi : « Je pensais que le droit allait me servir dans la production, je suis rigoureuse, mes compétences pouvaient servir un objet que j’aime. ». Elle embauche, acquiert et négocie des droits d’auteurs et de coproductions, gère l’exploitation. Aujourd’hui, Marie pilote la production de films, essentiellement documentaires. Elle est, tour à tour, directrice de production ou productrice exécutive.

Laura Baccelliere - Du barreau à la puériculture, « J’ai toujours eu envie de protéger les autres »

« Je voulais être avocate depuis que j’étais en 3ème ». Laura l’a effectivement été pendant 8 ans. Titulaire d’un diplôme en droit pénal et politique criminelle et après plusieurs collaborations, elle créé son cabinet en 2013 avec quatre de ses amis au sein duquel elle pratique le droit pénal et le droit de la famille. « Une expérience géniale, la joie de l’installation, être son propre patron, imaginer sa propre stratégie, je me sentais libre ». La naissance de son premier fils l’amène à choisir une crèche parentale ave un mode de management où chacun mets la main à la pâte. « En contact au quotidien avec des enfants, j’ai retrouvé cette passion pour la petite enfance. J’avais du mal à quitter la crèche pour aller au cabinet. Les enfants me fascinent. Je me portais volontaire pour toutes les missions ». Elle décide finalement de s’omettre du barreau en juillet dernier. Depuis le début du mois d’octobre et en attendant d’être diplômé, elle travaille à plein temps à la crèche comme personnel non-diplômé. « C’est un travail intellectuel différent mais tout aussi intéressant. Quand on fait du droit pénal, on protège. J’ai toujours eu envie de protéger les autres. Cela va au-delà de mon rapport avec mon fils.»

Alice Noizet – A la recherche de la preuve

« Les avocats travaillent sur la qualification des faits et la stratégie contentieuse. Je travaille sur les faits. Si je ne fais plus de droit, mon passé me permet de mieux comprendre les enjeux. » Alice est une ancienne avocate spécialisée en contentieux financiers. De 2001 à 2006, elle a exercé au sein du cabinet Bureau Francis Lefebvre et chez LPA. Elle abandonne la robe pour devenir juriste en entreprise pendant 5 ans. Puis elle quitte le monde du droit pour la Direction des Enquêtes de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), une équipe de 25 enquêteurs dont 2 à 3 anciens avocats. Sa compétence en droit permet aux rapports d’enquête de tenir la route juridiquement. Après cette expérience, la logique aurait voulu qu’elle revienne au barreau. « Mais j’ai adoré ce métier d’enquêteur. J’ai donc rejoint pour Deloitte Forensic [le département investigation de Deloitte] il y a un an ». Alice est engagée pour développer l’activité « Investigations / Abus de marché ». Elle travaille en étroite collaboration avec les équipes en place composées d’informaticiens, d’enquêteurs, de comptables spécialisés dans l’analyse des flux financiers. Leurs domaines de prédilection : corruption, fraude interne, détournement de fonds … Elle est actuellement la seule ancienne avocate : « Mais je ne doute pas que c’est une tendance qui va s’accroitre. Mon expérience en matière de produits financiers et l’interface techniciens / avocats que suis amenée à jouer se révèlent très utiles. ». Chaque nouvelle enquête lui permet de découvrir une nouvelle histoire, de nouvelles personnalités, un nouvel environnement : « cela satisfait pleinement ma curiosité intellectuelle ». Les passerelles n’étaient pas évidentes mais Alice le dit à demi-mot : devenir commissaire de police l’a effleuré.

Jean-Michel Bonnichon – « La renommée » dans la vigne

Jean-Michel Bonnichon a prêté serment en 1993 et dédié 7 ans de sa vie au barreau. Dans un premier temps collaborateur à Paris, il crée en 1997 son propre cabinet à Orléans. « Je pensais être avocat toute ma vie ». En 2000, il rejoint en tant que secrétaire général une société spécialisée dans l’arbitrage financier. Dans un premier temps, responsable de son introduction en bourse, il en devient directeur général et gérera jusqu’à 150 collaborateurs. Il quitte l’entreprise fin 2011. « Deux options s’offraient à moi, rejoindre le barreau ou une autre entreprise ». C’est une troisième qui a sa préférence « Ça faisait 20 ans que je travaillais dans l’immatériel. Je voulais sortir des bureaux et que mon travail débouche sur quelque chose de concret. » Jean-Michel a une passion, c’est le vin. « J’en bois depuis l’âge de 13 ans, j’ai toujours été fasciné par ce produit, j’ai assez rapidement l’intuition que cela pourrait devenir mon métier. » L’année 2012 lui permet de murir son projet. En 2013, l’activité débute. « Mon idée n’était pas de me limiter à l’activité de vigneron mais de développer aussi l’accueil oenotouristique pour partager ma passion ». Aujourd’hui, il gère trois sociétés. La première est un fonds d’investissement (GFV, groupement foncier viticole) qui propose à des particuliers de co-investir dans l’achat du foncier, un placement à part entière avec sa rentabilité et ses spécificités fiscales. Pas moins de 91 associés entre 23 ans et 89 ans qui sont rémunérés en bouteilles de vin mais également en monnaie sonnante et trébuchante pour associer finance et plaisir. La seconde est un domaine viticole, le château « La Renommée » créée avec son cousin, ingénieur agronome et œnologue. «Au lieu d'acheter une propriété clés en main, nous avons procédé à des achats successifs de bâtiments et de parcelles de vignes à Saint Emilion, un nom qui sonne grands vins dans le monde entier. En 2017, nous avons fêté notre cinquième millésime ». La dernière existe depuis 2 ans et est dédiée l’œnotourisme. « Saint-Emilion est visité par 1M500 touristes par an. Le vin a cette capacité à créer de l’empathie. Les richesses historiques, gastronomiques et culturelles sont des atouts exceptionnels pour rendre attractive l’activité de séminaires et d’incentive interne qui fonctionne maintenant très bien». Jean-Michel ne regrette ni ses études de droit, ni ses années de barreau. « Le métier d’avocat vous permet d’en connaître sur l’humain plus que n’importe quelle école ».

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